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ENTRETIENS DE ROYAUMONT A VARSOVIE - "L'Europe a-t-elle manqué le virage du numérique?"

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 18 novembre 2014, mis à jour le 19 novembre 2014

Après une première édition réussie en 2013, les Entretiens de Royaumont étaient de retour au Château Royal de Varsovie ce samedi 15 novembre. C'est autour de la question "L'Europe a-t-elle manqué le virage du numérique ?"que les interventions et les échanges se sont organisés.  A l'aube de ce qui semble s'annoncer comme une phase de transformation inédite dans notre histoire, des questions essentielles découlent de ce thème central : les valeurs de notre civilisation sont-elles menacées ? A l'heure où l'information immédiate est omniprésente, la propriété, elle, devient-elle une valeur dépassée ? La vitesse à laquelle surviennent les changements nous mettent en situation de déséquilibre constant, et il semble que les champions d'hier ne soient plus ceux d'aujourd'hui sur la scène mondiale… Un constat que partagent tous les participants et des questions auxquelles, chacun a tenté d'apporter une réponse. Voici, en résumé, le contenu de cette journée et ses temps forts. 

Photo: © Ambassade de France en Pologne

Avant de trouver les solutions à un problème, il faut déjà établir un diagnostic de la situation. C'est à Jérôme Chartier, député UMP du Val-d'Oise et co-président des Entretiens de Royaumont à Varsovie, qu'incombe la tâche de poser le constat initial. En guise d'introduction, il nous rappelle qu'en 2000, six fabricants de téléphones mobiles sont installés en Europe, représentant ainsi 50% du marché mondial dans ce secteur. Mais Nokia a été racheté par Microsoft, tandis qu'Alcatel et les autres groupes européens voient leurs parts de marché décroître peu à peu. Le numérique n'est pas qu'un simple secteur parmi d'autres, il est présent dans tous les domaines de l'économie mondiale. Or, force est de constater que l'Europe a mal négocié le virage du numérique.

Manque de concurrence pour les leaders, protection des données personnelles, fiscalité, rémunération des artistes...

Ce sont en effet de grands groupes américains (Google, Bing, Yahoo) qui contrôlent les portes d'entrée sur Internet, créant une situation oligopolistique hostile à toute forme de concurrence. Un autre aspect revêt une importance particulière, il s'agit du respect de la vie privée. Aujourd'hui, nous publions tous des informations, des photos et autres renseignements nous concernant sur les réseaux sociaux. Si, par exemple, nous effectuons une recherche de livres sur Internet, nous recevrons par mail des offres de biens similaires, sans avoir demandé quoi que ce soit. Toutes ces données personnelles, plus ou moins privées, sont recensées et archivées par Google. Mais quid de la protection des données personnelles et du "droit à l'oubli"

De plus, les grands groupes choisissent de s'installer dans les pays où la fiscalité est la plus avantageuse (en Irlande pour Apple), ce qui leur permet de générer des profits pharaoniques alors même que cela entraîne un manque à gagner non négligeable pour les Etats (un milliard d'euros par an en ce qui concerne la France). Enfin, le secteur culturel a fortement évolué avec le numérique. A une époque où l'on peut télécharger illégalement des films, des musiques et des livres, se pose une question fondamentale : comment organiser la rémunération de l'artiste ?

Premier temps fort : le débat entre Jacques Attali et Michał Boni

Tout au long de la journée, plusieurs tables rondes ont lieu. Chacune rassemble des intervenants français et polonais, venant de divers milieux (chefs d'entreprise, hommes politiques, juristes, journalistes, personnes travaillant dans le domaine culturel…) et débattant sur des questions précises. 

