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Mulhouse-Istanbul à vélo : l’aventure inspirante de Bekir Aysan

Un jour, quelqu’un lui a dit : "Bekir, méfie-toi de tes rêves, parce que parfois ils se réalisent". À 54 ans, Bekir Aysan a réalisé son rêve, celui de vivre une aventure unique pour rejoindre sa ville natale Istanbul, depuis Mulhouse. 43 jours, 3500 kilomètres… celui qui n’a pas l’âme d’un sportif, souhaite avant tout nous faire partager une aventure humaine, qui l’a profondément changé. "Ouvrez votre champ des possibles !"

Bekir Aysan - Mulhouse Istanbul a velo - finish maman_0Bekir Aysan - Mulhouse Istanbul a velo - finish maman_0
Retrouvailles à Akçay, le village familial
Écrit par Pauline Sorain
Publié le 18 janvier 2024, mis à jour le 13 avril 2024

Comment est né votre projet ?

Lorsque je me suis lancé dans ce périple, je venais de quitter mon travail de directeur image d'un studio audiovisuel. Un métier passionnant et dévorant ; quand on aime on ne compte pas ! A 54 ans, un champ nouveau s'est alors offert à moi, celui du temps libre. Cette découverte m'a soufflé à l'oreille de ne pas replonger tout de suite dans la spirale du travail et de m'octroyer le temps de voir les choses différemment, d'écouter mes envies et dans une telle perspective, c'est quasiment toujours la Turquie et Istanbul qui m'appellent.

Ayant l'habitude de circuler à moto, j'ai dans un premier temps pensé rejoindre Istanbul de cette manière ; puis une petite voix écolo intérieure m'a suggéré de le faire avec moins d'empreinte carbone, à la force des mollets.

 

"Le mariage entre la Peste et le Buda mérite bien sa réputation... et quelle fusion ! Un sage et une dévergondée, jolie promesse."
"Le mariage entre la Peste et le Buda mérite bien sa réputation... et quelle fusion !
Un sage et une dévergondée, jolie promesse."

 

Vous n'étiez donc pas un adepte de la "petite reine" ?

Pas du tout ! J’ai acheté un vélo spécialement pour le voyage. Et bien sûr, je n’avais aucune prédisposition pour la pratique ! Mais c'est ce qui me plaît : rendre les choses possibles. Pas dans un objectif de performance, mais simplement pour aller au bout de ses rêves et de ses ambitions. Si moi je l'ai fait, tout le monde peut le faire !

 

Levé de soleil extrêmement émouvant lors de ma première rencontre avec mon majestueux compagnons de voyage : le Danube !
"Levé de soleil extrêmement émouvant lors de ma première rencontre avec mon majestueux compagnons de voyage : le Danube !"

 

Pourquoi Mulhouse-Istanbul ?

C'est tout d'abord en raison du lien particulier qui m'unit à la Turquie. J'avais 3 ans lorsque mes parents se sont installés en France et tous les étés nous faisions ce chemin du retour en Turquie. Ce voyage était aussi une façon de plonger dans mes racines car la famille de mon père, originaire des Balkans, a dû fuir dans des conditions difficiles à la chute de l'Empire Ottoman. Ces pans d'histoire familiale m'ont accompagné. J'ai refais en quelque sorte un peu de leur parcours. Istanbul a été le premier point de chute de cette famille et c'est la ville où je suis né. Istanbul est pour moi une boîte de Pandore et je m'y ressource énormément.

 

Istanbul

 

La photographie, une passion ?

La photo a toujours fait partie de ma vie à titre professionnel comme personnel. En 2016 j'ai fait à Istanbul une exposition intitulée "1,2,3 Istanbul" qui a voyagé dans le monde avec un beau succès et qui a été suivie par d'autres, toujours à Istanbul. Et comme je suis un hyperactif dans ce que j'aime, j'enseigne la photographie dans une école de la seconde chance et dans le cadre d'un bachelor.

Quels sont les moments de ce voyage qui vous ont marqué ?

J'ai eu plusieurs arrivées pendant ce voyage. Ce fut tout d'abord ma rencontre avec le Danube en Allemagne ; un fleuve qui allait m'accompagner pendant des milliers de kilomètres jusqu'à la mer Noire. Et puis il y a eu la Slovaquie qui a marqué mon entrée dans l'Europe de l'Est et la coupure avec une Europe qui m'était familière, celle de la Suisse, de l'Allemagne et de l'Autriche. Pour moi, l'exotisme commençait avec ce pays que je ne connaissais pas.

