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INTERVIEW - Michel Viatteau, Directeur AFP Pologne

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 24 mars 2015, mis à jour le 25 mars 2015

Polonais d'origine, né à Cracovie, et naturalisé Français, Michel Viatteau est à 65 ans directeur de l'Agence France Presse à Varsovie. Sa carrière de journaliste en fait un témoin des plus grands moments de l'histoire du XXème siècle. Depuis l'année dernière, il est de retour sur ses terres natales. Pour les lecteurs de lepetitjournal.com/Varsovie, il nous raconte son parcours et son infinie passion pour un métier qu'il ne souhaite pas arrêter de sitôt.

Lepetitjournal.com/Varsovie: Pouvez-vous nous raconter l'histoire de l'AFP en Pologne ?

Michel Viatteau : L'Agence France Presse est présente depuis la fin des années 40 en Pologne. Comme les autres agences, elle travaillait sous la contrainte du régime communiste et s'appliquait une sorte d'autocensure implicite. L'AFP disposait toutefois, à l'époque, d'une « position spéciale » par rapport aux autres. Ceci était lié au regard que le régime polonais portait sur la France qui était considérée comme plus « acceptable » que les autres pays occidentaux. L'année 1981 a revêtu une importance particulière dans l'histoire de l'AFP en Pologne. C'est l'année où le général Jaruzelski a annoncé l'instauration de la loi martiale. Les communications sont devenues très limitées entre la Pologne et l'extérieur à partir de ce moment-là. Mon confrère de Pologne a été l'un des rares à pouvoir couvrir les premiers jours après l'instauration de la loi martiale. Cette même année, nous avons eu l'idée de mettre en place un service d'écoute des médias polonais depuis le bureau de Vienne, afin de suivre l'actualité en Pologne, car rien ne sortait du pays? Grâce à cela nous avons été les premiers à annoncer au monde entier le massacre de la mine de Wujek ? [NDLR : Répression violente de mineurs en grève à la suite de l'instauration de la loi martiale, le 16 décembre 1981 par le Zomo (Forces de répression antiémeute de la Pologne communiste) qui a fait 22 blessés et 9 morts]

Vous êtes Polonais d'origine et parlez parfaitement cette langue. Comment se fait-il que l'AFP qui était votre employeur en France ne vous ait envoyé en Pologne qu'en 1991 ?

J'ai en effet eu la chance d'être embauché à l'AFP à 22 ans, un an après être arrivé en France pour y faire des études de journalisme. A l'époque de la loi martiale, étant le seul Polonais de l'agence, l'AFP a voulu m'envoyer sur place. Mais j'étais interdit d'entrée en Pologne, probablement car j'écrivais par ailleurs en France un rapport annuel sur la situation économique de la Pologne qui n'était pas bien perçu par le Parti? J'ai donc suivi l'actualité de mon pays depuis Vienne où nous avions ce service d'écoute et de Rome où se trouvait une grande partie de l'opposition polonaise, en raison de la présence de Jean-Paul II?

Vous étiez justement présent lors de la première rencontre de Lech Walesa et du Pape à Rome en janvier 1981?

Tout-à-fait. J'ai eu le sentiment de vivre un moment historique, rempli d'émotion. Il faut se rappeler le contexte de cette rencontre entre Lech Wa??sa, simple électricien n'ayant jamais terminé ses études, et Jean-Paul II, considéré comme un dieu en Pologne. C'était un examen très difficile pour Wa??sa. Il a fait un très bon discours. Sa force a été de refuser toute interview avec la presse occidentale. J'ai été marqué également par sa femme, alors fleuriste à Gdansk, qui dégageait beaucoup de dignité dans ses rencontres avec les habitants de Rome.

Revenons à la Pologne. Vous avez occupé la fonction de chef de poste à Varsovie de 1992 à 1998. Quels ont été les moments marquants de cette période ?

