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Élections législatives 2023, le test politique polonais le plus important depuis 1989

Les élections parlementaires polonaises (Wybory parlamentarne), qui se tiendront le 15 octobre prochain, sont considérées par beaucoup comme le test politique le plus important auquel la Pologne ait été confrontée depuis la fin de la période communiste en 1989. Même si le PiS peut compter sur le vote rural, cela sera-t-il suffisant pour obtenir la majorité absolue ? Où en est l’opposition et surtout, à la troisième place, qui sera le fameux « Faiseur de rois » ?

Elections parlementaires Pologne couvertureElections parlementaires Pologne couverture
Le 15 octobre prochain, les Polonais sont appelés aux urnes
Écrit par Ronan Corcoran
Publié le 27 août 2023, mis à jour le 30 août 2023

 

Contexte géopolitique et national des législatives 2023

 

Depuis l’arrivée au pouvoir du parti conservateur Droit et Justice en 2015 (Prawo i Sprawiedliwość, PiS) et surtout depuis l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, la Pologne est au centre des attentions politiques européennes. Souvent présenté comme le membre turbulent du village européen, suite à ses politiques sur le droit à l’avortement ou sur l’indépendance de la justice, la Pologne a réussi à superviser l'une des plus fortes croissances économiques d'Europe et à devenir un acteur géopolitique majeur dans le contexte du conflit russo-ukrainien.

L’enjeu de ces élections est d’importance : ce sont 460 députés de la IXe législature de la Diète et 100 sénateurs de la Xe législature du Sénat, qui seront élus, pour un mandat de quatre ans. Ils seront élus par un scrutin proportionnel plurinominal dans 41 circonscriptions électorales de 7 à 19 sièges en fonction de leur population. Actuellement, le parti Droit et justice (PiS) dispose de la majorité absolue à la Diète (235 sièges), mais pas au Sénat (47 sièges). 

 

Le vote rural pour le PiS sera-t-il suffisant ?

 

La plupart des sondages indiquent que le PiS remportera les élections mais que les résultats obtenus par le parti (32 à 35 % des intentions de vote) ne lui permettront pas d'obtenir la majorité absolue au parlement, comme pendant les élections de 2015 (37,5 %) et de 2019 (43,6 %). À ce sujet, jusqu'en 2015, tous les gouvernements majoritaires établis en Pologne après 1989 étaient des gouvernements de coalition et dans la pratique, le gouvernement du PiS a également un caractère de coalition – il est composé des partis de la Droite unie (Zjednoczona Prawica), c'est-à-dire le PiS, ainsi que Pologne Souveraine (Suwerenna Polska) et Les Républicains (Republikanie). 

 

Afin d’avoir une chance de conserver sa majorité lors des élections générales d’octobre, le PiS doit maintenir sa domination dans les zones rurales en veillant à ce que les préoccupations de ces circonscriptions soient prises en compte. À ce titre, la décision de bannir l’importation du blé ukrainien le 15 avril – mettant en colère Kiev et Bruxelles – a montré à quel point le vote rural était important pour le PiS. En Pologne, les zones rurales composent environ 40 % de la population, un des plus haut taux dans l’Union européenne. En comparaison, ce chiffre est de 19 % en France, et de 22 % en Allemagne, selon la Banque mondiale.

 

Néanmoins, il semble paradoxal que les agriculteurs et les habitants des zones rurales, qui ont le plus bénéficié de l'adhésion de la Pologne à l'UE, votent pour un parti réputé eurosceptique. Depuis l'adhésion de la Pologne à l'UE, la valeur des exportations agroalimentaires du pays a été multipliée par plus de 13 entre 2000 et 2020. Également, la grande majorité des habitants des zones rurales (90 %) et des agriculteurs (88 %) sont favorables à l'appartenance de la Pologne à l'UE. Tout comme la société polonaise dans son ensemble, ils reconnaissent les avantages de l'intégration européenne. Mais cela ne signifie pas que les électeurs ruraux approuvent nécessairement toutes les politiques menées au sein de l'UE. Les positions socialement libérales sur les droits des LGBT et l'avortement ont moins de poids dans ces régions que dans la société urbaine et les positions du PiS reflètent le mieux les opinions politiques de la Pologne rurale.

 

Quid de la question religieuse en Pologne ?

 

Les questions religieuses revêtent aussi une importance considérable. La manière dont le PiS s'est rapproché de l'Église catholique a contribué à assurer sa domination dans les zones rurales généralement conservatrices. Si dans les zones urbaines la fréquentation des églises a diminué de manière marquée, l’Église reste une institution importante dans les campagnes. Là encore, la position de l'opposition qui plaide en faveur d'une moindre connivence de l'État avec l'Église à moins de poids que dans les villes.

