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PORTRAIT D’ARTISTE - Andrée Weschler, de l’Europe à l’Asie

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 20 avril 2014, mis à jour le 21 avril 2014

Rencontre avec Andrée Weschler. Celle qui est au quotidien l'âme de la French Bookshop, est d'abord une artiste accomplie, dont le travail, qui s'exprime de manière privilégiée sous la forme de performances, l'amène régulièrement à participer à des expositions internationales dans lesquelles elle représente Singapour.

Andrée Weschler
On retrouve Andrée Weschler à l'intérieur de The French Bookshop*, petit écrin dédié aux livres en français, niché au cœur du quartier de Tiong Bahru. Elle nous y accueille avec un sourire serein et générosité. Au mur, une série d'aquarelles signée Hélène Averous, "notre artiste du mois" précise Andrée. "Chaque mois, la librairie invite un artiste et est ainsi devenue une vitrine pour de jeunes artistes qui font découvrir leur art. De fait ces créations artistiques ajoutent une dimension culturelle à la librairie". Le programme artistique est planifié jusqu'en mars 2015 – "Moi aussi je me souviens de ma première exposition qui a pris place dans un pub situé au sous-sol dans le quartier de Ginza à Tokyo". Après le Japon et la Corée, les expositions et installations se sont enchaînées à Singapour où elle vit depuis 20 ans, tantôt ravie par l'environnement qu'elle y a trouvé, particulièrement dans sa démarche d'artiste, tantôt un peu à l'étroit dans l'espace de la cité Etat.

Quel a été votre parcours ?
Après des études de lettres, j'ai commencé à enseigner le Français Langue Etrangère (FLE). Je ne me sentais pas à ma place dans l'enseignement. A Singapour, je me suis inscrite à la Nanyang Academy of Fine Arts (NAFA), où j'ai suivi l'ensemble du cursus de formation aux Beaux Arts. J'étais avec des jeunes Singapouriens. C'était très sympathique. J'ai noué avec eux des contacts qui se poursuivent encore.
Dans le domaine de l'Art, le choix se faisait à l'époque entre Lasalle et NAFA. La première école était trop australienne à mon goût. Vivant en Asie, j'avais envie que ma formation soit aussi singapourienne que possible, même s'il s'est avéré, ironie du sort, qu'une très grande partie des professeurs avaient eux-mêmes étudié aux Beaux-Arts de Paris.

Après trois ans, j'ai bénéficié d'une bourse australienne pour aller étudier en France, dans l'atelier d'Annette Messager et ceci pendant un an, en 2000. Je suis ensuite revenue à Singapour sans la moindre hésitation. Je préférais en effet le contexte artistique de Singapour. En France, l'individualisme semblait régner alors qu'en Asie, c'est le groupe qui prévaut.

Comment décrire votre démarche artistique ?
Je fais essentiellement des performances. J'y suis venue par hasard, presque malgré moi, car je suis naturellement discrète et n'aime pas me mettre en avant. C'est un artiste singapourien, Lee Wen – The Yellow Man –, qui m'y a entraînée. En 2003 il m'a invitée à participer à un  événement auquel il prenait part. J'ai accepté par politesse alors que je n'en avais guère envie. Mais  je me suis dit que si je refusais une telle opportunité, on ne me proposerait plus rien. On m'a immédiatement attribué l'étiquette "performeuse".

La performance, comme terrain d'expression artistique, ouvre un vaste champ de liberté : voix, danse, mime, tout peut se conjuguer. Mon travail se nourrit certes de ma vie personnelle, mais l'Asie semble être mon catalysateur culturel et artistique. Les expositions sont parfois des exercices de style sur un thème. J'ai fait par exemple une performance avec de l'encre de Chine. C'était bien sûr une référence à la peinture chinoise. Je remplissais ma bouche de cette encre. Ce travail était une manière de représenter ma propre incapacité à m'exprimer.

Les performances sont par nature éphémères, quelles traces en conservez-vous ?
Ce qui reste des performances, ce sont des photos, des vidéos, pas toujours professionnelles. Il reste le souvenir. J'ai vécu de grands évènements et performances déjà oubliés. Mais n'est-ce pas le propre de Singapour, pays sans cesse tourné vers l'avenir et qui n'a pas du tout cette propension nostalgique qu'on vit en Europe ? C'est un peu douloureux si on a l'âme européenne de vivre dans un pays qui efface sans cesse le passé, à l'image de certains Singapouriens qui regrettent par exemple que leur école maternelle n'existe plus. Donnons le mot de la fin à  Ionesco "seul l'éphèmère dure".