Pour être exact, je suis revenu en Pologne en 1991 pour réformer l'agence locale, Polska Agencja Pracowa (PAP). C'est Tadeusz Mazowiecki, le Premier ministre polonais de l'époque qui m'a appelé à ce poste. Je l'avais rencontré à Rome, quand il était dans l'opposition avant la chute du régime. J'ai donc occupé pendant un an la fonction de conseiller du président de la PAP, qui consistait à réformer entièrement le fonctionnement de l'agence, une lourde institution postcommuniste. Il a fallu tout leur apprendre ! Une de mes tâches a été de leur faire comprendre que l'information ne vient pas du pouvoir?, qu'il faut aller la chercher? Au bout d'un an, je suis revenu à l'AFP à la direction du poste de Varsovie, cette fois-ci. C'est pendant cette période que j'ai participé, avec mon collègue du Monde, Jan Krauze, à la création du 1er hebdomadaire français de Pologne, appelé le Courrier de Varsovie. Cela a été une entreprise passionnante. L'objectif était d'expliquer la Pologne aux expatriés qui arrivaient en grand nombre à la fin des années 90. Nous avons embauché jusqu'à cinq salariés et coordonné le travail d'une vingtaine de pigistes français ou francophones. L'aventure s'est progressivement éteinte après le départ de Jan Krauze, puis le mien, quelques années après le lancement.

Votre carrière ne s'est pas limitée à la Pologne puisque vous avez été envoyé en Bosnie-Herzégovine au moment du siège de Sarajevo? Qu'est-ce qui motive un journaliste à risquer sa vie dans un pays en guerre ?

J'ai passé au total 10 mois en Bosnie dont 8 à Sarajevo, entre 1994 et 1995. Pendant les périodes de guerre, en principe, les journalistes restent un mois sur place et rentrent chez eux pendant un mois? Oui, on vit avec une peur permanente, mais on s'y habitue très vite. Je me disais « je peux mourir, mais je continue », car j'étais pris dans le feu de l'action et avais le sentiment de faire un travail utile. La peur est un stimulant? Et puis on vit des moments très intenses. J'ai eu conscience de vivre un tournant historique de la guerre lorsque l'OTAN a annoncé le bombardement  de la Serbie. Sur place, nous nous disions qu'enfin l'Occident allait de l'avant?

L'Iran en 1981 a été un autre moment fort de votre carrière ?

J'étais présent à Téhéran lors de la chute du président Bani Sadr en 1981. Elu premier président d'Iran après la révolution islamique en 1980, il a été destitué par le parlement un an après car il était considéré comme trop libéral par le clergé. Il s'est enfui et est rentré en France. J'ai couvert ces événements et, d'une certaine façon, contribué à sa fuite.

Quel a été le moment le plus dur de votre vie de journaliste ?

La période la plus dure de ma vie professionnelle a eu lieu lorsque j'étais directeur de poste à Moscou. Mon territoire couvrait alors tous les territoires de l'ancienne URSS. J'avais sous ma responsabilité en Tchétchénie - alors en guerre - un correspondant de l'AFP qui était lui-même Tchétchène. Il a été enlevé, torturé puis tué par les pro-russes. Il était venu me voir pour me dire « j'ai peur »? Je lui ai conseillé de partir, mais il n'était pas prêt à changer de vie et se lancer dans l'aventure. Il est resté et il a été pris. J'ai mené une enquête par la suite pour connaître les faits et obtenir un dédommagement de l'assurance pour sa femme. Mais on ne saura jamais exactement ce qui s'est passé. Cela a été un moment très éprouvant.

Vous êtes de retour en Pologne depuis 2014; quelle est votre vision du pays 18 ans plus tard ?

La Pologne a plus changé entre 1998 et 2014 qu'entre 1971 et 1991. Sur le plan matériel, mais surtout dans les mentalités. Les gens ont changé en mieux à un degré que je ne soupçonnais pas ! Ils se sont rapprochés de la mentalité joyeuse et accueillante des Italiens, auxquels je suis très attaché?

Propos recueillis par Magali de Bienassis (lepetitjournal.com/Varsovie) ? Mercredi 25 mars  2015

La version courte de cette interview est également en page 49 de notre magazine "1an en Pologne - 2014" à télécharger en cliquant ici: http://bit.ly/1AkhlFB

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Publié le 24 mars 2015, mis à jour le 25 mars 2015