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LE BIO EN POLOGNE – Un marché en pleine floraison ?

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 1 septembre 2015, mis à jour le 29 janvier 2017

Filière peu structurée, problèmes de fraude et prix élevés : le marché du bio en Pologne n'en est qu'à ses débuts. Malgré une importante croissance du secteur ces dernières années, la Pologne accuse toujours un retard vis-à-vis de ses voisins occidentaux. Toutefois, de plus en plus d'initiatives privées permettent de développer l'agriculture biologique.

© crédit photo MJ Delepaul

"Il y a eu un véritable boom de l'agriculture biologique ces dernières années en Pologne" explique Karol Przybylak, qui travaille pour Biokurier, un magazine qui informe les consommateurs de produits bio et conseille les producteurs sur les nouvelles méthodes de culture. Dans ce domaine, Varsovie fait figure de leader. Cependant, le marché du bio en Pologne n'en est qu'à ses balbutiements. Selon Dorota Metera, directrice d'un organisme de certification en agriculture biologique, "la Pologne a vingt ans de retard sur ses voisins occidentaux. Nous sommes sur la bonne voie, mais il reste du chemin à parcourir".

En effet, alors que l'agriculture biologique se développe surtout à partir des années 1970 dans des pays comme la France et l'Allemagne, il faut attendre les années 1990 pour que le mouvement commence réellement en Pologne. On peut pourtant trouver des pionniers polonais du bio dès les années 1930. Stanis?aw Kar?owski par exemple développe alors le concept d'agriculture biodynamique, avant d'être tué par les nazis. Sa méthode a été reprise, pratiquée et popularisée dans les années 1960  par Julian Osetek. Ce n'est cependant qu'avec la fondation d'Ekoland en 1989 que l'agriculture biologique telle qu'on la connaît aujourd'hui est introduite en Pologne. Cette association nationale d'agriculteurs bio existe à présent dans plusieurs régions du pays.

Une filière peu structurée, un marché sous-développé

Le problème principal en Pologne est que la filière du bio est très peu structurée. Cela signifie que les intermédiaires entre le producteur et le consommateur (chambres de commerce, structures d'achat, etc.) sont peu développés. "On se retrouve avec une situation paradoxale : les producteurs n'arrivent pas à écouler leurs produits, tandis que les consommateurs peinent à trouver des produits bio polonais, ce qui les conduit à acheter? des produits bio importés, en provenance d'Allemagne notamment" explique Karol Przybylak. Faute de débouchés, les producteurs sont parfois obligés de vendre leurs produits aux prix de l'agriculture classique, au risque de perdre énormément d'argent. "La vente de gros n'existe quasiment pas pour le bio en Pologne, analyse Ewa Sufin-Jacquemart, présidente de la fondation Strefa Zieleni (Zone du vert). Les producteurs sont obligés de tout vendre au détail. J'en connais qui font des centaines de kilomètres chaque jour pour faire la tournée des marchés dans toute la Pologne!" D'un autre côté, le manque d'organisation des producteurs entre eux pénalise la filière toute entière. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que beaucoup de magasins bio en Pologne préfèrent s'approvisionner dans les marchés de gros à Berlin plutôt que de faire le tour des petits producteurs polonais.

Le BioBazar de Varsovie. © crédit photo MJ Delepaul 

Mais le marché commence à s'organiser petit à petit. Plusieurs dizaines d'agriculteurs se sont par exemple regroupés dans la région de Roztocze pour créer leur propre centrale d'achat. Le concept des AMAP (associations d'aide au maintien de l'agriculture paysanne) a aussi été importé de France sous le nom de RWS (Rolnictwo Wspierane przez Spolecznosc), et il y a aujourd'hui une quinzaine de ces structures qui rassemblent producteurs et consommateurs en Pologne.

Les consommateurs, entre attrait et réticence

Progressivement, l'idée de manger des produits bio fait son chemin en Pologne. Parmi les habitués, on retrouve surtout les couples qui ont de jeunes enfants ou les femmes enceintes, les personnes souffrant d'allergies et maladies diverses et les personnes âgées soucieuses de leur santé dont le pouvoir d'achat leur permet d'accéder à ces produits. 

Car consommer bio représente un certain coût. En Pologne, "la différence entre les produits classiques et les produits issus de l'agriculture biologique est très importante, analyse Karol Przybylak, le bio étant parfois jusqu'à deux fois plus cher." Une barrière qui freine les consommateurs. Joanka Szewczyk, qui produit des pommes et des jus de fruits vendus au Biobazar, témoigne : "J'ai quelques clients, des jeunes surtout, qui ne viennent me voir que pour acheter sept pommes, une pour chaque jour de la semaine, parce qu'ils ne peuvent pas se permettre d'acheter plus" même si à six zlotys le kilo, les pommes de Joanka ne sont pourtant  pas parmi les produits les plus chers, loin de là? Car pour cette petite productrice, faire du bio est un véritable engagement : "en agriculture conventionnelle, un hectare de pommiers donne entre 40 et 80 tonnes de pommes par an, contre 10 à 30 tonnes en agriculture biologique. Cette différence de productivité explique les prix plus élevés." Plusieurs consommateurs confient qu'il est impossible pour une famille de classe moyenne de se nourrir uniquement avec des produits bio, même si les fruits et légumes de saison sont plus accessibles que le fromage et la viande.

