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Francis Cabrel : « Je ne voulais pas les avoir justement ces codes » du show-business

De passage pour la première fois en Pologne à l’occasion d’un concert exceptionnel, qui a rassemblé au Klub Palladium plus de 600 personnes, dont 200 professeurs de français, Francis Cabrel, chanteur-compositeur-interprète et poète, bien connu des apprenants de français, notamment pour « Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai », a accepté de se prêter à une autre conjugaison : celle des questions-réponses.

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Francis Cabrel au Klub Palladium - Photo Justyna Radzymińska - www.justynaradzyminska.com
Écrit par Bénédicte Mezeix
Publié le 25 avril 2024, mis à jour le 27 avril 2024

Rendez-vous avec Francis Cabrel au Branicki Palace

Ce samedi matin dégouline de pluie, Varsovie est enveloppée de brume et l’immense cour intérieure du Branicki Palace, superbe manoir du 17e siècle, est déserte. Francis Cabrel, estampillé d’office « troubadour » dès sa première télévision en 1977, nous salue avec l’accent chantant de son sud-ouest natal. Cet accent dans ce gris souris ébouriffe. Dire qu’on lui a demandé de le gommer… Droit dans ses bottes, Francis Cabrel n’a rien changé, à part sa moustache, qu’il a bien des années plus tard, rasée. Même lorsqu’il enveloppe des mots effilés ou des thèmes pointus, son accent n’adoucit pas les arêtes. Les ventes de disques de l’artiste sont estimées à plus de 25 millions d’exemplaires, preuve que cette part de lui a rassemblé, touché, ainsi que sa poésie du quotidien. 

Figure incontournable du paysage musical francophone, depuis l'album « Les murs de poussière » sorti en 1977, Francis Cabrel a également décidé de transmettre en fondant, dans les années 90, l'association Voix du Sud à Astaffort, qui accueille et forme jusqu’à aujourd’hui de jeunes auteurs, compositeurs et interprètes. 

Jan Nowak nous racontait, il y a quelques semaines, comment il avait rencontré puis convaincu l’artiste, d’abord réticent, de venir chanter en Pologne. Un projet finalement mené à bien grâce à French Touch La Belle Vie, l’Ambassade de France en Pologne et l’Institut français de Pologne qui ont organisé ce concert exceptionnel, ayant rassemblé, le 16 mars, au Klub Palladium plus de 600 personnes, dont 200 professeurs de français. 

 

Cabrel  concert varsovie
Alexandre Léauthaud - Photo Justyna Radzymińska - www.justynaradzyminska.com

 

Sur la scène du Klub Palladium, Francis Cabrel (et sa guitare) était accompagné par deux musiciens : Freddy Koella (guitare, violon) et Alexandre Léauthaud (accordéon). Freddy Koella a notamment collaboré avec Willy Deville, Bob Dylan, le Belge Dyrk Annegarn, Carla Bruni, Johnny Hallyday, Jacques Higelin... Quant à Alexandre Léauthaud, il a joué sur scène ou en studio avec Michel Jonasz, également Dyrk Annegarn et Hugues Aufray.

 

Francis Cabrel Klub Palladium Varsovie
Freddy Koella et Francis Cabrel - Photo Justyna Radzymińska - www.justynaradzyminska.com

 

Lepetitjournal.com : Francis Cabrel, il y a dix ans, vous avez reçu le prix de la francophonie à New York. Au fil de vos concerts à travers le monde, j’imagine que vous rencontrez beaucoup d’étrangers qui ont appris le français en écoutant vos chansons, des professeurs de FLE qui font plancher leurs élèves sur vos textes… Quel regard portez-vous, aujourd'hui, sur la francophonie ?

Francis Cabrel : Ce qui me rend fier dans le parcours que j'ai eu professionnellement, c'est d’être effectivement aujourd'hui considéré comme quelqu'un qui est une sorte d’ambassadeur de la langue française, puisque cette langue m'intéresse beaucoup.  Et chaque fois qu'à l'étranger, je rencontre des gens aussi amoureux que moi de leur langue au point de la partager, de la perpétuer loin loin loin de leur terre d'origine, c'est vrai que ça me touche beaucoup, oui.

 

La langue occitane a également une place particulière dans votre vie ?

