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JACKY DEROMEDI – Retour d’expérience sur 2 ans au Sénat

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 16 juin 2016, mis à jour le 18 juin 2016

Jacky Deromedi est, depuis septembre 2014, l'une des 12 sénateurs représentant les Français de l'étranger. Chef d'entreprise et engagée à de multiples titres dans la communauté française de Singapour depuis qu'elle s'y est Installée en 1988, elle exerce ce nouveau rôle de sénateur entre Singapour et Paris. Elle revient pour lepetitjournal.com sur cette expérience hors du commun, commentant la manière dont elle travaille, les sujets qui lui tiennent à c?ur, et ceux, comme le bio dans les cantines scolaires ou les néonicotinoïdes*, qui ont récemment nourri des débats animés dans les forums.

Comment s'organise la vie d'un sénateur entre la France, Singapour et, on l'imagine, de nombreux déplacements à l'étranger ?

Jacky Deromedi - Cela fait 28 ans que j'habite à Singapour. J'ai, avec la cité Etat, un lien qui m'est cher. Quand je suis à Singapour, j'ai une grosse activité. Je suis toujours impliquée dans Aprim, la société que j'avais créée, même si celle-ci a aujourd'hui été reprise par mon fils. J'ai abandonné par contre un certain nombre de fonctions que j'exerçais de manière bénévole telles que la présidence des CCE, pour me consacrer presque totalement à mes activités au Sénat, y compris lorsque je suis à Singapour.

Comment vous organisez-vous sur le plan pratique ?

- Je travaille avec 3 collaborateurs (un à Singapour, un à Paris et un à St Flour). Tout, y compris les propositions d'amendements, se fait par e-mail. Mon métier, c'est d'être à l'étranger. Quand je viens à Singapour, je m'attache chaque fois à me rendre dans au moins un autre pays de la région. Ce qui est compliqué pour les sénateurs, par opposition aux députés, c'est qu'ils couvrent chacun le monde entier. Cela pose des problèmes dans les pays : certains, comme Singapour, voient passer 5 ou 6 sénateurs chaque année ; d'autres pays ne voient personne.

Est-ce que s'organise entre les sénateurs une forme de répartition des rôles ?

- Non. Mais c'est une particularité des Sénateurs des français de l'étranger que de travailler très bien ensemble, au-delà des clivages qu'on voit habituellement entre les différentes familles politiques. On va porter des sujets ensemble. Tout le monde a bien compris que, de cette manière, on est plus fort.

Dans quelle mesure votre ancrage à Singapour nourrit-il votre activité de sénateur ?

- Quand je suis à Singapour, j'anime une permanence parlementaire, je rencontre les conseillers consulaires et les associations. C'est au contact de ces personnes et des réalités qu'on prend la mesure des choses. Il y a des sujets récurrents tels que l'école, les procédures administratives, la fiscalité? Il y a aussi des choses que je découvre. La situation des enfants autistes fait partie de ces réalités dont je dois avouer, à mon corps défendant, que je n'en avais pas une conscience précise. C'est un sujet qui me passionne, car pour les familles qui sont concernées, il y a comme une double peine : à la difficulté d'élever un enfant autiste, s'ajoutent des problématiques financières pour payer les AVS (Auxiliaires de Vie Scolaire) ou les soins, qui représentent un budget très lourd. Il y aurait à Singapour 70 familles françaises ayant un enfant souffrant d'un handicap de ce type. Voilà un exemple de difficultés dont Singapour, parce que c'est petit et parce que les informations remontent plus facilement, me permet de mesurer l'acuité et que je peux porter au Sénat parce qu'il s'agit d'un sujet de portée générale ; pour les Français de l'étranger, mais aussi en France.

Quelle importance accorde-t-on, en France, aux sujets liés aux Français de l'étranger ?

- Globalement il y a peu d'espaces pour ces sujets. Les Français de l'étranger sont des gens très courageux. Ils jouent un rôle très positif pour l'image de la France et pour maintenir sa place dans la compétition mondiale sans que cela coûte rien à la France. Ils méritent qu'on prenne soin d'eux. L'image que les Français de l'étranger continuent d'avoir en France est celle de personnes riches et confortablement installées. Mais ce n'est pas le cas. A Singapour même, les gens sont loin de rouler sur l'or. Il y a beaucoup de jeunes qui viennent sur place en contrat local ou en créant leur propre entreprise. Compte tenu du coût de la vie sur place, ils vivent en colocation à 3 ou 4. Il y a de moins en moins de personnes expatriées par leur entreprise et disposant d'un « package d'expatriation » particulier.

Dans le cadre des primaires au sein de ma famille politique, la manière dont je vois mon rôle n'est pas de faire campagne pour l'un ou l'autre des candidats mais de transmettre à chacun les sujets des Français de l'étranger et de travailler avec eux sur les solutions qu'ils peuvent envisager.

Quels sont ces sujets ?

