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« Balades en blues sur la Venise du Sud », le nouveau livre de Khady Fall Faye-Diagne

Balades en blues sur la Venise du Sud est un véritable ravissement porté par un style et une langue exquise et éblouissante. À travers de la pure poésie imagée au langage inventif et de la prose poétique, l’auteure, nourrie à l’exil de voyages lointains, nous dresse le portrait empreint de nostalgie de sa ville de naissance, Saint-Louis du Sénégal, où se cristallisent les images, les valeurs, les actes qui font de l’enfance un royaume idéal. La poétesse retrouve ici les accents de la nostalgie senghorienne ainsi que celle, césairienne, du retour au pays natal. Plus qu’un texte, c’est une ode à Saint-Louis du Sénégal, espace de métissages et de rencontres. Métissage biologique (les signares), culturel (intégration des cultures africaines, européennes, arabes, mauresques) ; rencontres des langues (langues africaines et européennes), des religions (musulmane, chrétienne, pratiques traditionnelles).

« Balades en blues sur la Venise du Sud » est le nouveau livre de Khady Fall Faye-Diagne.« Balades en blues sur la Venise du Sud » est le nouveau livre de Khady Fall Faye-Diagne.
Écrit par Jean-Michel Bardin
Publié le 29 février 2024, mis à jour le 8 mars 2024

Khady Fall, dans votre livre vous évoquez avec nostalgie le royaume d'enfance. Pourquoi parler de votre terre natale comme d’une sorte de paradis perdu …?

La ville de Saint-Louis où je suis née est située au nord du Sénégal. Classée aujourd’hui sur la liste des patrimoines de l’Unesco, cette ville créée en 1659, a été la capitale de l’Afrique occidentale française de 1872 à 1957, durant la période coloniale. Mais les livres d’histoire ont oblitéré la période anté-coloniale d’une Afrique florissante et prospère, déployée sur de puissants royaumes et empires, régie par un système social très codifié et des traditions ancestrales. 

J’évoque cette enclave d’une société monolithique au carrefour des cultures africaines, arabes, européennes, caribéennes, dans laquelle nos parents et grands-parents nous ont élevés. J’évoque cette vie d’antan teintée d'élégance et de douceur : le raffinement des pagnes et bijoux faits avec soin à la main, l’art des conversations chantantes et imagées, les règles de bienséance exigeantes. Les familles bourgeoises saint-louisiennes ont su faire des traditions un véritable art de vivre, à la fois précieux et charmant. J’évoque enfin les années d’insouciance d’une enfance onirique baignée dans une douceur protectrice, ces festivités et agapes spectaculaires qui rythment aujourd'hui encore la vie des Saint-Louisiens.

 

Le temps semble s'être arrêté à Saint-Louis du Sénégal.
Saint-Louis du Sénégal (@ Flickr)

 

Votre écriture rend compte d’une longue période d’errance, d’une vie d’exil. Vous en parlez avec une certaine mélancolie…

Vous savez, l’exil est une réalité indissociable de celui qui traverse des pays, des océans, des continents. On oublie que quitter la terre natale n’est pas un choix apaisé et rime souvent avec la mort symbolique d’une part de soi. Vivre en exil, c’est faire le deuil d’une certaine histoire personnelle, renoncer à la linéarité des traces d’une vie d’avant. Vivre en exil, c’est, pour les natifs d'ailleurs, s’enraciner de nouveau dans une terre inconnue comme un rhizome, se “fractaliser” en identités multiples, se forger une histoire additionnelle, qui, loin d’être dichotomique, nourrit de sa richesse et de ses expériences kaléidoscopiques l’histoire collective du pays d’accueil. Écrire l’exil, c’est ôter le voile de pudeur qui enveloppe les espérances et les rêves projetés, les angoisses de l’oubli dûes à l’éloignement. Écrire l’exil, c’est livrer cette part d’intranquillité d’une identité en perpétuelle construction. Écrire l’exil, c’est raconter les bifurcations d’une trajectoire sans cesse déviée par les fluctuations des voyelles accolées aux vocables “migrant” ou “patrie". Et c'est peut-être un peu de tout cela dont il est question dans ce recueil. 

 

Les femmes saint-louisiennes étaient très élégantes.
Femme saint-louisienne dans les années 50 (@ mamma kassé)

 

Quelles sont vos sources d’inspiration ? Votre écriture semble mêler plusieurs horizons littéraires et culturels. 

