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SOUVENIRS DU COMMUNISME - "On pouvait partir en Allemagne de l'Ouest, mais pas dans celle de l'Est"

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 9 juin 2014, mis à jour le 27 novembre 2014

A l'occasion des vingt-cinq ans des premières élections libres en Pologne, LePetitjournal.com/Varsovie a souhaité évoquer les souvenirs de la période communiste avec deux témoins de cette époque en Pologne. Aujourd'hui, rencontre avec Tadeusz N. ...

Né en 1958, Tadeusz N. a été emprisonné, alors qu'il était étudiant, dans les prisons de Jaruzelski pendant huit mois, avant de partir en France en 1983. Il reviendra en Pologne en 1998 après quinze années passées en France pour reprendre une société polonaise qu'il dirige aujourd'hui.

Pour nous faire mieux comprendre ce qu'était la vie quotidienne, pouvez-vous me parler des magasins ?
Tadeusz N. - Comme on disait à l'époque, un boucher ressemblait plutôt à des vestiaires parce qu'il n'y avait que des crochets vides. Avant 1980, il y avait des files d'attentes pour tout. Quand nous savions qu'il y allait y avoir une livraison dans un magasin, nous faisions la queue directement, car, dès la livraison, tout était vendu à ceux qui étaient en tête. Le jour où j'ai déménagé dans mon petit studio, je voulais offrir à boire et à manger à mes amis pour les remercier de leur aide. Quand je suis descendu dans les magasins des environs, la seule chose que j'ai pu acheter en cherchant pendant plus d'une heure, était un horrible jus d'orange trop sucré et un gâteau tout aussi horrible, qui devait avoir déjà quatre jours. Ce qui peut étonner beaucoup de gens, c'est qu'une des revendications de Solidarnosc était d'instaurer des tickets de rationnement pour introduire un peu d'équité, ce qui n'a pas diminué les queues, mais a diminué la corruption chez le personnel des magasins. A l'époque, dans le même esprit, le Parti a instauré un système où chaque ménage pouvait déposer une demande pour acheter une voiture, en payant des acomptes de 10-15%. Ensuite, il y avait un tirage au sort pour décider de l'ordre dans lequel les demandes étaient satisfaites, tout en sachant que certains ont tiré au sort des voitures disponibles dans six ans.

Et la télévision et la radio ?
Les radios libres sont apparues en Pologne pendant l'état de guerre. C'étaient alors des radios clandestines émises depuis les toits de certains immeubles par des opposants au régime. Il y avait deux radios complètement libres qui émettaient d'Allemagne – Wolna Europa (Europe libre) et Voice of America (Voix d'Amérique) – et donnaient des émissions en polonais. Il y avait aussi la BBC et RFI, mais que quelques dizaines de minutes par jour. Les émissions clandestines passaient sur les petites ondes. On reconnaissait ainsi les opposants, quand dans les maisons inconnues, comme par exemple chez des camarades de classe, il y avait une radio perfectionnée pour les petites ondes, et pas uniquement la radio classique vendue par les communistes. Comme le régime faisait tout pour brouiller les ondes, nous étions tous passionnés de techniques radio et cherchions à construire la meilleure antenne. Sinon, il y avait deux maisons d'édition (en France et au Royaume-Uni), qui éditaient en polonais aussi bien des classiques polonais qu'occidentaux, partiellement censurés ou complètement interdits. Par exemple, certaines œuvres de Camus n'étaient pas éditées en Pologne, alors que d'autres où l'on voyait ses idées proches des communistes étaient une lecture obligatoire.

Pouviez-vous voyager ?
La Pologne, avec l'ancienne Yougoslavie, était le pays le moins fermé. A partir de 1977, un jeune Polonais pouvait essayer de sortir. Moi j'ai eu, par les relations de mon père, un stage étudiant en Suède en 1978, et l'année d'après j'ai été en voyage en France, que j'ai financé en faisant les vendanges. Mis à part la Tchécoslovaquie avant 1968, les autres pays du bloc Est étaient complètement fermés. Indépendamment des barrières politiques, une des difficultés pour voyager à l'époque est que le zloty était une monnaie d'une autre planète, les salaires mensuels équivalaient à quelques dizaines de dollars. Sinon, on pouvait voyager dans les autres pays communistes jusqu'au milieu des années 1970. Après, puisque l'opposition en Pologne était la plus forte dans le bloc, vers la fin des années 1970, et surtout après les événements de 1980 et l'avènement de Solidarnosc, on pouvait partir en Allemagne de l'Ouest, mais plus dans celle de l'Est. Les régimes communistes avaient terriblement peur de la contagion. Avec la liberté de voyager en Occident, les frontières du bloc communiste se sont fermées.