© crédit photo MJ Delepaul

Les abus et dérives ternissent l'image du bio en Pologne

En 2012, 4,6% des terres agricoles polonaises sont dédiées à l'agriculture biologique, contre 3,6% en France, et une moyenne européenne d'environ 5,4%. Mais derrière ces chiffres encourageants se cachent de multiples problèmes qui viennent noircir le tableau du bio. "Même si on n'a pas de chiffre officiel, environ la moitié des terres dites « bio » sont en fait des sortes de terrains vagues où rien n'est produit, achetés par des investisseurs privés pour bénéficier des subventions de l'Etat à l'agriculture biologique" explique Dorota Metera. Les personnes de la classe moyenne ou supérieure préfèrent investir dans l'achat de terre plutôt que dans l'immobilier ou les produits financiers car c'est une valeur sûre, et qu'il est très facile d'obtenir les subventions de l'Etat. "C'est d'ailleurs pour cela que la surface moyenne des parcelles bio est deux fois plus grande que celle des exploitations classiques", ajoute Dorota Metera. Cette bizarrerie est en effet paradoxale : comment les méthodes contraignantes du bio pourraient-elles permettre une agriculture encore plus intensive que l'agriculture industrielle conventionnelle conditionnée par les pesticides et engrais chimiques ? Ce sont donc ces parcelles bio fictives géantes qui grossissent artificiellement la moyenne de la surface agricole utile (SAU) en agriculture bio.

Les faux « vergers » bio de Pologne. © crédit photo Dorota Metera

Ce genre de scandale est relayé par la presse polonaise (notamment par l'hebdomadaire Polityka) et contribue à accroître la méfiance des consommateurs. Mais Dorota Metera précise cependant : "Il faut bien faire la différence entre les subventions à l'agriculture bio accordées par l'Etat polonais, qui ont été en partie détournées par ce genre de pratiques, et les certifications en bio qui sont quant à elles réalisées de façon très contrôlée par des organismes privés sur la base des normes définies par l'Union européenne."

Outre ces abus, l'agriculture bio en Pologne souffre aussi d'une insuffisance d'offre de fourrage et de graines bio. En conséquence, les autorités polonaises fournissent des dérogations aux éleveurs : ceux-ci ont le droit de nourrir les porcs et les volailles avec un fourrage comportant 5% de nourriture non biologique mais sans OGM. D'autres dérogations permettent également aux agriculteurs d'acheter des semences non issues de l'agriculture biologique.

Le bio en Pologne, seulement du "greenwashing" ?

Pour certains militants écologistes, il n'y a aucune volonté politique en Pologne pour développer le bio. Ewa Sufin-Jacquemart, présidente de la fondation Strefa Zieleni (Zone du vert) va même jusqu'à qualifier de "greenwashing" l'action du gouvernement polonais. Selon elle, ce dernier prêche en faveur d'une agriculture productiviste intensive, et les petites mesures en faveur du bio ne sont que des opérations marketing destinées à se donner une image écologique et responsable. A l'appui de cet argument, elle cite le scandale de la vodka bio en 2005. A l'époque, l'Allemagne accueille comme chaque année le Biofach, salon mondial du bio. Les représentants polonais exposent sur leur stand de la vodka bio? spécialement créée pour l'événement, et jamais produite ensuite !

D'autres spécialistes sont plus modérés. Pour Dorota Metera,  le gouvernement polonais ne fait que le strict minimum imposé par l'Union européenne, comme la mise en place d'un programme de développement rural, par exemple. "La Pologne est un pays très libéral, où l'initiative privée est sacralisée, explique-t-elle. Petit à petit, les différents acteurs arrivent à faire avancer la cause du bio par eux-mêmes." A titre d'exemple, dans les universités, plusieurs professeurs engagés ont pris l'initiative d'enseigner à leurs étudiants les principes de l'agriculture biologique, sous forme de conférences. Le premier cours de ce genre est né à l'Université des sciences de la vie de Varsovie. A la rentrée 2015, une université populaire ouvrira ses portes à des étudiants intéressés par l'agriculture bio pour un cursus pratique de deux ans, l'"Ekologia Uniwersytet Ludowy".

Des initiatives prometteuses sont donc prises malgré les difficultés, mais il faudra certainement attendre quelques années pour en récolter les fruits?

Marie-Jeanne Delepaul (lepetitjournal.com/Varsovie) - Mercredi 2 septembre 2015

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