Ce fut ensuite la découverte des "Portes de fer", ces gorges du Danube qui forment une partie de la frontière entre la Serbie et le sud-ouest de la Roumanie séparant le sud des Carpates du nord des montagnes des Balkans. C'est un long défilé où le Danube s'élargit énormément puis passe dans des gorges imposant de gravir des montagnes pour le franchir. Les paysages y étaient tout aussi magnifiques qu'imposants notamment par une forme de puissance tellurique qui s'en dégage.

 

Je les ai redoutées, les Portes de fer, machoire Serbo-Roumaine et le roi décébale qui me suit du regard
"Je les ai redoutées, les Portes de fer, machoire Serbo-Roumaine et le roi décébale qui me suit du regard"

 

Une arrivée particulièrement marquante a été celle du sommet des Balkans en Bulgarie, une étape que je redoutais. N'étant pas cycliste, ma capacité à gravir une telle montagne avec un vélo chargé était un gros point d'interrogation : 1500 mètres d'altitude, mais beaucoup plus en termes de dénivelé positif ! Une expérience fantastique et un des moments les plus puissants avant mon arrivée tant attendue à Istanbul. Il m'est arrivé de pleurer pendant ce voyage ; des larmes de joie, de puissance et d'histoire familiale.

 

Bulgarie : les larmes des Balkans. Je ri, je pleure, je dis merci pour tant de beauté.
"Bulgarie : les larmes des Balkans. Je ri, je pleure, je dis merci pour tant de beauté."

 

Enfin, le moment le plus fort a sans doute été mon arrivée à Akçay pour rencontrer ma mère et mes proches qui m'attendaient de pied ferme. Je suis arrivé pour le centenaire de la République de Turquie. Ce n'était pas prévu, mais quel bel accueil !

 

Akçay, le village familial, mon arrivée chez ma maman, émouvantes retrouvailles
"Akçay, le village familial, mon arrivée chez ma maman, émouvantes retrouvailles"

 

Quels ont été vos soutiens pour réaliser ce grand périple ?

Le premier et principal soutien a bien sûr été celui de ma compagne Émilie qui, avec enthousiasme, m'a encouragé à aller au bout de cette aventure. Mes enfants m’ont aussi beaucoup soutenu et finalement ça leur ouvre des portes quant à ce qu'ils peuvent envisager pour eux.

La chambre de commerce d'Edremit m'a organisé une rencontre avec les chaînes de télévision, la presse et un accueil en apothéose par le préfet, le maire, les officiers et les associations. L'association des lycées d'Edremit m'a chaleureusement reçu et organisé une conférence. A Istanbul, c'est le lycée Saint Michel qui m'a hébergé et organisé une rencontre-conférence avec les étudiants.

 

Edremit, je suis reçu dans le cortège de célébration du centenaire de la république Turque avec le préfet qui me remet le drapeau de la Turquie pour saluer mon aventure.
"Edremit, je suis reçu dans le cortège de célébration du centenaire de la république Turque avec le préfet qui me remet le drapeau de la Turquie pour saluer mon aventure."

 

Sur le plan matériel, l'achat des équipements spécifiques nécessaires à cette aventure était un gros poste pour lequel j'ai notamment bénéficié de l'aide de Décathlon. Le vélo et ses équipements sont en effet très techniques afin d'être légers et compacts et donc très onéreux ! Mon vélo n'a pas d'assistance électrique, mais il est costaud, performant pour pouvoir affronter la montagne et ses pneus sont increvables ; il peut encore rouler 100.000 km ! Une des écoles où j'enseigne m'a, elle, mis a disposition un drone pour me permettre de documenter mon périple. L'achat de matériel performant d'occasion comme par exemple ma tente qui ne pesait que 2kg m'a aussi permis de compléter mon équipement technique sans me ruiner.

Pouvez-vous nous décrire votre chargement ?

À l'avant du vélo, c'est la cuisine. Donc, il y a les casseroles, le réchaud à gaz. Une des sacoches est consacrée à la nourriture : des soupes, du riz, des lentilles, des sardines, des pâtes... et les œufs, fruits et légumes que j'achète au quotidien. Je mangeais jusqu'à 10 œufs durs par jours ! À l'arrière, c'est d'un côté les vêtements chauds et légers pour pouvoir affronter tous les temps et de l'autre le couchage : sac de couchage, matelas gonflables, coussins gonflables, bâche. Et sur le porte-bagages, il y a la tente et les matelas en mousse. Sur le guidon, la sacoche multimédia avec le drône, la caméra gopro, les cartes mémoires et nécessaires de charge.

 

La Turquie est plus rouge que jamais et ce centenaire fait battre le coeur de tout le pays
"La Turquie est plus rouge que jamais et ce centenaire fait battre le coeur de tout le pays"

 

Vous dormiez toujours sous votre tente ?

