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Alexandre Holroyd : sa priorité, “dématérialiser les services consulaires”

Le jeudi 15 février 2024, le député Alexandre Holroyd était en déplacement à Londres à l'occasion de la tenue d’une table ronde sur l’impact des futures élections américaines sur l'Europe. Le représentant des Français établis en Europe du Nord nous a accordé un entretien. Au programme : dématérialisation des démarches consulaires, relations franco-britanniques et lutte contre le dérèglement climatique : "Nous avons une trentaine d'années pour effectuer une bifurcation de l'ensemble du modèle de production et de consommation"

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Crédit Alexandre Holroyd
Écrit par Yoni Binh
Publié le 21 février 2024, mis à jour le 22 février 2024

Le dernier remaniement s'est tenu le 8 février dernier, et Franck Riester a été nommé ministre délégué des Français de l'étranger. Qu'est-ce que cela change pour vous et pour votre action ? 

Cela dépend à quel titre. Est-ce que cela change d'avoir un nouveau Premier ministre et un nouveau gouvernement pour le pays ? Bien évidemment, pour l'ordre du jour des priorités du pays pour l'avenir. En revanche, le fait d'avoir changé de ministre des Français de l'étranger, sachant que Franck Riester connaissait déjà très bien la question, ne change pas profondément les priorités que nous avons défendues. Nous serons amenés à poursuivre ce qu'Olivier Becht a engagé et ce que Jean-Baptiste Lemoyne avait fait avant lui.

Depuis 2017, nous essayons de dématérialiser les services consulaires le plus possible. S'il y a une chose qui est universelle chez tous les Français de l'étranger, c'est qu'ils sont tous amenés à faire des démarches administratives, et que dans beaucoup de cas, ils ont une expérience qui n'est pas tout à fait à la hauteur de leurs attentes. Cela est très frustrant, d'autant plus que dans ma circonscription, les expatriés arrivent souvent dans des pays où les procédures sont beaucoup plus simples. Donc nous allons poursuivre ce chantier, et le changement de gouvernement n'y changera rien. La remise des titres d'identité est un gros sujet pour le Royaume-Uni. Pour dématérialiser complètement la procédure, nous souhaitons poursuivre l'expérimentation qui est en cours au Canada et au Portugal en vue d'une généralisation. 

 

Il est évident que nous devrions réussir à simplifier le système

 

Comment la dématérialisation se passera-t-elle concrètement ? 

Aujourd'hui, faire son passeport ou sa pièce d'identité requiert de venir une ou deux fois au consulat selon les modalités de réception de passeport que vous choisissez. Pour quelqu'un qui habite à Bristol, le processus est très laborieux à organiser. Nous sommes donc en train de tester une version entièrement dématérialisée au Portugal et au Canada, grâce à des visioconférences sécurisées avec un système de reconnaissance faciale, afin de pouvoir authentifier quelqu'un à distance et lui éviter de faire l'aller retour. L'année dernière, plus de 50.000 titres d'identité ont été produits au Royaume-Uni. Il est évident que nous devrions réussir à simplifier le système comme les Britanniques le font, en ayant une procédure dématérialisée, au moins pour les renouvellements de passeport. Nous sommes sur la bonne voie mais cela va prendre du temps. 

 

 


Ma deuxième priorité est de trouver les modalités pour ouvrir le Pass Culture aux Français de l'étranger.

 

Ma deuxième priorité est de trouver les modalités pour ouvrir le Pass Culture aux Français de l'étranger. En France, tous les jeunes qui atteignent leurs 18 ans se voient remettre 300 euros pour découvrir la culture française à travers une application. Le Pass Culture est un dispositif d'introduction à la culture au public qui n'est pas forcément poussé par son entourage familial, mais aussi un dispositif de soutien au secteur culturel, puisque les jeunes dépensent ces 300 euros quelque part. Maintenant, nous réfléchissons à comment adapter ce dispositif aux Français de l'étranger. J'ai beaucoup travaillé avec Rima Abdul Malak sur ce sujet, et j'ai hâte de travailler avec la nouvelle ministre de la Culture pour trouver un système qui fonctionne.

 

Nous voulons articuler le Pass Culture autour de certaines institutions françaises à l'étranger

 

Il s'agirait par exemple de trouver des partenariats avec des institutions culturelles à l'étranger ? 

