Chancay, une petite ville à 80km au nord de Lima connue pour sa pêche artisanale, a vu son destin complètement bouleversé par la mise en place d’un immense projet portuaire.
Ce méga-port reliant l’Asie à l’Amérique du Sud en un temps record sera le plus important du continent sudaméricain. Si le projet devrait être porteur d’importants bénéfices économiques pour le Pérou, il suscite également doutes et mécontentements chez certains habitants de Chancay.
Naissance du projet du port de Chancay
C’est en 2007 que née l’idée de la construction d’un port à Chancay, avec la création de l’entreprise Chancay Port CHP par l’amiral Juan Ribaudo. Commence alors une longue et intense quête visant à obtenir les investisseurs nécessaires à la concrétisation du projet.
En 2018, suite à un appel d’offre international, le projet obtient, enfin, les financements permettant la construction des infrastructures portuaires. Les actions sont partagées à 60% par l’entreprise chinoise, Cosco Shipping Port (COSCO SP) et 40% pour l’entreprise minière péruvienne Volcan.
Selon le Ministère du Tourisme et du Commerce, un investissement de 3,6 milliards de $ a été nécessaire à la réalisation du projet. Juste un an après l’arrivée de l’entreprise chinoise, commencent les premiers travaux sur les infrastructures portuaires. Retardée par la pandémie du Covid-19, la construction reprend en 2021 et est aujourd’hui à 80% de sa réalisation totale. COSCO SP compte lancer les premières opérations dès le dernier trimestre de 2024.
Les infrastructures portuaires divisées en 3 zones distinctes
La première est la zone portuaire opérationnelle, qui comprend les quais de jetées, les canaux d’entrée maritimes ainsi que les espaces de stockage pour conteneurs.
Le second est le complexe d’accueil associé à l’avant-port, la zone d’inspection des douanes, les bureaux administratifs et les zones de services logistiques.
La dernière est un tunnel de 1,8km de long passant sous la ville de Chancay permettant le transit de fret lié à l’opération portuaire.
"Le port de Chancay fera du Pérou le premier centre logistique du Pacifique en Amérique latine, ce qui dynamisera l’économie, stimulera les exportations et créera de nouvelles opportunités commerciales » s’exclame Geiner Alvarado, ministre des Transports et des Communications.
Le port permettra de recevoir les plus grands navires commerciaux du monde pouvant transporter jusqu’à 18 000 conteneurs, soit 50 000 tonnes de marchandises.
Mais le port permettra surtout de réduire drastiquement les chaînes d’approvisionnement entre l’Asie et l’Amérique du Sud.
Actuellement, les supertankers chinois sont contraints de faire une escale à San Francisco avant de poursuivre leur route vers l'Amérique du Sud en raison du manque d'infrastructures sur le continent, allongeant ainsi leur trajet à un total 35 jours. Grâce au nouveau méga-port péruvien, la connexion entre la Chine et le continent sud-américain sera réduite à seulement 23 jours.
Selon le gouvernement et les acteurs économiques impliqués dans le projet, le méga-port de Chancay devrait jouer un rôle central dans la stimulation de l'activité économique du pays dans les années à venir.
Juan Carlos Mathews, ministre du Commerce extérieur et du tourisme a déclaré sur la chaine télévision Canal N : « Le port de Chancay sera l’un des piliers du commerce extérieure du Pérou dans les années à venir, on est sur le point de faire de très très belles choses ici ».
Dans un premier temps, la seule construction des infrastructures a permis de créer 7500 emplois. Le port devrait également permettre de faciliter les investissements d’entreprises chinoises dans le pays ainsi que l’installations de firmes asiatiques en quête de nouveaux marchés.
Pour un habitant de Chancay, la construction du port va largement bénéficier à la ville côtière péruvienne :
« Même si cela peut être un peu embêtant, je pense que ça va permettre de créer plein de travail dans la région et que ça va favoriser l’économie de la ville ».
Source d'inquiétude pour les habitants de Chancay
Mais l’émergence de cette immense projet portuaire est aussi la source d’inquiétude pour certains experts économiques comme pour d’autres habitants de Chancay.
La première d’entre elles est celle liée à l’administration du port. Pour la première fois, en Amérique du Sud, un projet portuaire d’une telle ampleur est administré à 100% par des entreprises privées. Après avoir accordé les concessions de construction et les autorisations administratives, l'État péruvien dispose de très peu de leviers pour influencer la gestion du port. Cette situation est d’autant plus inquiétante que l’actionnaire majoritaire n’est autre que le géant maritime chinois Cosco qui a déjà fait preuve de ses agissements impérialistes comme lors de l’acquisition forcée du port du Pirée en Grèce.
Pour la Chine, ce projet s’inscrit dans sa politique des Nouvelles Routes de la Soie visant à élargir son influence économique et géopolitique jusqu’en Amérique du Sud. Si ces investissements ont parfois bénéficier aux économies des pays hôtes, ces nouvelles infrastructures ont également permis à la Chine de mieux exploiter les ressources naturelles de ces pays.
Enfin, le projet a également suscité la colère et réprobations de la part d’une partie de la population de Chancay. Miriam Arce, présidente du front de défense de Chancay et de l’association de défense des habitants contre le port, nous a accueilli chez elle pour présenter les impacts socio-environnementaux causés par le projet portuaire. Elle mène un combat de maintenant près de 10 ans pour faire redéplacer le projet pharaonique dans une ville plus adapté que Chancay. La partie de la population vivant le long de la zone de chantier subissent les explosions fréquentes réalisés pour faire disparaître les collines gênant à la construction du port :
« Au-delà du bruit assourdissant que provoque les explosions, cela dégage des poussières dans l’air, on est conscient que l’air qu’on respire est pollué » (Miriam Arce).
L’association du front de lutte de Chancay a été à l’origine de nombreuses manifestations lors des dernières années pour dénoncer les nombreuses irrégularités du projet portuaire ainsi que « la stratégie d’influence et de désinformation menée par l’entreprise chinoises ».
Omissions et incohérences dans le projet
Tout d’abord, l’étude d’impact environnementale n’a pas été révélée au public plusieurs années après sa rédaction.
En 2020, lors de sa révision et de sa divulgation au public, l'ONG Mundo Azul a mis en évidence 50 omissions et incohérences dans le projet.
Parmi celles-ci, il a été signalé, par exemple, que la pollution sonore dans les zones humides protégées, qui sont des passages importants pour les oiseaux migrateurs, n'a pas été prise en compte.
Miriam dénonce également les méthodes de Cosco pour écraser les contestations des habitants :
« L’entreprise a payé de nombreuses personnes, notamment les pêcheurs, qui étaient la 1ère force d’opposition (puisque leur activité est directement menacé dû au 1,8 million de m2 d’espaces marins concédés au projet portuaire), pour qu’ils se rallient au projet… Le projet est vraiment né dans le trafic d’influence ».
La partie de la construction ayant causé le plus de controverses est celle du tunnel sous-terrain. Cette dernière « n’étant absolument pas aux normes » a causé des effondrements de terrains à plusieurs reprises dans Chancay ainsi que dans la commune voisine de Peralvillo.
Enfin, la construction du port a des effets dévastateurs sur les plages environnantes.
Un professeur de surf à Lima déplore la disparition de ce spot pour les surfeurs :
« Chancay c’était l’une des meilleures vagues du pays, c’est dommage qu’elle doive disparaitre ».
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