En Afrique, la littérature pluriséculaire s’est longtemps faite exclusivement par l’oralité, à travers la figure du griot appelé “dyali”, en Afrique occidentale.  Il est l’équivalent du troubadour, du généalogiste, du conteur, de l'aède grec, du guérisseur. Le Griot joue un rôle fondamental dans la transmission inter et intra générationnelle et nourrit l’imaginaire collectif. Et certainement, lorsque les mots viennent de ce “locus amoenus”, ils s’habillent inconsciemment des paroles de cette figure tutélaire. Par ailleurs, probablement, mes lectures poétiques favorites (Césaire, Damas, Nimrod, Du Bellay ou Ronsard, Baudelaire, Rimbaud ou Verlaine, Aragon ou encore Apollinaire) qui me servent d’innutritions, transpirent dans l'écriture, au détour d’une structure ou d’un vers. On devine aussi dans certains textes des échos de formes poétiques anciennes comme le dithyrambe, l’éloge, l’ode, le chant gymnique. Enfin, il est un univers de création que je trouve très prolifique et inspirant : l’écriture rhapsodique des slameurs Gaël Faye, Grand Corps malade, Capitaine Alexandre. J’aime leur rapport à la tension de la voix, par le rythme, le phrasé. J'aime la profondeur et la corporéité de leurs mots. C’est plus souvent, plus immédiat : un mot capté dans la rue pour son originalité, une intonation chantante qui me séduisent et me reviennent à l’esprit plus tard.  C’est de cette kyrielle d’univers poétiques que je puise une inspiration. 

 

Depuis quel lieu écrivez-vous ? Ecrivez-vous uniquement en prenant la posture d’un écrivain africain ? ou est-ce plus complexe ?

 Y a -t-il réellement un lieu, un territoire d’écriture ? Pour moi, c’est une question à laquelle il est difficile de répondre. J'écris d’ici et de là-bas, depuis plusieurs lieux à la fois, m’inspirant d’ambiances, de couleurs, d’odeurs, d’images qui se mélangent et fusionnent. J'écris des mots qui enjambent des passerelles et des ponts entre plusieurs cultures, plusieurs océans. L’Europe et l’Afrique se croisent aux confluences de l’Atlantique. L'Asie me berce par ses effluves, sa douceur et la pudeur de son peuple qui me rappellent tant les images de mon enfance. J’écris avec toutes ces strates de vies et d’expériences à la fois individuelles et universelles qui font de moi ce que je suis. 

 

Le tiebou dieune est un plat traditionnel saint-louisien.
Tiebou dieune, plat traditionnel saint-louisien (@ folly Bah Thibaut)

 

Dans certains poèmes, on y lit des mots d’autres langues. De quelles langues s’agit-il, et pourquoi ? 

Certains textes comportent des passages en wolof ou en pulaar. Parce qu’au moment d’écrire ces vers, ces lignes, leur surgissement s’est fait plus spontanément dans ces langues.  Cela nous rappelle que la langue française est perpétuellement en contact avec les langues parlées localement. Certaines zones pratiquent le plurilinguisme, la diglossie, ou le bilinguisme. Dans le cercle familial, il arrive que la langue du père ne soit pas la langue maternelle, ou que la langue des grands-parents soit différente de celle de la famille cellulaire. Aussi, tous les jeunes africains ont naturellement appris à parler deux ou plusieurs langues pour communiquer socialement. L’apprentissage du français est venu complexifier ces configurations linguistiques :  langue scolaire, langue officielle, elle s’est imposée parfois comme une langue de prestige, associée à une élite sociale. Et progressivement, elle a menacé l’existence de dialectes dans certaines zones, les supplantant parfois.  Bien que la langue française soit devenue la langue de communication la plus largement partagée en Afrique, les populations usent du switching code pour tirer parti de son potentiel et de son expressivité. Ainsi, elle côtoie indifféremment les autres langues et sert de langue utilitaire et d’alternative dans certaines situations.  

 

Un mot pour finir…

 Le monde est aujourd'hui un grand village où la notion de frontières est très perméable. A ce titre, nous sommes tous voyageurs et habitants du monde entier. Nous sommes donc des passeurs de langue, passeurs de cultures, car l’Histoire et l’actualité ont rapproché les Humains et joint leurs histoires individuelles. Ces histoires, rêves avortés de jeunes en quête d’une vie meilleure, dérivées par les houles meurtrières de l’Atlantique, s’écrivent encore trop souvent sous forme de contes cruels. Et écrire devient une nécessité, tant que le sort ne se brisera pas …

 

L'architecture saint-louisienne est pittoresque.
Architecture saint-louisienne

 

Khady Fall FAYE-DIAGNE est chercheuse en post- doctorat sur la posture des écrivaines afro-descendantes dans les littératures contemporaines. Elle vit à Singapour depuis 2020 et y exerce la fonction de formatrice, de conseillère pédagogique. Elle est l’auteur d’un essai Le marronnage comme essai d’esthétique littéraire négro-africaine contemporaine : Senghor et Césaire ou la langue décolonisée (2018) et d’un premier roman Les Amazones de Sangomar (2020).

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