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Mauro Colagreco à Hong Kong : « Je suis ambassadeur de la cuisine circulaire » 

A l’occasion de son passage à Hong Kong, nous avons rencontré le chef du meilleur restaurant du monde 2019 Mauro Colagreco. Il commente l’ouverture de son nouveau restaurant Plaisance à Hong Kong et évoque son parcours exceptionnel en France et à l’international.

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Le chef Mauro Colagreco au centre, entouré de Christile Drulhe, consule de France à Hong Kong et Macao, Bertrand Lortholary, ambassadeur de France en Chine, le chef hongkongais Nicolas Boutin et Bertrand Quevremont, directeur Business France Chine
Écrit par Didier Pujol
Publié le 17 avril 2024, mis à jour le 18 avril 2024

Le premier restaurant du monde est le fruit d’une équipe

Votre restaurant 3 étoile Michelin de Menton, le Mirazur, a été élu meilleure table du monde en 2019. Comment parvient-on à un tel résultat ?

Avec beaucoup de travail et un formidable esprit d'équipe. C’est un long trajet depuis l’ouverture en avril 2006 avec une première étoile en février 2007, soit 9 mois après, une deuxième en 2012 et la troisième en 2013. Pour le classement de 50 meilleurs restaurants du monde, nous avons mis 10 ans; nous y sommes entrés en 2009 et avons atteint la première position en 2019. C’est le fruit d’un travail d’équipe et d’un acharnement au service de l’excellence. Ce premier prix est aussi probablement dû au lieu magnifique sur lequel est situé le restaurant, au cœur de la riviera française, avec une vue époustouflante sur la mer Méditerranée.

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L'équipe de Plaisance à Hong Kong avec Héloïse Fischbach à droite de Mauro Colagreco @Mauro Colagreco

Devenu une célébrité internationale avec une 15aine de restaurants dans le monde, comment partagez-vous votre temps entre la France et le reste du monde ?

C’est une aventure qui s’est écrite au fil du temps. C’est partie de la nécessité de compenser la saisonnalité du Mirazur, situé dans une zone rurale. Nous avons profité de notre renommée naissante pour chercher des opportunités à l’international. Nous avons commencé à monter une équipe corporate, mis en place des collaborations dans un premier temps et ensuite des ouvertures de restaurants à l’étranger. Aujourd’hui, la situation est différente car le Mirazur a un remplissage régulier pendant 11 mois de l’année, mais notre envie de découvrir de nouvelles traditions culinaires et d’exporter notre vision de la gastronomie s’est développée.

Notre équipe internationale est passée par nos cuisines

Nous avons beaucoup de bonheur aujourd’hui à rencontrer de nouvelles cultures et clientèles, car c’est très enrichissant pour un cuisinier. Les influences des enseignes à l’étranger nous permettent de compléter notre palette au Mirazur. Par exemple, lors de mes premiers voyages en Chine ou au Japon, j’ai été impressionné par le nombre de textures différentes dans chaque plat, jusqu'à 8 ou 10, là où en Europe, nous sommes habitués à deux ou trois. Les échanges sont donc très profitables, surtout quand on travaille avec des équipes locales qui ont appris des techniques différentes.

En termes d’organisation, nous avons fait le choix de travailler avec une équipe corporate expérimentée de 12 personnes, composée de responsables projets, de chefs et de directeurs de salle, dont beaucoup ont commencé avec nous et souhaitaient évoluer. Aujourd’hui, ils suivent les opérations quotidiennement depuis Menton et voyagent très régulièrement dans les restaurants sur lesquels ils interviennent. De mon côté, je suis en contact quasi quotidien avec tous nos chefs de cuisine sur place, par message ou téléphone. Grâce à ces échanges permanents et à tout niveau, je parviens à limiter mes déplacements afin de continuer de m’occuper de mon restaurant trois-étoiles en France et de ma famille. Toutefois, je viens toujours deux ou trois fois par an quelques jours dans chacun de nos lieux. D'ailleurs, dans tous nos restaurants dans le monde, que ce soit en cuisine ou en salle, les équipes ont été formées au Mirazur, cela nous garantit que la façon de travailler correspond à nos standards.

 

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Caviar Betterave, l'un des plats signatures de Plaisance @Mauro Colagreco

La cuisine circulaire met le produit au centre

C’est le cas de Héloïse Fischbach à Plaisance à Hong Kong qui a fait son stage de fin d’études chez nous avant de rester 4 ans. Ensuite, je l’ai aidée à rentrer à l’Arpège à Paris que j’apprécie beaucoup, où elle a fait 3 ans avant de venir à Hong Kong dans un deux étoiles Michelin. A Côte, à Bangkok, c’est pareil, Davide Garavaglia a travaillé 7 ans avec nous, Leonel Aguirre à Mauro Colagreco Londres 5 ans, Donato Russo à Celebrities à Dubai, 7 ans et Nino La Spina au Florie's de Palm Beach 10 ans entre le Mirazur notre brasserie parisienne Grand Cœur. Le Mirazur est devenu entre-temps une grosse structure avec près de 90 employés, ce qui est exceptionnel en France pour un restaurant sans hôtel. Nous y avons notamment une équipe complète de Recherches & Développement ! L’international depuis 2012 nous permet de garder les talents plus longtemps en leur proposant un parcours élargi.