Et les manifestations publiques, étaient-elles obligatoires ?
Elles étaient en théorie obligatoires, mais dans les familles avec une orientation comme la mienne, le jeu était ''qui s'enfuit le premier''. Si le défilé était à neuf heures du matin, mon ambition était de montrer à mon père qu'avant dix heures je m'étais enfui. C'était beaucoup plus risqué pour les gens qui travaillaient, car à l'époque 98% étaient employés par l'État. Les grandes dates de l'Histoire polonaise, comme le 3 mai ou le 11 novembre, étaient l'occasion de manifestations indépendantes, et pour les gens comme moi l'occasion de prendre ses premiers coups de matraque lors des dispersions. C'est d'ailleurs un de ces 11 novembre que j'ai rencontré pour la première fois l'actuel président polonais, un contestataire étudiant très actif.

Parlez-nous de votre engagement politique
J'ai eu cette chance de naître dans une famille très anti-communiste. Mon père chaque 31 décembre buvait un toast pour que ce soit la dernière année de communisme. J'ai toujours vécu dans l'idée que le communisme était un système provisoire qui allait s'effondrer. Mon père, qui était un résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, ne me cachait pas qu'il ferait beaucoup pour m'aider dans mon engagement du côté de l'opposition étudiante. Il me prêtait sa petite voiture et j'ai pu m'engager en transportant la presse anti-régime. En 1981, après les grandes grèves qui ont fait naître Solidarnosc, je me suis retrouvé dans un petit groupe d'élèves de l'école Politechnika Warszawska, qui organisait des mouvements indépendants à la fois au sein de notre école et entre toutes les écoles supérieures de Varsovie. Les mouvements n'étaient pas clandestins, car nous avons revendiqué pendant plusieurs mois le droit d'avoir des associations indépendantes avec la même orientation que Solidarnosc. Nous avons porté plusieurs revendications, qui étaient à la limite entre les revendications estudiantines concernant la manière d'organiser l'école, et les revendications liées aux libertés publiques, comme le droit d'association, la liberté d'avoir des éditions indépendantes etc., car la parole écrite était le meilleur moyen pour convaincre le plus grand nombre.

Vous souvenez-vous de l'annonce de la mise en place de l'état de guerre ?
Je ne l'ai pas vu à la télévision car le 12 décembre au soir, j'avais déjà les menottes aux poignets et j'étais dans le siège central de la police. J'ai entendu le discours de Jaruzelski à 6 heures du matin dans ma cellule de prison, puis ensuite pendant trois jours en boucle.

Quelle opinion aviez-vous des Soviétiques ?
Nous avions une blague : ''Un jeune résistant polonais rencontre une patrouille composée d'un Allemand de l'Est et d'un Soviétique. Il sort son arme, qui va-t-il tuer en premier ? La réponse était d'abord l'Allemand de l'Est, puis le Soviétique. D'abord le devoir, après le plaisir.''. La majorité des polonais avait des sentiments fortement anti-soviétiques. On considérait que le régime qui nous gouvernait était imposé par l'Armée Rouge et que le malheur économique en Pologne venait de l'URSS et du système d'économie planifiée.

Et de Solidarnosc et Lech Walesa ?
Walesa étonnait tout le monde. En fait, l'intelligentsia polonaise avait un petit sentiment de supériorité vis-à-vis des classes laborieuses, du coup c'était un étonnement que Walesa, en tant qu'ouvrier, ait su trouver autant de sagesse et d'efficacité dans les négociations avec le pouvoir. Je pense que le personnage de Walesa a énormément contribué à rapprocher les ouvriers et les intellectuels.

Votre souvenir des élections du 4 juin 1989 ?
Il était quatre heures du matin, pleuvait, et je frappais à la porte du consulat de Pologne à Lyon, où j'étais envoyé par Solidarnosc comme ''homme de confiance'' pour surveiller l'organisation des élections. Avant ces élections, le courage était de ne pas aller voter, car toutes les élections étaient falsifiées. Jusqu'au milieu des années 1970, quand quelqu'un n'allait pas voter, la police venait frapper à sa porte pour le contraindre à se rendre aux urnes. Les élections du 4 juin 1989 étaient les premières libres, donc j'allais voter pour la première fois, et j'étais assis à la table de la commission électorale, à côté du personnel communiste du consulat.

Des regrets ?
Je n'en ai qu'un seul, que la Pologne libre n'ait pas commencé plus tôt, en 1956, 1970 ou 1981. Mon seul regret c'est que nous ayons perdu cinquante ans pour rien. Ceux qui sont portés par des idées totalitaires aujourd'hui devraient lire un peu plus pour comprendre la chance que nous avons de vivre dans une Europe libre.

Un grand merci à Tadeusz Nowicki pour son témoignage.

Mathilde TÊTE (www.lepetitjournal.com/varsovie) – Mardi 10 juin 2014

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Publié le 9 juin 2014, mis à jour le 27 novembre 2014

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