Depuis quelques années, je suis de plus en plus actif dans le soutien de la langue occitane, puisque c'était elle, qui nous a précédés dans notre joli sud de la France. Et d'année en année, il y a des gens convaincus autour de moi qui m'ont - je ne dis pas harcelé, mais bon pas loin (rires), pour que je m'y intéresse et que je chante en occitan. J'ai fini par comprendre l'importance de la profondeur de nos racines : elles sont occitanes. Partout dans les endroits du monde où je me rends en ce moment, je chante une petite chanson qui parle plus précisément de ma foi dans ces langues qu'il ne faut surtout pas oublier.

 

Vous avez réussi à  résister aux sirènes de la vie parisienne, votre terroir, c’est votre terreau ?

Je vis dans un pays magnifique et maintenant tout le monde veut vivre à la campagne alors qu’il y a 50 ans c'était totalement ringardisé : on était vus comme les paysans,  des « reculés », des oubliés (rires).

Aujourd’hui tout le monde se précipite dans la campagne, recherche l'air pur, de l'espace. Moi j'ai toujours vécu là, dans l'air pur, dans l'espace, au milieu de gens naturels qui cultivaient la terre comme mes grands-parents le faisaient. Donc je suis vraiment l’un d’entre eux et je ne vois vraiment pas pourquoi j’irais vivre dans une grande cité.

 

Justement, vous parlez de vos origines : est-ce que ce sont ces origines qui vous ont permis de toucher les gens, d’empoigner le quotidien un peu comme Jacques Prévert l’a fait avec le monde ouvrier ? 

Je pense qu’effectivement, dans tout ce que je fais, tout ce que j’écris, tout ce que je suis il y a beaucoup de choses qui viennent de là, de mes origines paysannes, oui carrément ! Mes grands-parents étaient des cultivateurs, des gens qui se tuaient au travail et voilà, je suis issu de ça. C’est la simplicité, moi, qui m’a toujours touché. Y compris chez les poètes, lorsque c’est trop intellectuel, ça ne me touche pas du tout, comme Stéphane Mallarmé par exemple… j’aurais pu adorer ce poète, il a certaines phrases splendides, mais c’est noyé dans un océan de choses complètement inextricables.

Donc je suis pour les choses simples, expliquées simplement, comme celles qu’on fait au quotidien, dans toutes les campagnes de France.

 

Francis Cabrel Klub Palladium Varsovie
Francis Cabrel - Photo Justyna Radzymińska - www.justynaradzyminska.com

 

Vous avez eu la force de caractère de garder votre accent, votre moustache, votre poésie en pleine période disco… Est-ce le fait de ne pas avoir eu les codes du show-business, qui vous a sauvé ?

Mais je ne voulais pas les avoir justement ces codes, parce que je pense qu’il faut être le plus authentique possible. Moi, toutes les personnes que j’ai aimées, que j’aime toujours, ce sont des gens authentiques qui se sont imposés justement par le fait qu’ils n’ont jamais dévié du rail qu’ils s’étaient donnés, de la ligne qu’ils avaient décidé de suivre. Je pense aux bluesmen du Mississippi, qui n’ont fait que leur musique toute leur vie et qui, finalement, 30 ou 40 ans  plus tard, ont été reconnus par toute la planète musicale. C’est ce style d’exemple que je suis. 

En fait, l'opiniâtreté c’est : vous ne m’aimez pas, vous ne me connaissez pas, je suis différent, mais justement à force d’insister, on y parvient, car justement il ne faut pas que le paysage musical soit uniforme.

 

Ça c'est votre travail justement au sein de l’association Voix du Sud ? C’est ce que vous essayez de transmettre aux jeunes générations de chanteurs, compositeurs, interprètes, musiciens, que vous accueillez en formation ?

Oui, j’essaie de leur transmettre, à tous ces jeunes qui viennent nous visiter à Astaffort, effectivement : soyez le plus authentique possible, soyez vous-même. (Soupir)

Bon y en a qui cèdent un peu aux facilités de ce que la mode nous impose et la façon dont elle nous assomme aussi. Il faut être fort pour se dégager de tout ça !

 

N’empêche que pour un jeune artiste qui veut percer aujourd’hui, c’est difficile de ne pas comptabiliser le nombre de likes et de vues sur les réseaux - ce qui va à l’encontre de ce que vous nous avez dit quelques secondes auparavant… Comment attirer l’attention des maisons de disque, du public ? 

