Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

AVORTEMENT – La question continue de diviser en Pologne

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 25 avril 2016, mis à jour le 25 avril 2016

 

Le droit à l'avortement est au centre d'un intense débat en Pologne. Une partie de l'opinion réclame une libéralisation de l'IVG tandis que d'autres voix s'élèvent pour la mise en place d'une législation plus stricte, en faveur d'une interdiction totale. Plusieurs associations "pro-vie" ont ainsi déposé à la Chambre basse un projet de loi allant dans ce sens. Une remise en cause par la Diète de la loi de 1993 serait-elle alors à l'ordre du jour ? Qu'en est-il, par ailleurs, de la réalité de la pratique de l'IVG en Pologne et quelle est son histoire ?

La Pologne est le pays en Europe qui dispose déjà d'une des lois les plus restrictives. En place depuis 1993, elle autorise l'avortement dans trois cas : si la vie ou la santé d'une femme est menacée par la poursuite de sa grossesse, si la grossesse est le résultat d'un acte criminel comme le viol ou l'inceste, ou si le foetus est gravement malformé. Pourtant, depuis l'arrivée du gouvernement conservateur Droit et Justice (PIS) au pouvoir, les voix des militants "pro-vie" soutenues par l'Eglise catholique et militant pour une interdiction totale de l'IVG, se font de plus en plus présentes. Des centaines de personnes ont battu le pavé dimanche dernier à Varsovie et l'Eglise a lancé, de son côté, un appel aux députés pour l'adoption de cette loi. Selon ce texte, les médecins pratiquant l'IVG s'exposeraient à des peines allant jusqu'à cinq ans de prison, contre deux actuellement. La seule exception prévue est la mort de l'embryon à la suite d'une tentative pour sauver la vie de la mère. Le cardinal Kazimierz Nycz a déclaré dimanche : Nous ne défendons pas la vie humaine parce que l'Evangile le dit. Pas même parce qu'il s'agit du cinquième commandement [...] Nous défendons la vie, parce que c'est une valeur fondamentale pour tout le monde. C'est le fondement de la dignité humaine".

Comment la Pologne est-elle arrivée au « compromis » de 1993 ?

Ce sont d'abord les régimes soviétiques qui ont légalisé l'avortement dès les années soixante, atteignant des taux records, de l'ordre de deux avortements pour une naissance. En Pologne, l'IVG devient légal à partir de 1955. Mais à partir de 1989, dès la chute du régime communiste, un projet de loi proposé par un petit parti chrétien-démocrate "pour la protection de l'enfant conçu" voit le jour. Devant la vague de protestation des associations luttant contre la criminalisation de l'avortement avec le soutien, notamment, du Planning Familial Français et devant la médiatisation en Europe occidentale de ce sujet, les députés renvoient plusieurs fois en commission le projet de loi. Mais en 1992, la transformation ultralibérale de la Pologne étant garantie, les médias cessent de s'intéresser à cette question. C'est ainsi qu'en janvier 1993, le chef de l'Eglise Polonaise menaçant de retirer le soutien de l'Eglise aux réformes ultralibérales, les députés, soucieux de sauvegarder leurs privilèges de nouvelle élite votèrent l'interdiction de l'avortement. Lorsque le parti socialiste revint au pouvoir la même année, les électeurs réclamèrent l'abrogation de cette loi, en accord avec les promesses électorales. Le résultat fut la naissance de ce qui est appelé un "compromis" entre l'Eglise et l'Etat. Depuis, aucune force politique, ni en faveur d'un durcissement, ni d'une libéralisation, ne l'ont modifié.

Dans la pratique, qu'en est-il du recours à l'IVG en Pologne ?  

Alors que l'avortement est permis dans les trois cas précités, la réalité montre que les cas des femmes qui se sont vu refuser une IVG alors qu'elles répondaient à l'une des trois conditions requises pour y avoir accès légalement soient fréquents. 3000 médecins, infirmières, sages-femmes et étudiants en médecine catholiques ont signé la-dite Déclaration de Foi, qui cite une "clause de conscience", appelant à davantage de droits à exercer leurs fonctions conformément à leurs convictions religieuses. Dans le droit polonais, cette clause les autorise à refuser un avortement, à condition d'aider les patientes à trouver un établissement médical pratiquant l'intervention. Le dernier cas retentissant remonte à juillet 2014. Les pro et anti-avortement s'étaient alors affrontés dans un hôpital de Wolomin, près de Varsovie, après qu'un médecin avait refusé cette intervention à une femme dont l'enfant était gravement malformé (il mourut quelques jours après sa naissance) et qu'il ne l'avait pas non plus aiguillée vers un autre établissement médical. Les médecins avaient adopté une résolution, au sein même de l'hôpital, demandant l'interdiction de l'avortement dans leur établissement. Si dans ce cadre légal stricte, le nombre d'interruptions de grossesse pratiquées chaque année se limite donc à quelques centaines, les recours aux IVG illégaux sont nombreux. Ils sont estimés à, selon l'organisation Federa, qui milite pour le droit à l'avortement, entre 80 000 et 100 000 annuels, dans le pays, pratiqués par des médecins dans des cabinets privés pour des sommes allant de 2000 à 4000 Zlotys (500-1000 €). Un sondage conduit en 2013 a montré que près d'une femme polonaise adulte sur trois avait eu recours à un avortement.

Le PIS dans l'embarras devant un sujet si clivant

Si 100.000 signatures sont recueillies, le projet de loi pourra être soumis au Parlement. La Première ministre, Beata Szydlo, s'est déclarée "à titre personnel" favorable aux revendications de l'Eglise et des organisations "pro-vie". Néanmoins, les avis au sein-même du PIS, seraient partagés sur la question. Le chef du parti, Jaroslaw Kaczynski, aurait rencontré un haut représentant de l'Eglise polonaise pour l'exhorter à obtenir des militants anti-avortement qu'ils modèrent l'intensité de leurs revendications. Le débat semblerait encore prématuré à son goût, eu égard à la crise du tribunal constitutionnel, notamment, risquant de mettre à mal le gouvernement Szydlo. Les militants contre cette interdiction totale sont par ailleurs nombreux et se font entendre lors de nombreuses manifestations et rassemblements, au cours desquels ils prônent une séparation des pouvoirs de l'Eglise et de l'Etat. La dernière manifestation datant du 3 avril, a rassemblé des milliers de personnes devant le Parlement à Varsovie mais aussi dans dix-huit autres villes en Pologne. Alors que ce même dimanche, dans les églises,  les prêtres ont lu durant la messe un communiqué de l'épiscopat polonais appelant à légiférer pour l'interdiction totale de l'avortement, des femmes se sont levées et sont sorties en criant "Honte à vous !". D'après un sondage pour le quotidien Dziennik, bien que 90% de la population en Pologne se déclare catholique, seuls 23% des Polonais soutiennent un durcissement de la législation actuelle, alors que 51% de la population penche pour une plus grande libéralisation.

Mais si les militants pour un durcissement de la loi semblent donc minoritaires, et que ce n'est pas la première fois que ce débat est porté au Parlement depuis 1993, c'est bien la première fois que la question sera discutée dans une configuration où une droite conservatrice ultra catholique est dominante. Affaire à suivre...

Laura Giarratana (lepetitjournal.com/Varsovie) - Mardi 26 avril 2016

Inscrivez-vous à notre newsletter gratuite !

Suivez-nous sur Facebook

 

lepetitjournal.com varsovie
Publié le 25 avril 2016, mis à jour le 25 avril 2016