Photo: © Ambassade de France en Pologne

Le premier temps fort de ces Entretiens de Royaumont à Varsovie est le débat entre Jacques Attali, ancien président de la BERD (Banque européenne de Reconstruction et de Développement) et célèbre essayiste français, et Michał Boni, député européen et ancien ministre polonais du Travail. M. Attali souhaite d'abord préciser que le numérique comprend aussi les nanotechnologies, qui permettent la construction de drones militaires et d'objets d'espionnage mais aussi des progrès importants dans le domaine de la santé. Face à ce qu'il qualifie de "dictature" et de "tyrannie générale de la transparence", il préconise la mise en place d'un droit plus protecteur des données personnelles. M. Boni, quant à lui, s'insurge contre la vision française qui fait des Etats-Unis un adversaire alors que, selon lui, il faudrait en premier lieu chercher à collaborer avec ce pays.

"On a besoin de choses qui nous fassent rêver"

Lors de la table ronde de conclusion, animée par Sylvie Kauffmann, directrice éditoriale du journal Le Monde, les débatteurs expriment à tour de rôle leur opinion sur le rôle que doit désormais jouer l'Europe. Si Tariq Krim, fondateur et PDG de Jolicloud, déplore le fait que "L'Europe ne crée plus de rêve", ce qui pousse les jeunes entrepreneurs à partir innover ailleurs, Henryk Klaba, lui, est encore plus pessimiste. Selon le PDG de OVH, on ne peut guère compter sur l'Europe, qui n'a pas d'argent à consacrer aux start-ups et taxe trop les entreprises. "Laissez-moi travailler tranquille !", s'exclame-t-il à la fin de son intervention. Jakub Turowski, qui travaille au sein de Facebook Poland, insiste sur la nécessité d'encourager la prise de risque en Europe, "condition sine qua non pour réussir le virage numérique". Le ministre de l'Administration et du Numérique en Pologne, Andrzej Halicki, remarque qu'il y a en Europe 80 villes de plus de 500.000 habitants et qu'il faudrait réussir à créer une dynamique innovatrice grâce à ces métropoles. Enfin, le message le plus optimiste vient sans nul doute de Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique en France. Malgré 500 millions d'individus très bien formés aux nouvelles technologies, le Vieux continent a manqué la première vague du numérique. Mais il ne peut se permettre de rater la seconde, et doit profiter de ses atouts pour proposer des innovations de plus en plus performantes. En faisant un parallèle avec la sonde Rosetta, M. Thieulin entend bien démontrer que l'Europe peut accomplir des exploits scientifiques. "On a besoin de choses qui nous fassent rêver," conclut-il.

Pour ce faire, la nécessité de travailler de concert est évoquée : la réglementation du net est différente en fonction de chaque pays et il en est de même pour la gestion des données. Ce manque d'uniformité défavorise l''Europe. "Il faudra une Europe unifiée numériquement", s'exclame-t-on. Mais si l'union fait la force, encore faut-il organiser cette force. Le rôle du droit est donc primordial : un cadre juridique reste à définir, accompagné d'un poids du politique plus affirmé, dans un contexte où il n'a fait, jusqu'à présent, que déléguer.

François Fillon, un invité de marque pour clore les débats

Après une brève synthèse réalisée par Maciej Witucki (président de la CCIFP), c'est à François Fillon, ancien Premier ministre français, qu'échoit l'honneur de clore les débats. Pour lui, "l'Europe n'a pas raté la révolution du numérique, elle n'est juste pas dans le wagon de tête." Il manque aux Européens une vision, ainsi qu'une volonté de jouer ensemble cet avenir commun, nécessaire afin de "passer à l'offensive pour gagner la révolution numérique."

Photo: © Le Petit Journal/Varsovie

La soirée s'est terminée autour d'un cocktail dînatoire. Visiblement satisfait par la qualité des échanges entre intervenants et la teneur des débats, Jérôme Chartier nous l'a assuré : "il y aura une autre édition des Entretiens de Royaumont à Varsovie en 2015, c'est sûr et certain." Le rendez-vous est déjà pris.

Raphaël Brosse (Le Petit Journal/Varsovie) - Mercredi 19 novembre 2014

lepetitjournal.com varsovie
Publié le 18 novembre 2014, mis à jour le 19 novembre 2014