(Rires) C’est un peu compliqué là. Là on prend un exemple extrême ! Je pense que c’est possible, justement grâce aux réseaux. Justement, tous ceux que les maisons de disques ignorent ou ont ignorés y compris de mon temps d’ailleurs… Aujourd’hui il est possible de les contourner avec tous les nouveaux moyens numériques. Quelqu’un peut exister quotidiennement et chaque jour un peu davantage en utilisant ce biais.

Moi, le seul conseil que je donne c'est d'abord de s'appliquer aux écritures et ensuite de ne pas se travestir. Le pire est de réussir alors qu'on ne correspond pas à ce que l’on propose.

 

Francis Cabrel Klub Palladium Varsovie
Francis Cabrel - Photo Justyna Radzymińska - www.justynaradzyminska.com

 

Et vous en êtes où de votre « combat » pour les quotas en faveur des chansons francophones ? [NDLR : 1800 artistes dont Jean-Jacques Goldman, Charles Aznavour, Francis Cabrel, ont lancé en 2016, un appel intitulé « Touche pas à mes quotas » afin de protéger les quotas en faveur des chansons francophones sur les radios]

Alors là j’ai un peu arrêté de me battre, je pense qu'on est submergé. C'est pour ça que je me recentre sur l'occitan parce que le français risque de devenir une langue comme l'occitan d’ici 50 ou 100 ans, si on y fait pas attention… Le français peut redevenir une langue subalterne, si l'anglais submerge tout. Je ne baisse pas les bras, mais disons que la tâche est assez ardue. 

 

Que faites-vous avant de monter sur scène, avez-vous une habitude particulière ? 

Je relis tous mes textes, y compris les plus anciens, qui sont rangés dans un classeur que je trimballe avec moi, y compris Je l’aime à mourir, Petite Marie que je connais par cœur mais l’idée c’est que la mémoire travaille, que j’ai autre chose à penser, qu'à tenter de me souvenir de la phrase d’après parce qu’il faut être un peu dégagé de ça pour éviter la crispation [pendant un concert] en fait. Moi j'ai toujours le trac mais c'est plus l'idée que je pourrais me tromper ou peut-être décevoir par rapport à ce que les gens attendent de moi. Mais je n'ai pas d'inquiétude.

Au contraire, c'est un rendez-vous très attendu : les gens ont pris leur soirée, se sont peut-être bien habillés, ont trouvé une place de parking… Enfin ils ont fait tout un tas d'efforts pour arriver là, pile à l'heure, donc ils attendent ce moment. C'est un rendez-vous que j'attends aussi, pour ma part, donc ça serait dommage que le moment venu, je rate, par un excès d'inquiétude…

 

Cela ne vous fatigue pas que depuis 1977, on vous surnomme « Le troubadour » ?

Le jour où j’ai fait ma première apparition à la télévision en 1977, j’ai été présenté comme « Ce troubadour venu de… » donc le mot troubadour m’est tombé dessus à la première minute de mon existence professionnelle. Après j’ai cherché qui étaient ces troubadours et j'ai écrit plusieurs chansons à leur propos… ça peut y ressembler, effectivement : quelqu'un qui chante l'amour, de façon un peu désespérée, car il y a toujours une part d'incertitude dans la poésie des troubadours.

D’ailleurs, le consentement a commencé à être admis en poésie à partir des troubadours :  ce sont eux qui ont inventé  l'idée que la femme pouvait réfléchir, pouvait se refuser ; leur arrivée dans le monde de la poésie est très importante. Et c'est vrai que je dois ressembler, avec ma guitare, à un troubadour.

 

Dans votre dernier album, il y a une chanson sur Toulouse Un morceau de Sicre, que représente cette ville pour vous ?

Disons que Toulouse est une ville assez fascinante, esthétiquement déjà, très belle, avec une vie culturelle très intense, c’est pour ca que je la traite de capitale dans ma chanson, parce que pour nous, dans tout le sud de la France, on a une capitale et c’est Toulouse ! 

