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Du Japon à l’Italie : le grand écart culturel

Après 15 ans passés au Japon, Bénédicte s’installe en Italie, à Turin, en 2020. Ayant déjà plusieurs expériences de l’adaptation à un nouveau pays, elle pensait savoir à quoi s’attendre. L’Italie, ce n’est pas si loin de la France, n’est-ce pas ? La réalité de son arrivée, compliquée par le Covid, n’a pas été la « Dolce Vita » qu’elle s’était imaginée. Quatre ans après, elle fait le bilan, partage son expérience, et les atouts d'une expatriation en Italie.

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Photo de Wendy Dekker sur Unsplash
Écrit par Bénédicte Franchot
Publié le 6 février 2024, mis à jour le 9 février 2024

Se « tatamiser » au Japon

Après 15 ans vécus au Japon, Bénédicte Franchot s’était complètement « tatamisée » : expression tirée du mot Tatami, sorte de sol fait de matelas de paille que l’on trouve dans les maisons traditionnelles japonaises, qui signifie qu’elle s’était complètement adaptée au Japon, à ses codes culturels et coutumes.

C’était même devenu son métier. Elle aidait les nouveaux venus étrangers à se « tatamiser » : découvrir et s’ajuster à des codes et normes très différents des leurs, au travers d’ateliers et de programmes d’accompagnement.

 

« Italiens, Français, cousins proches mais tellement différents » : Une perception partagée des deux côtés des Alpes

Italiens et Français se considèrent souvent comme cousins, de la famille proche. Mais la réalité est autre : les témoignages de part et d’autre des Alpes attestent que les relations sont plus ambiguës qu’il n’y parait. On croit bien s’entendre et on découvre que ce n’est pas le cas. Les exemples de faux-amis et les malentendus abondent. Au fil du temps, irritation, ressentiment et frustrations peuvent s’accumuler.

Pour Bénédicte, une forme de déception s’installe quand elle réalise que la réalité de sa vie quotidienne en Italie, un pays qui lui paraissait fascinant, n’est pas à la hauteur de ses attentes, ni de sa réputation.

 

« Un mélange indéfinissable d’attirance et d’irritation »

Tout d’abord il y a l’image de l’Italie, pays mondialement réputé pour sa culture, son mode de vie, sa nourriture, ses vins… Lorsque Bénédicte annonçait son prochain déménagement pour l’Italie à ses amis et collègues, la réaction était unanime : quelle chance ! L’Italie, un si beau pays !

Visiter un pays en touriste et y vivre au quotidien, ce n’est pas du tout la même chose. Bénédicte a découvert petit à petit cet écart. Bien sûr, son arrivée en plein confinement n’a pas facilité les choses. Elle a peiné à trouver « le bon ton » dans ces interactions avec des Italiens, à trouver sa place, à s’intégrer localement, tisser des amitiés durables.

Être française est plutôt bien perçu par les Italiens. On entend souvent un « Ah, Francia ! » d’admiration, quand un interlocuteur italien découvre qu’on est français. « Di dove in Francia ? » Et s’en suit toujours une discussion sur l’endroit préféré (l’Italie ou la France ?) et des comparatifs multiples (le coût de la vie, le niveau des salaires, la météo, l’état des routes, la propreté etc. etc.).


Ce besoin de comparer et de juger est humain, normal et universel. Nous avons tous besoin de confirmer ou d’infirmer un certain nombre de stéréotypes réciproques, c’est sécurisant, rassurant. Mais pour nouer des relations de confiance et respect mutuel, il est nécessaire d’aller au-delà des stéréotypes pour les « conscientiser » et les dépasser.

Entre « cousins transalpins », quelles sont ces différences qui nous surprennent et nous irritent ?
Quelles sont ses situations qui nous dérangent et qui font que l’Italie est un des pays difficiles à décrypter pour les Français ?

Débordement émotionnel au pays du Bel Canto

Il est bien connu qu’au Japon, il faut retenir ses émotions et surtout ne pas les exprimer en public. Quel grand écart avec l’Italie, où, à l’inverse, ne pas exprimer ses émotions nous fait passer pour des gens froids et hautains !
Les Italiens apprennent dès leur plus jeune âge à s’exprimer avec tout leur corps : langage des mains, variation dans le ton de la voix, dans le rythme des mots, accentuation des voyelles… Vocalité exacerbée qu’on associe au « Bel Canto », le fameux chant d’opéra italien.

Cette façon de s’exprimer est toujours un souci pour Bénédicte. Dans la plupart de leurs interactions, les Italiens ne mesurent pas l’impact de leur façon de communiquer. Sur un sujet qui leur tient à cœur, ils s’emportent, oubliant de se soucier de l’effet sur la personne en face. C’est pourtant essentiel lorsqu’ils ont affaire à des personnes qui, de par leur culture ou leur personnalité, sont modérées dans l’expression de leurs sentiments.

Le résultat, c’est que la communication peut avoir du mal à passer et la confiance, du mal à s’établir.
Imaginez ce scénario : d’un côté, l’étranger français ou japonais ne se sent pas écouté, ni entendu. Sans une approche calme et objective, il lui est difficile de résoudre le problème. De l’autre, l’interlocuteur italien se sent frustré par l’absence de réponse émotionnelle, qu’il interprète comme un signe de désintérêt ou de désengagement. De part et d’autre, la confiance en prend un coup.