Effectivement, nous travaillons sur un système qui serait pratique et réalisable. Évidemment, nous ne pourrons pas faire un dispositif équivalent à celui en France, puisqu'il répertorie toute l'offre culturelle du pays. Nous voulons articuler le Pass Culture autour de certaines institutions françaises à l'étranger : les Instituts français, les librairies, les cinémas...  Nous pourrons ensuite étendre le concept en fonction des centres d'intérêt des utilisateurs. Nous souhaitons qu'un premier système soit lancé courant 2025, pour avoir un retour sur les demandes des jeunes Français à l'étranger, leur utilisation, et les avis des différentes institutions qui seront du côté de l'offre.

 

Le Royaume-Uni a vocation à être un partenaire extrêmement proche de la France

 

En avril, nous fêterons les 120 ans de l'Entente Cordiale. En tant que Français de l'étranger et député des Français de l'étranger, comment percevez-vous les relations actuelles entre la Grande-Bretagne et la France ? 

Ce sujet me tient beaucoup à cœur parce que mon père est anglais et que j'ai vécu une grande partie de ma vie au Royaume-Uni dans la communauté française. Je suis également président du groupe d'amitié entre l'Assemblée nationale et la Chambre des communes. Je me mobilise donc beaucoup sur ce sujet depuis que je suis élu. Je suis intimement convaincu que malgré les événements qui peuvent perturber les relations entre deux pays au jour le jour, le Royaume-Uni a vocation à être un partenaire extrêmement proche de la France. Nos deux pays sont très similaires : leur taille, leur économie, leur passé et leurs histoires coloniales, leurs problématiques et leurs opportunités sont similaires. Le Royaume-Uni est sorti de l'Union européenne, mais nous nous ressemblons plus que n'importe quel autre pays. Il paraît donc évident que deux pays avec des valeurs et des défis communs doivent travailler ensemble et intensifier leur collaboration.

Entre 2017 et 2022, nous avons vécu quelques années très laborieuses, avec des relations franco-britanniques qui ont stagné : le Royaume-Uni a décidé de sortir de l'Union européenne, et la façon dont cela a été réalisé notamment par Boris Johnson n'a pas arrangé les choses. Aujourd'hui, la relation est beaucoup plus apaisée. Nous avons eu le premier sommet entre le Premier ministre britannique et le président de la République depuis cinq, alors qu'il a habituellement lieu tous les ans, ou tous les deux ans. Ensuite, nous avons eu la visite du roi Charles III, qui avait choisi la France comme le premier pays qu'il entendait visiter après son couronnement, ce qui est un grand symbole d'amitié. 

 

Les 120 ans de l'Entente cordiale et les 80 ans du débarquement nous rappellent que nous avons une longue histoire franco-britannique faite de moments plus ou moins faciles, mais qui nous ont toujours rapprochés.

Derrière ces grands symboles, le travail entre les administrations a recommencé. Nous avons récemment réussi à convaincre les Britanniques de mettre en place une mesure facilitant les échanges scolaires. Aujourd'hui, les classes françaises peuvent venir plus facilement au Royaume-Uni, et cela renforce les relations bilatérales, qui sont des relations humaines avant tout. Nous collaborons également du point de vue de la défense, notamment vis-à-vis de l'Ukraine. Maintenant il faut poursuivre et confirmer ce renouvellement. Il faudra avancer sur des domaines où, objectivement, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne a dégradé les choses, notamment les échanges humains et culturels, mais aussi les échanges universitaires. 13.000 étudiants français partaient chaque année au Royaume-Uni avant le Brexit, mais il n'y en a plus que 4.000 aujourd'hui. L'impact est immense sur le temps long. Je serai mobilisé jusqu'à la dernière minute de mon mandat pour renforcer cette relation. 

2024 est également une grande année mémorielle. Les 120 ans de l'Entente cordiale et les 80 ans du débarquement nous rappellent que nous avons une longue histoire franco-britannique faite de moments plus ou moins faciles, mais qui nous ont toujours rapprochés.

 

Nous avons une trentaine d'années pour effectuer une bifurcation de l'ensemble du modèle de production et de consommation.

 

Le parlement norvégien a récemment autorisé l’exploitation controversée des fonds marins. Avez-vous eu des retours en circonscription concernant cette nouvelle ? 

