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Constitutionnalisation du droit à l’avortement : la France rejointe par l’Espagne ?

Cela faisait longtemps que la fierté d’être français n’avait été aussi justifiée. Les yeux du monde entier se sont tournés vers le pays des Lumières. Non pas pour ses manifestations ou ses quartiers qui brulent, mais pour l’inscription du droit à l’avortement dans sa Constitution. Symboliquement, ce nouveau droit fondamental a été promulgué le 8 mars en France, à l’occasion de la journée internationale des droits de la femme. Mais qu’en est-il de l’Espagne ?

congrès des députés espagnols en Espagnecongrès des députés espagnols en Espagne
Congrès des députés en Espagne. / Pool Moncloa/Fernando Calvo, via Wikimedia
Écrit par Frédéric Jambu
Publié le 27 mars 2024, mis à jour le 2 avril 2024

Certains, en Espagne, proposent d’emboiter le pas à la France

La semaine dernière, Yolanda Diaz, dirigeante de la coalition de gauche SUMAR et Ministre du travail, a proposé de suivre l’exemple de la France. Elle a suggéré d’inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la constitution espagnole. « La France et ses femmes ont montré que des progrès étaient possibles et nécessaires, (…). Il est temps de garantir pleinement les droits de toutes les femmes » a déclaré, le 6 mars, le parti de Mme. Diaz.

Le droit à l’avortement a été dépénalisé en Espagne en 1985, puis a été légalisé en 2010. Une femme peut donc interrompre librement sa grossesse jusqu’à 14 semaines, 22 en cas de malformation du fœtus. 

Toutefois, la péninsule est pleine de paradoxes. Cette société qui, de prime abord, semble ouverte et bienveillante, peut prendre des positions radicales et se déchirer. On se souviendra que, récemment, dans la région Castilla y León, le parti d’extrême-droite Vox, alors membre de l’alliance au pouvoir sur ce territoire, avait proposé de suivre les pas du hongrois Viktor Orban. Mettant la droite mal à l’aise, ce parti voulait faire écouter les battements du cœur de l’enfant et montrer « une vidéo » du fœtus à toute femme souhaitant avorter. 

 

L’IVG entre propositions et protestations en Espagne 

Sans aller à de telles extrémités, l’IVG n’est pas anodin dans ce pays majoritairement catholique. Ce droit reste fragile en Espagne. En décembre 2013, le Premier ministre conservateur Mariano Rajoy avait proposé un projet de loi restreignant l’avortement aux cas de grave danger pour la vie de la mère ou de viol. De nouveau confrontée à ses contradictions, la société espagnole s’était largement mobilisée obligeant le gouvernement à retirer son texte.

Pedro Sanchez, l’actuel chef du gouvernement socialiste, a proposé, en mai 2022, une loi visant à renforcer le droit à l’avortement dans les hôpitaux publics. En effet, de nombreux médecins font prévaloir leur droit à l’objection de conscience. Les députés ont adopté le projet le 16 février 2023.

Cette décision a provoqué la descente de milliers de manifestants dans les rues de Madrid, courant mars. Pour adopter la proposition du parti de Yolanda Diaz, comme en France, députés et sénateurs doivent voter pour la constitutionnalisation du droit à l’IVG par une majorité des trois cinquièmes. Dans le contexte politique actuel, sauf accord particulier avec la droite du PP, on peut avoir quelques doutes que cela puisse se concrétiser rapidement.

 

Dans les autres pays européens, où en est-on ?

carte des lois sur l'avortement en Europe
Carte des lois sur l'avortement en Europe. Le numéro signifie la semaine jusqu'à laquelle l'avortement est légal. L=La grossesse menace la vie de la mère, H=Santé physique de la mère, MH=Santé psychologique de la mère, D=Handicap de l'enfant (par exemple, syndrome de Down), R=Viol, I=Inceste. / Source : Wikipedia, Wikimedia Commons.

Les 27 Etats membres de l’Union européenne ont adopté une loi ouvrant le droit à l’avortement. Le dernier pays à avoir voté un tel texte est Malte, et c’était seulement en juin 2023. Les législations en vigueur ne sont pas identiques. Il y a de nombreuses variables sur la question des raisons de l’interruption de la grossesse. Dans certains Etats, la liberté de décision est totalement libre, c’est le cas de l’Espagne. Dans d’autres, la cause est restrictive, voire très encadrée. 

A Malte, en Irlande, en Pologne, ou encore en Hongrie, la loi n’autorise l’IVG qu’en cas de risque vital pour la mère ou le fœtus. Jusqu’en 2018, la constitution irlandaise reconnaissait, au même titre, le droit à la vie à la mère et au futur enfant. Suite à un référendum, le 8ème amendement du texte a été abrogé et le droit à l’avortement a donc été abrogé par le Parlement.

