Découvrez le quartier de Ruzafa à Valencia avec Carlos Cervera

Ce qui est remarquable à Ruzafa, c'est cette capacité à changer d'atmosphère en franchissant simplement une rue. Chaque communauté y a sculpté son propre univers, créant des espaces distincts, tout en partageant harmonieusement l'espace commun.

Le Mercat de Russafa : un carrefour de cultures à Valencia

Nous nous sommes donné rendez-vous devant le Mercat de Russafa, le deuxième plus grand marché de la Communauté valencienne après le Mercat Central. Il est encore tôt et les stands sont bien garnis. Carlos Cervera nous fait signe et nous passons entre les étals, admirant les produits qui s’offrent à nous. 

Construit en 1957, dans un style brutaliste qui jurerait presque avec le reste du quartier, ce marché est une porte d'entrée sur l’univers unique de Ruzafa. À côté des traditionnels stands de primeurs, boucheries et autres poissonneries - ces dernières reléguées dans un espace distinct, peut-être en raison de leur odeur ou de leur nombre imposant - se trouve une assez grande concentration d’étals tenus par des étrangers. 

Ils y proposent des produits de leur pays d’origine (italiens, grecs, latino-américains, maghrébins…) et un autre étal s’est même spécialisé dans les algues comestibles. Un bon moyen de comprendre que le quartier que l’on connaît aujourd’hui s’est construit sur deux fondations : son lien ancestral avec la mer et l'arrivée croissante de populations étrangères, qui lui donnent ce cachet inimitable dans la ville. 

Ruzafa, le village devenu quartier

Carlos a passé toute son enfance dans ce quartier situé juste au sud du centre-ville de Valencia. Il y a gardé de la famille, des amitiés, des habitudes et surtout une très bonne connaissance historique des lieux. Guidant nos pas, il nous conduit vers une rue où se trouve au sol un détail «souvent ignoré par les passants distraits».

Là, à nos pieds, repose une plaque où on peut lire “Chemin de Ruzafa à l’Albufera par Montolivet”. Ce modeste morceau de métal, incrusté dans le pavé, est un rappel des chemins empruntés par les générations précédentes, quand Ruzafa n'était qu'un village. C’est ici, autrefois, que s'élançait une route vers deux sources vitales pour les pêcheurs qui vivaient à Ruzafa : la mer, naturellement, et l'Albufera, alors plus vaste, offrant un espace de pêche qui faisait vivre toute l’économie locale.

Aujourd’hui, on imagine mal ce quartier comme une entité distincte de la ville, ne serait-ce qu’en raison de sa proximité avec le centre et de son rayonnement culturel. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Ruzafa n'a pas toujours été une partie intégrante de Valencia. Pendant longtemps, les frontières de la ville se limitaient à ses murailles fortifiées.

Ce n’est qu’en 1877 que Ruzafa y a été intégré ; un mouvement qui sera suivi par de nombreux villages aux abords de Valencia, petit à petit absorbés pour créer la ville que l’on connaît aujourd’hui. Une partie de Ruzafa, antérieure à cette fusion, conserve les traces de son autonomie, faisant de ce quartier un lieu où résonnent encore les échos d'une indépendance passée.

Du village traditionnel au quartier branché et cosmopolite

Nous nous dirigeons vers les rues qui serpentent en direction des lignes de train. « Ce qui est impressionnant à Ruzafa», commente Carlos, « c’est que l’on peut passer deux rues et se retrouver dans une ambiance tout à fait différente. Ici, par exemple, on voit des tas de boutiques marocaines qu’on ne penserait pas trouver en plein milieu de Valencia. Chaque communauté a son espace dans lequel elle vit et où elle a créé des univers qui lui sont propres, mais tout le monde se déplace et se partage l’espace commun une fois dehors.»

Durant sa jeunesse, le quartier n'avait pas encore cette allure cosmopolite qui lui vaut aujourd'hui sa réputation de "quartier hipster" ou "bobo", prisé des étrangers. « Pour les enfants qui grandissent à Ruzafa maintenant, c’est une chance de voir qu'il y a d’autres ethnies et cultures que la leur.»

 

Les raisons d’un succès 

Selon Carlos, cette transformation s'est amorcée il y a environ quinze ans. Valencia, en pleine expansion, a vu Ruzafa devenir un havre privilégié : plus abordable que d'autres quartiers, proche du centre-ville et de la mairie, et surtout, une atmosphère de village préservé qui a beaucoup contribué à son succès. Les nouvelles populations ont commencé à investir les lieux et la vie dans le quartier a complètement changé. 

Désormais, Ruzafa se décline en plusieurs espaces : au nord et autour du marché, une zone prisée par les familles et les enfants ; en son cœur, un quartier festif avec des bars et des lieux de rencontre ; et à l'ouest, un secteur plus résidentiel, parsemé de petits commerces. Chaque partie du quartier valencien vibre au rythme des habitants et des cultures qui y habitent.

