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Alain Mabanckou : « Le français de demain, c’est l’Afrique »

MabanckouMabanckou
prise de la page Facebook du Salon du livre francophone de Beyrouth
Écrit par Justine Huc-Lhuillery
Publié le 5 novembre 2018, mis à jour le 8 novembre 2018

L’un des auteurs majeurs de la littérature africaine, de passage au Liban à l’occasion du Salon du Livre 2018, présente son nouveau roman Les cigognes sont immortelles, qui raconte les souvenirs d’un enfant congolais dans les années 1970. L’écrivain porte un regard critique sur la francophonie.

 

Lepetitjournal.com Beyrouth : Vous portez viscéralement l’histoire du Congo dans vos écrits. Votre dernier roman raconte l’histoire d’un Congolais pendant la disparition du président Marien Ngouabi. Pourquoi avoir choisi de parler de cette période aujourd’hui ?
Alain Mabanckou : Je pense que les années 70 sont une période importante pour l’Afrique, avec tous ses Etats devenus communistes. Cette période a changé le visage de l’Afrique. Jeune adolescent à ce moment-là, j’estimais nécessaire d’en parler dans mes romans. C’est une période majeure pour les relations entre l’Afrique et l’Europe, entre le Congo et la France, mais aussi entre les différentes formes de bouleversement de la vie sur le continent africain.
 

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Votre ouvrage raconte l’histoire violente d’une famille divisée par les luttes communautaires, et entre le nord et le sud. Pourquoi l’avoir raconté avec des yeux d’enfant ?
Je voulais rester dans le sens chronologique des choses. Le pari était de redevenir un enfant pour raconter cette histoire, à la hauteur de la vérité et de la réalité. La figure de l’enfant me permettait d’avoir une certaine proximité et une certaine naïveté avec cette période. Il y a beaucoup de mémoire, complétée par quelques recherches. Cela illustre ma réalité, celle des gens autour de moi, et l’histoire de cette période.

 

Que vous évoque un pays comme le Liban sur le plan historique, littéraire par rapport à la francophonie ?
Le Liban m’a toujours évoqué les grands écrivains comme Alexandre Najjar ou Amin Maalouf que j’apprécie. Le Liban est une fenêtre dans le monde oriental, une fenêtre à travers laquelle on entend les échos d’une langue française riche et en mouvement. C’est un pays que je ne connais pas mais je suis sensible à cet univers.

 

Vous êtes sensible à la question de la francophonie, et particulièrement à son rôle et son besoin d’évolution dans les anciennes colonies françaises. Cette francophonie a-t-elle le même rôle au Congo qu’au Liban ?
La question de la francophonie est la suivante : il y a d’un côté la francophonie institutionnelle et de l’autre, la francophonie culturelle. Pendant longtemps, on a privilégié l’institution. Il est peut-être temps qu’on recentre la francophonie sur la question de la culture, de la langue. Comme je le dis toujours, le problème de la francophonie, c’est que parmi ses membres surtout africains, 80% de ces pays sont des dictatures… La francophonie va-t-elle continuer à engraisser ces dictatures ou alors s’éloigner de celles-ci où les peuples pourraient se parler sans passer par le prisme de la politique.

Mes critiques sont souvent axées sur l’aspect politique de la francophonie qui est vieillot et colonial, qui donne l’impression que la France est en tête de cette francophonie alors qu’elle en est un membre comme les autres.

Il faut donc repenser les modes de sélection ou d’élection des dirigeants de la francophonie. Les bonnes idées ne ressortent pas. Ce n’est qu’un défilé de politiciens, là où je voudrais voir des artistes, des cuisiniers, des journalistes, ceux qui font vivre, enseignent et diffusent la francophonie. Dans la plupart des gouvernements africains, il n’y a pas de ministère de la francophonie.

 

Selon vous, quelles initiatives sont nécessaires pour faire évoluer la francophonie de façon positive ?
Il faut exiger que les membres de l’Organisation internationale de la francophonie aient dans l’esprit qu’elle incarne la liberté, l’échange, et qu’elle n’est pas une marmite dans laquelle certains dirigeants essaient de pérenniser leur pouvoir à l’extérieur. Tout le problème se trouve concentré sur le continent africain. Le français de demain, c’est l’Afrique ; or l’Afrique n’est pas libre. Comment peut-on avancer dans la francophonie si, à l’intérieur de celle-ci, les peuples qui sont censés être francophones sont encore privés de liberté d’expression, vont en prison et ont des présidents qui restent 30 ans au pouvoir ?

 

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