Votre cuisine de Menton utilise les produits de proximité et plus largement vous militez pour la gastronomie circulaire. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Le Mirazur a été un pionnier de ce que j’appelle la « cuisine circulaire ». En 2006, le concept d’écologie n’était pas aussi développé qu’aujourd’hui, notamment dans la restauration. En arrivant sur la Côte d'Azur, j’étais nouveau dans ce terroir, je ne connaissais pas les produits locaux alors j’ai eu à cœur de découvrir les petits producteurs locaux en France et en Italie et comme j’ai toujours été passionné par le jardinage, et j’ai eu envie de travailler le petit lopin de terre juste devant ma maison, à côté du restaurant. Progressivement, cette partie s’est agrandie pour passer à 5 hectares et nous venons de signer pour un terrain de 17 hectares à 30 minutes du restaurant, ce qui fait que le jardin est devenu une véritable exploitation agricole avec 8 collaborateurs à temps plein. Ce lien avec la terre fait que je me sens concerné par les questions écologiques.

Je suis devenu ambassadeur de la biodiversité à l'UNESCO

En fait, j’ai abandonné le concept de carte pour ne pas devoir chercher les produits à partir des idées de plats. Du coup, j’ai le bonheur de trouver des produits comme des prunes exceptionnelles vendues au marché par une petite mamie en provenance de l’arbre de son jardin et de les proposer à midi aux clients du restaurant. Je travaille depuis la main dans la main avec les producteurs et je sors de ma zone de confort. En fait les restaurateurs avaient l’habitude d’imposer aux produits leurs envies et je fais aujourd’hui l’inverse. Ce sont les produits qui dictent ce que nous proposons aux clients.

Sur le volet environnemental, je suis devenu le premier chef ambassadeur pour la biodiversité auprès de l’Unesco, ce qui est un signe fort envoyé par cette organisation quant au rôle du secteur alimentaire dans les problématiques environnementales.

Calmar citron
Calmar au citron @Mauro Colagreco

Mes restaurants finissent par développer une personnalité propre

Peu à peu, j'ai pris conscience que nous ne pouvions plus nous voiler la face sur les problème environnementaux et qu'il fallait lancer un mouvement d'espoir pour montrer que de nouvelles pratiques sont possibles dans la restauration. Ainsi le Mirazur est devenu le tout premier restaurant « plastic free » au monde, en 2020, suivi par Celebrities, notre restaurant à Dubai. En France aussi, notre enseigne de pizzerias n’utilise que des farines naturelles et des produits bio et nos boulangeries proposent des pains nutritionnellement exceptionnels aux blés ancestraux bio. En Argentine, notre chaine de burgers a obtenu le label environnemental B-Corp qui est l‘un des plus exigeants. Enfin à Hong Kong, nous nous efforçons d’utiliser le moins possible de plastique, même si celui-ci est plus présent dans les chaînes logistiques qu’en Europe. Nous mettons l’accent sur les achats locaux, pour les poissons ou les légumes issus de l’agriculture biologique dans les Nouveaux Territoires.

Vous êtes en tournée en Asie, quelle influence la cuisine asiatique a-t-elle sur vos menus et comment vous adaptez-vous aux consommateurs ?

Au début, nos restaurants portent l’ADN du Mirazur et progressivement, comme des enfants qui grandissent, ils reçoivent des apports locaux pour développer une personnalité propre. Au fil des envies et des essais, nous essayons des produits et des techniques nouveaux et les intégrons. C’est un échange dans lequel nous apprenons. Ainsi en ce moment, c’est le festival des agrumes à Menton et je profite de mon déplacement pour les faire essayer à Bangkok, Tokyo et Hong Kong mais nous allons adapter les recettes en intégrant des agrumes locaux. 

La priorité est la satisfaction des clients 

Avec Plaisance à Hong Kong, nos lecteurs peuvent apprécier votre cuisine à Hong Kong. Comment travaillez-vous avec cette enseigne ?

L’architecture évoque la mer, les trois étages variant les éclairages pour correspondre aux fonds marins au niveau sous-sol avec les salons privés, la lumière tamisée du lounge au rez-de-chaussée et la lumière de surface pour le restaurant gastronomique du 1er étage. Aujourd’hui l’influence mirazurienne est encore forte avec des plats signatures comme la betterave-caviar mais nous travaillons aussi le concombre de mer, les abalones ou encore les oursins pour tenir compte des goûts locaux. Un autre exemple est le pigeon à l’ail noir qui est un mariage franco-asiatique.

Quels sont vos projets ?

L'année 2023 a été chargée du fait des ouvertures plus nombreuses liées au retard pris pendant la pandémie. Nous avons ouvert Londres, Hong Kong et Tokyo et notre première tâche est de stabiliser ces trois nouveaux établissements. Les prochaines échéances sont donc pour fin 2025, début 2026. Nous voulons faire notre travail au mieux sans forcément chasser les étoiles à ce stade. La priorité, c’est la satisfaction des clients. Si nous travaillons bien, les récompenses viendront toute seules. C’est toujours comme cela que j’ai fonctionné.

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