- Parmi les sujets, il y a la problématique des enfants autistes dont on parlait tout à l'heure. Il faudrait, en toute logique, que l'Education Nationale, via l'AEFE, apporte une aide. Sur le plan local, les établissements ont rarement les moyens d'intervenir sur leurs ressources propres.  A Singapour, le budget de l'établissement est très tendu du fait des investissements qui ont dû être consacrés aux programmes d'extension des bâtiments. Une solution pourrait être d'obtenir des parents, par le vote, qu'ils acceptent le principe que les AVS soient pris en charge dans le cadre d'une augmentation des frais de scolarité. Mais ceux-ci sont déjà très élevés et les familles ne sont plus du tout dans les situations qu'ont longtemps connu les expatriés dont les frais d'éducation étaient pris en charge par l'employeur. C'est de moins en moins le cas. Pour les familles dont un enfant est autiste, l'AVS représente un coût important, de l'ordre de 15000 $, de même que les soins de rééducation : 5000$.  Je suis en contact régulier avec l'AEFE et suis administrateur de l'Association Nationale des Ecoles Françaises à l'Etranger (ANEFE). C'est bien sûr un problème que je remonterai à ce niveau, pour qu'on envisage une forme d'allocation qui pourrait être variable selon les revenus.

Je suis aussi très sensibilisée, en tant que Vice-Présidente du groupe cancer au Sénat, à la situation des personnes atteintes d'un cancer et particulièrement lorsqu'il s'agit d'enfants. L'une des causes de décès des enfants atteints de cancer est que les médicaments développés pour les adultes ne sont pas adaptés aux enfants. Quand on cherche l'explication d'une telle situation, les laboratoires répondent que le « marché » des enfants est trop réduit pour justifier des dépenses de R&D. Ce n'est pas acceptable. Il y aurait lieu sur ce sujet de faire évoluer la législation pour que les laboratoires prennent en compte la nécessité de développer des médicaments pour les enfants.

Sur l'Environnement, deux sujets, celui de proposer 20% de produits bio dans les cantines scolaires et celui concernant les néonicotinoïdes, ont récemment provoqué des débats dans les forums, de quoi s'agit-il sur le fond ?

- Sur la question des produits bio dans les cantines. En 2012, Le Grenelle de l'environnement prévoyait que l'agriculture bio puisse atteindre 20% de la production agricole totale. Actuellement, la part du bio n'est que de 4,5%. Il en résulte que l'offre de produits bio en France, aujourd'hui, n'est pas suffisante. Si on devait imposer que les cantines proposent 20% de produits bio, cela introduirait une tension sur les marchés qui, immanquablement, amènerait à s'approvisionner à l'étranger. On proposerait des produits bio dans les cantines, mais ce serait des produits importés, dont le transport, par principe, n'est pas très cohérent avec l'objectif de développement durable, qui plus est élaborés dans des pays où les normes qui permettent de labelliser les produits bio sont moins contraignantes qu'en France, où les critères sont très exigeants. Sur les producteurs bio français, dont le coût de production est supérieur à celui des voisins, notamment du fait de ce niveau d'exigence, cela aurait l'effet inverse à celui escompté : les produits moins chers de l'étranger condamneraient le développement des cultures bio locales. Notre position sur le sujet est que plutôt que sur le bio, c'est sur l'agriculture de proximité qu'il faut mettre l'accent en décidant que 40% des produits servis à la cantine soient des produits de proximité. Il y a énormément d'agriculteurs en France qui, sans faire du bio, font, notamment en agriculture raisonnée, des produits de très grande qualité. C'est ce réseau de proximité qu'il faut encourager.  

Le fait est que, même lorsqu'on cherche des informations, ce qui est mis à disposition du public, tel que les minutes des débats au Sénat, est illisible.

- Il y a sur ce sujet, comme sur d'autres, un vrai problème de pédagogie quant aux décisions des politiques. Les intéressés en sont les premiers responsables, mais il faut aussi remarquer que, dans un certain nombre de circonstances, la manière dont les media rapportent l'information, n'aide pas à la compréhension.

Qu'en est-il du débat sur les néonicotinoïdes* ?

- Sur ce sujet, c'est le même défaut de communication qui est à l'?uvre. Du coup, on voit fleurir dans les forums des commentaires donnant à croire que les sénateurs seraient contre les abeilles, qu'ils subiraient la pression de lobbys et soutiendraient des produits dont la nocivité pour les abeilles serait avérée.

Nous ne sommes pas contre les abeilles. Comme d'autres, nous sommes extrêmement attachés à protéger ces agents de pollinisation qui sont des maillons essentiels de la vie. En l'occurrence le débat portait sur l'interdiction d'un produit spécifique. Notre conviction, c'est que si des produits tuent les abeilles, il faut les interdire, et tout de suite, sans attendre 2018, et quelles que soient les problématiques liées à l'existence de stocks chez les agriculteurs. Ce que nous disons par contre, c'est que ce n'est pas au Sénat de se prononcer sur la nocivité ou l'absence de nocivité d'un produit donné, c'est le travail d'un organisme, l'ANSES, que de réaliser une étude qui permette de le déterminer. Le rôle du Sénat est de fixer le cadre légal général, pas d'intervenir sur un produit particulier.

A titre personnel, je ne rencontre jamais les personnes ou associations qui veulent faire du lobbying auprès des élus. Mon analyse des sujets et la préparation de mes interventions je les fais en consultant les professionnels.

Propos recueillis par Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) vendredi 17 juin 2016

*(Source wikipedia) Les néonicotinoïdes sont une classe de produits toxiques employée comme insecticides agissant sur le système nerveux central des insectes. Ces substances sont utilisées principalement en agriculture pour la protection des plantes (produits phytosanitaires) mais aussi par les particuliers ou les entreprises pour lutter contre les insectes nuisibles à la santé humaine et animale (produits biocides).

**ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.

logofbsingapour
Publié le 16 juin 2016, mis à jour le 18 juin 2016

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