 

Enfin, depuis 2020, de nouveaux facteurs qui pourraient modifier de manière significative la carte politique des zones rurales sont apparus. Il s'agit notamment de la pandémie, de l'inflation élevée, du ralentissement de la croissance économique, de la guerre en Ukraine, du conflit entre le gouvernement polonais et les institutions de l'UE, ainsi que de la présence de nouveaux acteurs politiques tels que Polska 2050 et AGROunia, un mouvement de protestation des agriculteurs dirigé par Michał Kołodziejczak.

 

Dans quel état se trouve l’opposition ? 

 

Depuis mai 2023, le parti social-libéral Plateforme Civique (Koalicja Obywatelska, KO), au pouvoir entre 2007 et 2015 et actuellement principal parti d’opposition, a connu une forte progression dans les sondages d'opinion. Ce parti dirigé par Donald Tusk – qui a été Premier ministre de 2007 à 2014 et qui est revenu sur la scène politique polonaise en 2021 après avoir été président du Conseil européen – a bénéficié de la polarisation accrue d'une scène politique déjà bien divisée. Ainsi, bien que le PiS soit resté le premier parti des sondages, le KO a vu sa cote passer de 27 % au début du mois de mai à 31 % en juillet. 

 

Cette dynamique électorale s’est particulièrement manifestée le 4 juin à Varsovie – date anniversaire des premières élections partiellement libres en 1989 – lors de la marche des partis de l’opposition contre la création d’une « commission de lutte contre l’influence russe » et contre le PiS de façon plus générale. Cette commission dont les membres sont nommés par la Sejm – le parlement contrôlé en majorité par le PiS – est chargée d’enquêter sur les décisions gouvernementales économiques et politiques prises avec la Russie entre 2007 et 2022 et de déterminer si elles ont porté atteinte aux intérêts nationaux polonais. L’opposition a déclaré que son véritable objectif était de cibler et d'affaiblir les opposants du PiS avant les élections législatives d’octobre. En effet, de nombreux commentateurs ont affirmé que l'enquête visait principalement Donald Tusk que le PiS a souvent accusé d'avoir été trop amical envers la Russie et d'avoir permis à la Pologne d'être influencée par Moscou pendant son mandat. Également, les pouvoirs de cette commission comprennent une disposition permettant d'exclure des fonctionnaires de leurs fonctions pour une période pouvant aller jusqu'à 10 ans. L'opposition a ainsi dépeint la formation de cette commission comme l'un des moments les plus dramatiques de la démocratie polonaise de l'après 1989.

 

Danger de la polarisation autour d’un seul parti d'opposition ? 

 

Enfin, la polarisation de l’opposition polonaise autour d’un seul parti, le KO, et d’une seule figure, Donald Tusk, pourrait servir la stratégie électorale du PiS. Bien qu’il soit un critique éloquent et efficace du parti au pouvoir, les sondages d’opinion montrent une méfiance à l'égard de Donald Tusk. Étant donné qu’il a été Premier ministre pendant sept des huit années où le KO a été au pouvoir, peu d’hommes politiques incarnent mieux que lui le gouvernement précédent, que beaucoup de Polonais considéraient comme déconnecté de leurs besoins et dépourvu de sensibilité sociale. 

 

Le vainqueur de la troisième place sera-t-il le « faiseur de roi »  

 

L’expression « faiseur de roi », utilisée par The Economist s’applique parfaitement dans ce cas précis, explications. Comme les sondages d’opinion le suggèrent, ni le PiS ni le KO ne seront en mesure d’obtenir une majorité à l’issue des élections législatives d’octobre. Le parti qui remportera la troisième place pourrait bien décider de l’équilibre du pouvoir en entrant, ou non, en coalition avec le PiS ou le KO. À ce titre, le parti de droite radicale Confédération (Konfederacja) ou l’alliance centriste Troisième Voie (Trzecia Droga) – formée par Polska 2050 et le Parti paysan polonais (Polskie Stronnictwo Ludowe, PSL) – se distinguent comme favoris pour la troisième place.  

 

1 - Confédération (Konfederacja), un parti qui a fait le ménage pour redorer son image et attirer les jeunes ? 

 

Fondé en 2018, le parti de droite radicale Konfederacja s’est formé autour d’un mariage d’idées économiquement libérales, voire libertariennes et nationalistes. Son principal objectif politique est la réduction des impôts et la limitation de l’intervention de l’État dans l’économie nationale. Aux élections parlementaires de 2019, le parti a récolté 6,8% des suffrages et obtenu 11 sièges à la Sejm. Pour les prochaines élections, le parti est crédité en moyenne de 12 à 13 % des intentions de vote. Les sondages indiquent aussi que Konfederacja a davantage de chances de détenir la balance du pouvoir pour la prochaine législature. Ce succès peut s’expliquer par deux facteurs : le renouvellement des chefs du parti et la reprise du monopole des idées libérales. 