Toute ma carrière professionnelle est passée par Toulouse à un moment donné : les studios d’enregistrement étaient à Toulouse, les quelques personnes du show-business qui n’étaient pas parisiennes étaient de Toulouse, donc c'est grâce à Toulouse et à quelques Toulousains que mon histoire s'est construite. Et puis il y a mon Claude Sicre ! Alors lui c’est un troubadour : il a fondé le groupe « Fabulous trobadors » où il a lancé l'idée de la tchatche… Les Toulousains sont des gens qui parlent, des gens qui dans la rue s'expriment, ce sont des gens du Sud assez hospitaliers, familiers.

À Toulouse, il y a également une scène musicale qui a toujours été assez importante et qui a fait son chemin dans la francophonie en général. C’est également une très grosse place sportive avec le rugby : la meilleure équipe de France est toulousaine. Non, vraiment, c'est une capitale ! 

 

Bigflo et Oli avec qui vous avez collaboré sont également originaires de Toulouse…

J’étais très très ému de savoir qu’ils aimaient mes chansons, et que leurs parents les avaient abrutis avec ça (rires), ce sont deux 2 garçons  très sympathiques j'ai adoré cette collaboration. 

 

Francis Cabrel Klub Palladium Varsovie
Photo Justyna Radzymińska - www.justynaradzyminska.com

 

Aujourd’hui, nous assistons en France, mais surtout en Pologne, aux portes de l’Ukraine, à une vraie crise du monde agricole. Quel regard portez-vous sur les “paysans”, sur l’agriculture en général et leur combat ? [NDLR Le 19 avril 2024, l’ambassadeur d’Ukraine en Pologne, Vasyl Zwarycz, a appelé les agriculteurs polonais à cesser de bloquer les passages frontaliers. « Aidez l’Ukraine à survivre, à se défendre et à vous défendre contre l’agresseur russe », a-t-il souligné.]

J’ai totalement compris le mouvement qui s’est initié chez nous. Alors je ne sais pas en Europe ce qui se passe, mais vraiment chez nous, j’ai vraiment compris que c’était essentiel pour eux ! Quand on voit des gens qui gagnent 500 euros par mois, quand on sait les horaires qu’impose une vie à la campagne avec des animaux… Quelquefois, je les vois dans la nuit, avec les tracteurs, ils se dépêchent de faire ceci ou cela, en fonction de la météo…. Ils ont des vies super contraignantes et je comprends tout à fait qu’ils aient eu ces mouvements : leur vie doit s’améliorer, ça, c’est sûr.

 

Est-ce que vous pensez avoir contribué à améliorer l’image du monde rural à travers vos textes ? Est-ce que ce n’est pas justement par des moyens culturels qu’on peut redonner aux gens de la terre,  le respect qu’ils ont perdu dans la société ? 

Je ne sais pas si j'y ai contribué, ça je ne peux pas vous le dire. J’aimerais bien, mais j’ai bien peur que non. En tout cas, je sais que les agriculteurs ont toute ma sympathie. Et effectivement, je suis un petit fils de paysans.

Mon grand-père a évité de justesse la ferme, mais il était ouvrier dans un village à côté. Donc c’est vrai que toutes mes origines remontent à tout ça, mais pour l’instant je ne pense en avoir pas fait assez pour les encourager.

 

Francis Cabrel Varsovie Photo Justyna Radzymińska - www.justynaradzyminska.com
Photo Justyna Radzymińska - www.justynaradzyminska.com

Revenons aux Voix du Sud, comment faire si de jeunes artistes, parmi nos lecteurs, souhaitent postuler ? 

Eh bien, écoutez,  je pense qu’il n’y a pas plus simple : on envoie 2-3 chansons, maintenant, c’est facile, tout est numérique. Nous, nous regardons les vidéos et il y a un jury composé de 5-6 personnes, auquel je participe, nous mettons des notes et si la personne est assez intéressante, elle est convoquée.

 

C’est ouvert à tous les francophones ?

C’est ouvert à tous les francophones, effectivement. On a vu des gens venir de très très loin.

Nous avons même accueilli deux Polonais, dont un certain Michał Kwiatkowski [NDLR qui a, après avoir remporté le prix « Voix du Sud » a participé aux rencontres d’Astaffort où il a suivi le processus de création musicale avec Francis Cabrel. Par la suite, il a participé, toujours en France, à la saison 3 de la Star Academy].

Site internet officiel de Francis Cabrel.

Voix du Sud.

Reportage photo : Justyna Radzyminska

 

 

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