Je n'ai pas eu d'écho de la part des Français de Norvège sur cette question. La Norvège n'est pas membre de l'Union européenne, notamment parce qu'elle refuse d'être soumise aux accords de pêche européens. En France, la politique menée depuis cinq ans par le gouvernement est à mon avis l'une des plus ambitieuses en matière climatique et de transition. La question la plus difficile dans ces politiques est de réussir à les appliquer. C'est pourquoi la France a mis en place une planification écologique minutieuse dans tous les secteurs. Ayant été élu à la présidence de la Caisse des dépôts et consignations, je me suis engagé à investir 100 milliards d'euros d'ici fin 2027. Cela représente environ un tiers des besoins de financement de la transition écologique de notre pays. De vrais défis de politique publique se posent. On l'a notamment vu pour l'agriculture et la rénovation thermique des bâtiments privés. Nous essayons de résoudre ces enjeux un par un. Par exemple, un des obstacles à la transition du parc automobile vers l'électrique est évidemment l'accès aux voitures électriques, qui reste assez cher. En janvier, notre initiative permettant de prendre une voiture électrique en leasing à 100 euros par mois a eu un succès remarquable. 

La transition écologique et énergétique est le plus grand défi de notre temps. Nous avons une trentaine d'années pour effectuer une bifurcation de l'ensemble du modèle de production et de consommation. Le Premier ministre et le Président ont une ambition intacte en la matière, en témoigne la position récente que le président a prise sur le Mercosur. Nous devons continuer à travailler, et ce sera un travail du quotidien pour nous, et pour les générations qui nous succéderont. 

 

Si la donnée financière doit être disponible pour tout le monde, la donnée climatique devrait l'être aussi.

 

L’année dernière, vous avez déposé un amendement (“Say on Climate”) qui devait contraindre les entreprises à exposer leur stratégie en matière d’écologie lors des assemblées générales annuelles. Ce dernier n'a finalement pas été retenu dans le projet de loi sur l’énergie verte. Restez-vous optimiste quant à la politique environnementale et climatique française ? 

Je suis intimement convaincu que les investisseurs devraient avoir les plans de transition des grandes entreprises à leur disposition, mais aussi la capacité de se prononcer sur ceux-ci. Mon amendement demandait aux grandes entreprises de publier un plan climat précis soumis à leur assemblée générale pour que leurs actionnaires aient le droit de se prononcer dessus. Pour moi, il s'agit d'un sujet essentiel de transparence vis-a-vis du changement climatique, mais aussi pour le bon fonctionnement de nos marchés financiers. Si la donnée financière doit être disponible pour tout le monde, la donnée climatique devrait l'être aussi. Je continuerai à mener ce combat. Je n'ai pas que des alliés pour l'instant, mais les beaux combats se construisent sur le temps long !

 

Les grandes entreprises sont essentielles pour réussir la transformation écologique.

 

Par extension, cela voudrait dire que le public aurait aussi accès aux stratégies climatiques des entreprises ? 

À partir du moment où les plans de transition climatique seront discutés lors des assemblées générales, ils seront rendus publics. Pour moi, il est inenvisageable qu'en 2027, nous ayons des entreprises qui ne nous expliquent pas comment elles entendent s'adapter au bouleversement climatique. Les grandes entreprises sont essentielles pour réussir la transformation écologique. Il ne faut surtout pas penser que nous pourrons nous en passer et qu'elles sont des adversaires. En revanche, elles doivent être en mesure de prendre des engagements sur le climat et pouvoir rendre des comptes sur la réalisation de ces engagements, comme les Etats le font. Il s'agit d'un devoir moral, mais aussi d’un devoir d'équité en face des gens qui investissent de l'argent. Si vous investissez de l'argent dans des compagnies, vous avez un intérêt financier à savoir comment elles entendent gérer la transition. Chacun devrait avoir les informations nécessaires pour faire le bon choix. 

 

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Les députés Alexandre Holroyd et Benjamin Haddad lors d’une table ronde sur les impacts des élections américaines pour l’Europe, le 15 février 2024.

 

Le 15 février dernier, vous organisiez une table ronde sur les enjeux et impacts des élections américaines sur l'Europe. Pourquoi est-ce un sujet clé ? 

Pour faire le lien avec la question précédente, je pense que le gouvernement français a une vraie ambition en matière climatique. Mais le changement climatique est un sujet mondial, et même si demain, nous réussissons à décarboner notre économie, l'enjeu est aussi et surtout le reste du monde, et notamment les Etats-Unis, la Chine, l'Inde... L'élection qui se profile aux Etats-Unis va avoir un impact monumental et suscite beaucoup d'inquiétudes dans les cercles européens. Cette inquiétude vaut sur une panoplie de sujets, dont le climat et les questions de sécurité. Je suis député des Français qui vivent en Estonie, en Lituanie et le long de la frontière russe, et il est très clair qu'il y a une vive inquiétude, confirmée par les propos du candidat Trump sur l'Alliance atlantique. Il est donc nécessaire de réfléchir à ce que cela veut dire pour l'Europe, pour la défense européenne, pour l'économie européenne...et pour le monde entier.