Pouvez-vous nous parler de quelques-unes de ces performances ?

Andrée Weschler
La Vierge Velue

J'ai fait un long travail, toujours en cours, sur La Vierge Velue. La démarche est inspirée d'un ouvrage à succès du XVIème siècle écrit par Pierre Boaistuau : Histoires Prodigieuses, qui, parmi les portraits de monstres, présentait une vierge velue. Le titre m'a touchée parce que je suis très sensible au thème de l'exclusion. Je me suis fait un costume de femme velue et suis allée ainsi, dans l'espace public, à Singapour, Seoul, Tokyo et à Berlin !

On imagine que l'un des aspects de cette performance tenait aux réactions du public. Comment se sont-elles exprimées dans des lieux aussi différents ?
Les réactions ont été très diverses : à Singapour, les gens ont beaucoup utilisé leur portable, le iphone n'existant pas encore en 2004, pour photographier ou filmer et sans doute partager ce qu'ils voyaient. En Corée, rien ne se passait devant moi, les gens réagissaient de manière indirecte, en retrait. C'est tout l'art du photographe qui m'accompagnait que d'avoir saisi ces réactions qui s'exprimaient à mon insu. A Berlin, c'est moi qui me suis faite surprendre. Les gens ne semblaient avoir aucun tabou. Sur une photo, un passant intrigué vient me demander, simplement, ce que je fais et quelle est  la signification de ma performance....

Je finirai la série à Paris puisque c'est là que le livre a été écrit et publié. Ce sera sans doute plus difficile car tant qu'on est à l'étranger, on est d'une certaine manière protégé par sa propre ignorance et on jouit d'une plus grande liberté. Dans son pays natal, on connaît les codes, transgresser devient plus difficile.

La Carte de Tendre

En 2011, dans le cadre du festival Voilah ! de Singapour on m'a proposé de participer à une exposition à la galerie The Substation et de collaborer avec une artiste singapourienne, Lynn Lu. Nous avons présenté un travail sur la base de la Carte de Tendre imaginée par Mme de Scudéry.  Nous avons entrepris de réaliser une interprétation contemporaine de quelques villages de cette carte de l'amour dessinée au XVIIème siècle.

Lors d'une performance, dont Lynn Lu était l'initiatrice, on chuchotait et confiait nos histoires d'amour aux creux de l'oreille d'une personne du public. Cela créait pour l'intéressé(e) une forme de saturation, l'obligeant, avec les bribes qu'il entendait à droite et à gauche, à recréer lui-même une troisième histoire d'amour. Ceux qui ont participé à la performance, comme Olivier Massis, nous ont confié que c'était une expérience intime, troublante et passionnante à la fois.

Projection d'images sur un écran de Lait

En 2012, j'ai fait une exposition à Gilman Barracks. Le curateur de l'exposition, Lee Weng Choy, m'avait demandé d'imaginer un nouveau projet, audacieux et original. J'ai opté pour une projection vidéo sur du lait. Le fait de projeter non pas sur une surface solide habituelle mais sur une surface organique et instable apportait une nouvelle dimension à l'installation video. Le lait s'altéra, fut couvert de petit lait d'abord, puis cailla pendant les 10 jours de l'installation et fut finalement recouvert de moisissure. L'installation avait magiquement fusionné avec le thème qui était l'innocence.

Vous participez régulièrement à des expositions internationales dans lesquelles vous représentez Singapour. Comment se fait-il que Singapour se fasse représenter par une occidentale ?
Singapour est extrêmement active, à travers le National Arts Council,  dans le support aux artistes et le fait, en effet, sans préjuger de l'origine des intéressés. Je ne suis pas la seule artiste étrangère à être ainsi aidée par le gouvernement singapourien. Il y a beaucoup d'artistes malaisiens par exemple. C'est seulement plus voyant quand il s'agit d'une Occidentale. Cela confirme aussi l'ouverture artistique de Singapour.

Propos recueillis par Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) jeudi 24 avril 2014

Voir le site d'Andrée Weschler

* The French Bookshop, à Tiong Bahru, fait le bonheur d'une clientèle francophone et internationale qui peut y trouver de nombreuses références, dont une sélection de livres pour enfant. La convivialité du lieu s'étend aux artistes de toutes nationalités, à travers des événements mensuels : expositions temporaires de créations artistiques, séances de présentations et dédicaces de livres par leurs auteurs.

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Publié le 20 avril 2014, mis à jour le 21 avril 2014

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