Pour s’ajuster, il a fallu que Bénédicte « désapprenne » ses réflexes japonais et laisse plus de place à ses émotions. Cette dimension, appelée « emotional expression », oppose la culture italienne à la culture japonaise.

L’importance des relations humaines dans la culture italienne

Dans les cultures « relationship-oriented », comme l’Italie, il est plus important de commencer à tisser des liens pour établir la confiance, avant de signer les contrats. A l’inverse, dans les cultures plutôt « task-oriented », c’est le respect des contrats et des engagements réciproques qui permettent d’établir la confiance.

Ma famille, mon village ... au cœur des valeurs d’une Italie traditionnelle

Après quelques malentendus, Bénédicte réalise que lorsqu’elle dit travailler depuis la maison, beaucoup d’Italiens (plutôt des hommes d’un certain âge !) traduisent cela par « femme au foyer ». C’est un autre aspect culturel de l’Italie qui relève des valeurs partagées plutôt que des normes de comportement.

Bénédicte a remarqué cet attachement aux structures sociales traditionnelles et en particulier l’importance des liens familiaux. La famille reste au centre des valeurs des Italiens, pour toutes les générations.

Comme au Japon, on rencontre partout en Italie un respect pour les personnes âgées. Suivant un modèle matriarcal (à la maison, pas dans le monde professionnel) les grand-mères occupent une position de pouvoir, étant considérées comme une source de sagesse. Au Japon comme en Italie, en famille, la « mamma » est la personne centrale, autour de laquelle toute la « logistique familiale » tourne (on peut aussi parler de « charge mentale »).

Durant le covid, Bénédicte a pu constater un plus grand respect des obligations comme le port du masque, par rapport à ce qu’elle voyait en France. Elle a relié cela au respect et à la volonté de protéger les plus âgés et les plus fragiles, dans la famille.

La famille reste un aspect fondamental pour les italiens, à tout âge. Les jeunes ne quittent la maison qu’assez tard dans leur vie, souvent bien après leurs études, et les parents continuent à les aider matériellement et financièrement.

La famille, un impact sur la façon de s’intégrer

Pour Bénédicte, l’impact a été important sur la façon de se présenter et de s’intégrer. En 2020 elle s’est installée en Italie avec son mari mais sans enfants, pour la première fois. Auparavant c’était toujours en famille que se faisait les déménagements. Pour la première fois, son identité professionnelle allait prendre le pas sur son identité personnelle en tant que maman, pensait-elle. Pourtant, elle fait l’expérience déconcertante de recevoir plus de sollicitude quand elle doit s’absenter pour des raisons familiales que pour des raisons professionnelles… Pour une femme « senior », se présenter en tant que professionnelle n’a pas la même légitimité qu’en tant que mère ou fille auprès de parents âgés.

Le « campanilismo », traduit par « patriotisme local », ajoute à l’importance accordée aux liens sociaux traditionnels. Pour les étrangers, non-italiens, l’impact se mesure malheureusement en termes de tolérance et d’ouverture d’esprit. Ainsi les personnes avec qui Bénédicte s’est liée d’amitié rapidement étaient des italiens francophiles ou ayant vécu à l’étranger. Heureusement ils sont nombreux !

Développer sa sensibilité et sa compétence interculturelle, s’abstenir de juger

Pour mieux comprendre ses interlocuteurs et se faire accepter, Bénédicte a exploré les valeurs, les normes de la culture italienne. Elle a cherché à dépasser les stéréotypes qui vantent l’Italie comme le pays du romantisme, de l’art et de la Dolce Vita. Ne se satisfaisant pas d’une approche « touriste », elle a mis ses lunettes et sa casquette d’anthropologue et mis à profit sa curiosité pour décoder et mieux comprendre ses interlocuteurs, sans les juger.

Vivre en Italie, explorer et comprendre de l’intérieur la culture italienne, est une expérience vraiment enrichissante. Se confronter à une réalité autre fait sortir de sa zone de confort. C’est là qu’on apprend, qu’on se comprend mieux et qu’on se développe.

 

Les atouts d’une expérience de vie italienne

Vivre parmi les Italiens a permis à Bénédicte d’être plus transparente, plus expressive et de laisser plus de place à ses émotions. Elle y a gagné en agilité de communication. Cela lui a permis aussi de mieux comprendre et intégrer d’autres façons de voir le monde, de se frotter à d’autres valeurs et de se questionner sur les siennes, un exercice toujours bénéfique !

 

Bénédicte Franchot est Coach Certifiée, Facilitatrice et Consultante dans le domaine du développement des compétences, du leadership et de la mobilité internationale. Dans le cadre de son activité de coaching, elle accompagne des cadres d’entreprises et leurs conjoints lors de leur expatriation et lors de leur retour. Elle a vécu et travaillé hors de France pendant plus de 20 ans, dont 15 au Japon. Elle est rentrée entre-temps pour 3 ans à Paris, une expérience personnelle du retour d’expat qui a été le déclencheur de son envie d’accompagner les personnes dans ces périodes de transitions compliquées. Aujourd’hui elle vit et travaille à Turin (Italie) depuis juin 2020.

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