A QUOI REVENT LES SINGAPOURIENS - Un Singapour pour les Singapouriens

Si vous êtes allés au cinéma récemment, vous avez peut-être vu ce petit film dans lequel un coiffeur à l'ancienne raconte ses débuts dans le métier, son quotidien...comme un rappel de l'île et de sa mémoire. Au moment où Singapour continue de se développer et de se transformer, les Singapouriens ressentent le besoin de réaffirmer ce qui constitue leur identité nationale et leur appartenance à l'île. C'est l'une des grandes perspectives ébauchées par Our Singapore conversation, ce dialogue lancé en 2012 par le gouvernement pour connaître les attentes des citoyens.

 

"Je voudrais voir un Singapour où les immeubles ne sont pas juste des bâtiments commerciaux"
L'une des perspectives ouvertes dans le cadre de "Our singapore conversation" s'intitule "Un Singapour pour les Singapouriens". Dans cette étude, plusieurs personnes interrogées affirment leur besoin de préserver l'identité du pays. S'ils se reconnaissent volontiers dans l'image commerciale, capitaliste et pragmatique souvent associée à Singapour, ils estiment aussi qu'elle ne se limite pas à cela et que la vitesse de développement de la cité lui a fait perdre une partie de ses repères et de son âme. Un intervenant commentait ainsi : « Je voudrais voir un Singapour ou les immeubles ne soient pas juste des bâtiments commerciaux. Je veux que Singapour construise et promeuve ses traditions d'il y a vingt ans, comme des cafés (sans air conditionné s'il vous plait), des boutiques de mamas* des boutiques de barbier malais »… Les personnes interrogées ont aussi fait un certain nombre de propositions pour une meilleure préservation de ce qu'ils considèrent comme des fondamentaux de la culture nationale, comme le singlish ou certains sites historiques.

2,1 millions d'étrangers
Sur les 5,4 millions d'habitants que compte aujourd'hui Singapour, 2,1 millions sont des étrangers. La tendance va aller en s'accentuant, selon les prévisions du National Population and Talent Division (NPTD), qui imagine en 2030 une population atteignant entre 6,5 et 6,9 millions d'habitants dont seulement 3,6 à 3,8 de Singapouriens. Face à cette arrivée massive, l'attitude des Singapouriens est plutôt partagée. Certains appréhendent que ces travailleurs étrangers ne mettent sous pression le modèle social de l'île. Ils estiment que l'arrivée des étrangers ces dernières années a été trop rapide, qu'elle a créé "une pression sur les infrastructures, une compétition excessive pour les bourses (..), et une augmentation du prix de l'immobilier". Si la plupart des personnes interrogées reconnaissent l'importance d'attirer des immigrants aux compétences précises, quelques uns leur reprochent aussi d'être en compétition avec les Singapouriens sur le marché du travail. Un des participants remarque ainsi : "Je pense que très peu de Singapouriens ont des problèmes avec les chercheurs,  les docteurs, les spécialistes, etc... Les problèmes commencent quand les permis de travail sont donnés à des postes qui pourraient être pourvus par des Singapouriens".

Tensions sur les visas
Les inquiétudes des habitants sont surtout cristallisées autour des cadres employés en employment-pass (EP). Mais cette focalisation ne reflète pas forcément la réalité de l'immigration. Les EP ne constituent que 12% des permis de travail. 13% des visas attribués par le pays sont en fait des work permits destinés aux maids, dont les familles singapouriennes apprécient visiblement l'aide. Et surtout la majorité des visas attribués sont des work permits (46%), destinés à des ouvriers, des personnes peu qualifiées. Les patrons de PME Singapouriens comptent d'ailleurs beaucoup sur ces derniers, faute de pouvoir attirer des Singapouriens. L'un de ces patrons témoigne ainsi : "Je vais rencontrer beaucoup de difficultés d'exploitation dans moins de 10 ans (…). Difficultés à recruter et à retenir les jeunes talents dans notre entreprise de PME. La restriction du nombre des travailleurs étrangers par le ministère de l'emploi rajoute encore à mes soucis et à la permanence à long terme de mon entreprise".

Beaucoup à l'intérieur du groupe de réflexion ont d'ailleurs mis en garde contre les sentiments anti étrangers et souligné que Singapour s'est construite par l'immigration. Ils insistent sur l'importance pour les habitants d'être ouverts d'esprit.

Les auteurs du rapport concluent l'exercice en pointant la nécessité de s'interroger sur la société que les gens attendent et la vision qu'ils ont de Singapour dans le futur. La question fondamentale serait donc d'équilibrer la politique d'embauche des travailleurs étrangers en tenant compte des inquiétudes de certains habitants. Mais, insiste le rapport, en n'oubliant pas que les immigrants prennent des postes dont les habitants, souvent, ne veulent pas,  et que beaucoup de Singapouriens travaillent dans des secteurs qui dépendent du travail étranger. Les dernières décisions du ministère de l'emploi vont plutôt dans le sens des inquiétudes des habitants : à partir du 1^er janvier prochain, le salaire nécessaire pour embaucher un étranger en Employment pass va ainsi passer de 3.000 à 3.300 dollars.

Agnès Noël (www.lepetitjournal.com/singapour) Republié jeudi 10 juillet 2014

A lire sur le sujet, le portail du National Heritage Board et  le blog Paris Singapour

Cet article s'inspire des conclusions de la grande consultation menée auprès des Singapouriens dans le cadre de  "Our Singapore Conversation". Chaque contribution a fait l'objet d'une synthèse disponible sur le site OurSGConversation.

Les 12 perspectives dessinées par le grand dialogue (en anglais): a society 1- with diverse definitions of success, 2- with a more fulfilling pace of life, 3- with a strong and vibrant Economy, 4- with Strong families, 5- That is affordable to live in, 6- where everyone can age with dignity, 7- That take care of the disadvantaged, 8- with a Greater sense of togetherness, 9- for Singaporeans, 10- Where Government and the People have a more collaborative relationship, 11- anchored on values, 12- with a competent and trustworthy government.

Lepetitjournal Singapour propose dans une série d'articles "A QUOI REVENT LES SINGAPOURIENS" d'aborder, l'une après l'autre, chacune de ces perspectives.