Pour être exhaustif sur la question, il y a le sujet du droit à l’objection de conscience des médecins. Cette « clause » les autorise à ne pas pratiquer d’acte pouvant heurter leurs convictions morales, éthiques et/ou religieuses. Sur les 27 Etats de l’Union européenne, 24 prévoient cette disposition spécifique à l’IVG. Seules la Finlande, la Suède et la Lituanie n’autorisent pas le corps médical à refuser l’avortement. En Roumanie, par exemple, bien que l’avortement soit légal depuis 1990, la plupart des hôpitaux publics ne le pratiquent pas, faute de moyens ou parce que les médecins refusent de le faire.

 

Et « Bruxelles » dans tout ça ?

Presque deux ans avant le vote des élus français, le Parlement européen avait adopté un texte sur le sujet. En juin 2022, à une très large majorité, les députés européens ont voté une résolution visant à inscrire le droit à l’avortement dans la Charte européenne des droits fondamentaux. Le texte a été adopté en réaction à la décision de la Cour suprême des États-Unis de mettre fin au droit constitutionnel fédéral à l’IVG. Toutefois, comme plusieurs eurodéputés me l’ont précisé, « la résolution n’est pas contraignante » et ils ne se montrent d’ailleurs pas vraiment optimistes sur le sujet.

parlement européen
L'hémicycle du bâtiment Louise-Weiss du Parlement européen à Strasbourg, lors d'une séance plénière en 2014. / CC BY-SA 3.0

Réuni en session plénière ce mois de mars, le Parlement a remis la question « sur la table ». Les débats ont encore été vifs. Les partisans du droit à la vie et à la protection de l’enfant se sont opposés à ceux voulant introduire le droit à l’avortement dans la Charte. Parmi les premiers, on retrouve le néerlandais Bert-Jan Ruissen (CRE - Conservateurs et Réformistes Européens) ou l’espagnole Isabel Benjumea Benjumea (PPE – Parti Populaire Européen). 

Majoritairement, les députés ont fermement défendu un droit européen à l’IVG. L’espagnole Diana Riba i Giner (Verts) a déclaré : « On ne remercie pas M. Macron d’avoir déposé cette demande…nous remercions ici toutes les femmes qui ont lutté pour nos droits ». Comme la députée française Nathalie Colin-Oesterlé (PPE), elle a rappelé que le Chef de l’Etat français, et son homologue allemand, se sont opposés à l’introduction du consentement dans une définition européenne du viol dans le cadre de la directive contre les violences sexistes.


Droit à l'avortement en Europe : un chemin semé d'embûches

allégorie de la justice avec une balance et un bandeau sur les yeux
Tingey Injury Law Firm, Unsplash

Pour inscrire le droit à l’avortement dans la Charte, donc modifier les traités, trois possibilités existent :

- Le Conseil de l’Union européenne (sorte d’assemblées des 27 ministres européens organisées par thèmes, pour faire bref) peut se saisir du sujet et, éventuellement, décider de l’adopter. A ce stade, un fonctionnaire de cette institution m’a affirmé que « le Conseil n’a pas discuté la question de la modification de la Charte des droits fondamentaux de l’UE dans le contexte du droit à l’avortement ». La piste est donc au point mort.

- Autre possibilité, la Commission européenne fait une proposition aux Etats membres. Le porte-parole de cette institution m’a précisé que « la législation, dans ce domaine, relève des Etats membres ». Toutefois, il a tenu à me rappeler les propos de sa Présidente, Ursula Van der Leyen, en 2020 : « Des droits forts pour les femmes sont un atout et une réalisation dont l’ensemble de l’Europe doit être fier ». Ne dit-on pas que les déclarations n’ont de valeur que pour ceux qui y croient ?

- Enfin, un des Etats, durant sa présidence semestrielle, peut porter un sujet dans l’agenda des discussions. Pour rappel, tous les 6 mois, un pays de l’UE prend la tête des dossiers européens et organise réunions, débats, rencontres… Actuellement, la Belgique est à la Présidence. Le dernier semestre de l’année 2023, l’Espagne avait ce rôle. J’ai donc interrogé les autorités sur le sujet. La direction communication de la Représentation permanente de l’Espagne auprès de l’UE m’a répondu que « le droit à l’avortement ne faisait pas partie des priorités inscrites lors de la Présidence espagnole ». Toutefois, « la garantie des droits sexuels et reproductifs a été débattue », lors d’une conférence organisée à Zaragoza. L’honneur est sauvé mais la question n’a pas encore avancé au niveau communautaire. Pour information, après la Belgique, ce sera au tour de la Hongrie de présider les débats européens…

 

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