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SMOLENSK – L'opposition entre commémorations et manifestations

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 14 avril 2013, mis à jour le 15 avril 2013

 

Pour la troisième année consécutive, la marche du souvenir organisée le 10 avril par le parti chrétien-démocrate Droit et Justice (PiS) et les clubs du journal conservateur Gazeta Polska (plusieurs centaines de clubs dans tout le pays) a rassemblé des dizaines de milliers de Polonais. Cette marche était le point d'orgue de commémorations qui duraient depuis tôt le matin dans la rue Krakowskie Przedmie?cie, entre le vieux Varsovie et le palais présidentiel. En réalité, des marches du souvenir, précédées comme mercredi dernier d'une messe en mémoire des victimes de la tragédie de Smolensk, se déroulent le 10 de chaque mois avec à chaque fois plusieurs centaines voire plusieurs milliers de participants. 

Il est extrêmement réducteur de parler comme le font les médias français de manifestants nationalistes. La Pologne n'a pas eu de régime de Vichy et le slogan "Bóg, Honor, Ojczyzna" (Dieu, Honneur, Patrie) est l'expression de sentiments patriotiques qui plongent leurs racines dans la lutte pour la liberté contre les totalitarismes nazi et communiste. Un autre slogan que l'on pouvait entendre mercredi dernier était d'ailleurs "Raz sierpem, raz m?otem czerwon? ho?ot?" ("Un coup de serpe, un coup de marteau contre la racaille rouge"). Tout cela accompagné de drapeaux polonais et de quelques banderoles avec le logo du syndicat Solidarnosc. Quand l'artiste Jan Pietrzak chantait l'après-midi "?eby Polska by?a Polsk?" ("Pour que la Pologne soit la Pologne"), une chanson de sa composition devenue hymne de l'opposition dans les années 80, la foule levait la main avec le V de la victoire de Solidarnosc. 

Les mouvements nationalistes en Pologne existent, mais ils sont à chercher ailleurs que dans les milieux du PiS qui se réfèrent à la tradition patriotique anticommuniste et chrétienne-démocrate. Mais si le PiS et Gazeta Polska soutenus par les médias du père Rydzyk (Radio Maryja, TV Trwam, Nasz Dziennik) rassemblent tant de manifestants chaque année depuis trois ans, c'est d'abord et surtout parce qu'une part croissante des Polonais ont perdu toute confiance dans l'enquête sur la tragédie de Smolensk menée par les autorités du pays. 33 % des Polonais pensent qu'il a pu s'agir d'un attentat alors que cette proportion n'était que de 18 % il y a un an et de quelques points de pourcentage immédiatement après la catastrophe. 

Entre rapports d'enquête des gouvernements russe et polonais et contre-rapport de la commission d'enquête parlementaire mise en place par le PiS, et entre les déclarations contradictoires du parquet, chacun peut choisir sa version en fonction de ce qui lui paraît le plus plausible ou, pour une partie de la population, en fonction de sa sensibilité politique. Les restes de l'épave de l'avion et les boîtes noires sont toujours aux mains des Russes qui refusent de les remettre à la Pologne, et des vérifications essentielles n'ont pas été faites par les enquêteurs polonais tout de suite après la catastrophe (autopsies des corps, recherche de traces d'explosifs, inspection du bouleau que l'aile gauche de l'avion aurait heurté, etc.). Il n'est donc pas étonnant aujourd'hui qu'entre 52 % (sondage pour la télévision publique TVP) et 56 % (sondage pour le quotidien Rzeczpospolita) des Polonais pensent qu'on ne saura jamais ce qui s'est vraiment passé ce matin du 10 avril 2010. 

Le palais présidentiel et la rue Krakowskie Przedmie?cie sont devenus un lieu symbolique du souvenir et de protestation contre la gestion de l'enquête par les autorités polonaises et russes et c'est sans doute pourquoi le président Komorowski préfère utiliser le Belvédère, plus éloigné du centre de la contestation. Dès les premières heures qui ont suivi la tragédie, la foule s'était rassemblée spontanément devant le palais de la rue Krakowskie Przedmie?cie pour rendre hommage au couple présidentiel et aux autres victimes de la catastrophe. Une croix érigée par les scouts pendant les journées de deuil national s'est ensuite retrouvée en 2010 au centre d'un conflit qui a duré plusieurs mois entre les partisans de l'érection devant le palais présidentiel d'un monument à la mémoire du président Lech Kaczy?ski et des autres victimes et les opposants à une telle solution. Une tente de l'organisation Solidarni 2010 ("Solidaires 2010") est aussi longtemps restée installée, puis portée par des volontaires pour contourner l'interdiction d'installer une tente en ce lieu. Sur cette tente on pouvait lire des inscriptions accusant Vladimir Poutine et Donald Tusk de complicité dans le crime. Encouragés par certains, critiqués et moqués par d'autres, les volontaires de l'organisation distribuaient, et distribuent encore parfois, des appels pour que la vérité soit faite sur les causes du crash du Tu-154 gouvernemental polonais ce 10 avril 2010 à proximité de l'aéroport militaire de Smolensk.

Olivier Bault (www.lepetitjournal.com/varsovie) - lundi 15 avril 2013

Photos O. Bault - Banderole : « Notre président - Solidarnosc en lutte se souvient » Drapeau : « C'était un attentat. »/ Photo Le « V » de la victoire, signe de l'opposition au communisme dans les années 80 / Marche du souvenir

 

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Publié le 14 avril 2013, mis à jour le 15 avril 2013