Quand la nuit redessine le territoire 

Ce qui a fait la réputation de Ruzafa pour beaucoup de néo-Valenciens ou de touristes, c’est plus particulièrement sa vie nocturne et festive. Une réputation qui s'est forgée grâce aux nombreux bars, boîtes de nuit et autres lieux qui s'illuminent et se remplissent de locaux et de touristes, à la tombée de la nuit. Cette effervescence juvénile a radicalement modifié l'image de Ruzafa, le métamorphosant, selon Carlos, en un « quartier de loisirs » aux yeux du monde extérieur. Toutefois, cette perception est différente quand on s’y rend en journée.

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Au-delà des néons, la face paisible de Ruzafa

Notre visite était plutôt matinale, nous avons donc pu apprécier le côté plus tranquille de Ruzafa. Une facette que connaît bien Carlos, très engagé dans la vie locale en tant que fallero et membre de groupes de danses traditionnelles valenciennes. Cet attachement à l’histoire, et notamment celle de son quartier, lui confère une grande connaissance des sites historiques qu'il a tenu à nous faire découvrir. 

En quittant le marché, notre chemin nous mène devant le couvent de Nuestra Señora de los Ángeles. Reconstruit après la guerre civile, ce couvent "clos" – où les moines vivent reclus – n'abrite plus que six frères franciscains. Ils prient et travaillent dans cet espace figé dans le temps, isolé du monde extérieur, alors que tout autour, le quartier poursuit sa mue.
Des anecdotes comme celles-ci, Carlos en a beaucoup d’autres, comme les histoires qui entourent l'église. Il vous les raconte en espagnol dans cet extrait sonore : 

 

Ce quartier historique, c’est le Ruzafa que Carlos aime faire découvrir aux visiteurs. Et l’un des aspects qui selon lui représente le mieux cette authenticité est l’artisanat qui y perdure. Voyage audio dans l’une des boutiques de céramique les plus anciennes de la région valencienne : Carbonnell Ceramica.

Le quartier change, les boutiques sont reprises, les restaurants étrangers ouvrent… Mais certaines habitudes historiques demeurent. Par exemple, le quartier de Ruzafa s’est fait une spécialité d’accueillir la plus grande concentration de boutiques de seconde-main et vintage, qui s'étendent le long de quelques rues. 

Cela rappelle les commerces d'autrefois, où des quartiers entiers étaient dédiés à un type spécifique de produits. Tout comme il y avait des rues de chapeliers, de teinturiers, ou des quartiers spécialisés dans la viande, le cuir ou la bijouterie, Ruzafa perpétue cette tradition à sa manière. Ces boutiques de seconde-main - que ce soit le fruit d'une intention délibérée ou d'un heureux hasard - forment une sorte d'hommage moderne aux organisations commerciales d'antan.

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Du vert sur les rails

« Durant des années, Ruzafa était perçu comme le parent pauvre de l'Eixample, un quartier moins prestigieux, moins soigné, moins attrayant, où les bâtiments laissaient à désirer.», nous confie Carlos. Mais aujourd'hui, la donne a changé de manière spectaculaire. Ruzafa est devenu le théâtre d'un vaste projet de rénovation et de préservation, un renouveau impulsé par l'arrivée de nouvelles populations qui ont choisi d'investir dans le quartier. Signe que les temps changent, le collège où Carlos a passé des années a été détruit pour être remplacé par un nouvel établissement scolaire, plus grand et mieux équipé, capable d'accueillir un nombre croissant d'élèves. Écoutez cet extrait sonore en espagnol pour en savoir plus sur ses souvenirs de collège :

Mais le projet le plus ambitieux qui attend Ruzafa se situe à l'est, où s'étend déjà le Parc Central, récemment ouvert au public. Ce parc est né d'une initiative d'envergure destinée à transformer radicalement le sud de Valencia : l’enfouissement complet des lignes de train et la mise en place d’espaces verts sur toute cette surface gagnée. Le Parc Central représente la première phase du projet. L'idée est de prolonger cette requalification verte depuis le début des voies ferrées, à la sortie de la gare, jusqu'aux limites extérieures de Valencia.

Un projet dantesque « que je ne verrai probablement pas se réaliser de mon vivant, ou alors seulement dans mes vieux jours», plaisante Carlos. Ce vaste Parc Central, dont l'achèvement est prévu dans un avenir lointain, pourrait radicalement transformer la circulation des personnes dans le sud de Valencia. Ce changement aura inévitablement des répercussions sur Ruzafa, avec des impacts qui pourraient être positifs ou négatifs – l’avenir nous le dira.