 

Le parti a professionnalisé son image en mettant à l’écart ses figures les plus controversées et en donnant une grande visibilité à des cadres plus jeunes et plus charismatiques – Krzysztof Bosak (41 ans) et Sławomir Mentzen (36 ans) – capables de communiquer leur programme radical de manière plus raisonnable et mesurée. Les jeunes leaders de Konfederacja ont souligné à plusieurs reprises leur objectif d’envoyer Donald Tusk (66 ans) et Jaroslaw Kaczyński (74 ans) « à la retraite », un message qui trouve un écho chez certains jeunes polonais en demande de renouvellement de la scène politique. 

 

Konfederacja a également développé une forte présence sur les réseaux sociaux qui sont la principale source d’information politique des jeunes électeurs polonais. Cette année, environ 1,4 million de Polonais âgés de 18 à 21 ans pourront voter pour la première fois et selon l’étude Debutants’23, près de 31 % des jeunes annoncent vouloir voter pour un candidat de Konfederacja (dont 46 % d’hommes et 16 % de femmes). 

 

L’étude donne aussi une indication de la raison pour laquelle le parti est si populaire chez les jeunes Polonais. Interrogés sur les caractéristiques de leur parti politique idéal, 53 % des répondants ont choisi la « baisse des impôts », qui est la préoccupation la plus prioritaire. Cependant, certaines préoccupations populaires chez les jeunes Polonais rentrent en contradiction avec l’agenda politique de Konfederacja. Par exemple, 41 % des jeunes Polonais souhaitent assouplir l’accès à l’avortement, alors que le parti veut y durcir l’accès. Également, alors que Konfederacja est fortement opposé aux droits des personnes LGBT, 66 % des jeunes Polonais sont favorables à l’union civile entre les personnes de même sexe et 60 % sont en faveur de l’introduction des mariages entre personnes de même sexe.

 

Konfederacja a également profité du fort virage à gauche du KO sur les questions socio-économiques. Le KO qui était à l’origine un parti favorable à l’économie de marché a, dans un effort pour surpasser le PiS en matière de dépenses sociales, presque complètement abandonné ses racines libérales d'antan. En tant que formation politique qui a attaqué aussi vigoureusement le PiS que les autres partis d’opposition, la polarisation accrue de la scène politique a davantage confirmé Konfederacja comme une troisième force crédible. À ce titre, une coalition entre le PiS et Konfederacja après les élections d’octobre semble peu probable. Konfederacja s’oppose aux dépenses sociales du PiS, qui sont la base de leur programme – notamment dans le cadre du programme familial 500+ (Program Rodzina 500+). Enfin, le parti veut conserver son image antisystème et espère, à terme, remplacer le PiS comme parti dominant de la droite polonaise. 

 

2 - La coalition de la Troisième voie (Trzecia Droga), l’alternative de circonstance ?

 

La coalition de la Troisième voie (Trzecia Droga), unissant le parti paysan PSL et le parti de centre-droite Polska 2050, talonne Konfederacja pour la troisième place à environ 10 % des suffrages. Formée en avril 2023, l’alliance veut s’inscrire en alternative au KO depuis son pivot politique vers un accroissement des dépenses sociales. L’alliance souhaite résoudre les disputes sur l’avortement par un référendum national. Elle souhaite aussi taxer les profits des compagnies énergétiques et les réinvestir vers le développement des énergies renouvelables. Enfin, sur l’Europe, le parti Polska 2050 est membre du groupe eurofédéraliste Renew Europe au Parlement européen et est le seul grand parti politique qui s'est déclaré en faveur d'une adhésion rapide de la Pologne à la zone euro.

 

Néanmoins, la Troisième voie peine à obtenir des suffrages… Pourquoi en 3 points ?

  1. Créditée de 13 % des suffrages en mai 2023, elle a chuté à 10 % en juillet 2023. Cette chute peut s’expliquer par le succès de la marche du 4 juin à Varsovie consacrant symboliquement Donald Tusk comme principal chef de l’opposition. 
  2. Les deux partenaires de la Troisième voie sont politiquement très différents. Le PSL est le plus ancien parti politique polonais et a la réputation d'être très élastique lorsqu'il s'agit de former des coalitions. Le parti Polska 2050 – formé par l'ancien présentateur de télévision Szymon Hołownia en 2021 – a construit son image sur le renouveau et sur le rejet de la vieille politique. 
  3. La Troisième voie peine aussi à se différencier du KO et à convaincre les électeurs qu’elle offre une réelle alternative à la fois au parti au pouvoir et au principal parti d’opposition. Enfin, il semble que certains électeurs opposés à l’augmentation des dépenses sociales, aient été davantage attirés par Konfederacja qui se présente comme une véritable alternative au PiS et à l’opposition traditionnelle. 

 

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