Non ! La tente représente la liberté de s'arrêter dans des endroits magnifiques et de ne pas avoir le souci du lieu ou l'on va pouvoir se reposer ; mais l'intérêt du voyage c'est avant tout les rencontres. Mes deux petits drapeaux français et turc à l'arrière du vélo m'identifiaient comme voyageur favorisant le contact. Très souvent j'ai été spontanément invité à passer la nuit chez des personnes rencontrées en chemin et je me suis aussi appuyé sur l'application "Warm Showers" développée pour les cyclo-randonneurs. Les personnes inscrites sur cette application apparaissent sur une carte et proposent de prendre une douche, de manger, de dormir chez eux ou d'installer une tente dans leur jardin. Ce système a très bien fonctionné pour moi jusqu'en Serbie, ensuite les propositions étaient moins nombreuses. C'est une autre manière de faire des rencontres et je serai moi aussi heureux d'accueillir ceux qui passeront près de chez moi. Quand aucune de ces trois options ne se présentait, je m'arrêtais à l'hôtel. Chaque soir, sous ma tente ou chez l'habitant, je consacrais du temps à l'écriture de ma journée et au tri des photos et vidéos car mon projet était aussi de partager mon voyage avec le plus grand nombre sur les réseaux sociaux et de monter une exposition photographique. Moi qui viens du monde de l'image je me suis immédiatement pris au jeu de l'écriture et des retours enthousiastes m'ont encore plus conforté dans l'envie d'en faire un livre, celui du voyage et de l'aventure humaine.

 

"Paradis sous tente avec cette dernière nuit aux portes d'Istanbul : Silivri"
"Paradis sous tente avec cette dernière nuit aux portes d'Istanbul : Silivri"

 

Vous n'avez jamais pensé à abandonner ?

Je mentirai en disant qu'il n'y a pas eu de moments difficiles, mais je n'ai pas une seconde songé à abandonner. Au fur et à mesure du cheminement, la force intérieure s'installe. L'ouïe, l'odorat, l'instinct reprennent une place importante de même que l'estime et le respect de soi qui deviennent souverains. La connexion aux autres prend elle aussi une autre dimension. J'ai traversé dix pays, et souvent la communication était, par la force des choses, infra-verbale, ce qui ne l'empêchait pas d'être fantastique.

Je ne suis pas sportif, je n'avais aucune préparation, mais j'ai roulé entre 6 et 10 heures par jour, soit une moyenne d'environ 90 kilomètres par jour, sans idée de performance, en m'écoutant pour que le voyage reste un plaisir et en étant indulgent avec moi-même !

Avez-vous ressenti de l'insécurité ?

Ce sentiment ne m'a pas habité bien que l'on m'ait beaucoup mis en garde parce que j'étais seul, parce que je transportais du matériel de valeur, parce qu'il y a des ours, des serpents... En fait je n'ai rencontré que de la bienveillance. Ma seule vraie crainte était d'être attaqué par des chiens !

 

 

Je craque. J'y suis ! c'est irréel... 3000 km à vélo jusqu'aux portes de l'Asie Mineure
"Je craque. J'y suis ! c'est irréel... 3000 km à vélo jusqu'aux portes de l'Asie Mineure"

 

Ce voyage vous a beaucoup apporté ?

Un tel voyage agit comme un révélateur de ce que l'on porte profondément en soi. Pour moi, communicant par l'image, la révélation a été celle du plaisir de la transmission par l'écriture. Cela a également conforté ma croyance dans l'importance d'entretenir nos capacités d'adaptation et de renouvellement. En se lançant dans un tel défi, j'ai encore une fois fait exister ma devise, celle qu'il faut toujours rêver en grand et aller au bout de ses envies profondes.

Même en étant un nomade 2.0, un tel voyage reconnecte à ce qui fait l'humanité et aux valeurs du nomadisme dont nos sociétés modernes nous ont déconnectés. L'hospitalité vient du nomadisme ; elle se crée seulement avec un voyageur : les gens sont venus vers moi avec générosité et une envie d'échange. Le nomadisme réveille la noblesse qui est en nous et fait vivre les valeurs humanistes.

Un autre aspect du voyage à vélo : c'est la méditation à laquelle il invite tout naturellement. Des états proches de la transe. Il laisse le temps de revisiter nos sentiments, notre histoire, nos blessures, il invite les disparus et permet ainsi de mieux les comprendre.  C'est un voyage aux vertus introspectives et thérapeutiques !

 

 

Quelle belle vie ! Je souhaite à toutes et tous de ressentir la puissance de cette joie, une fois au moins.
"Quelle belle vie ! Je souhaite à toutes et tous de ressentir la puissance de cette joie, une fois au moins."

 

Cela vous a t-il donné l'envie de repartir à la poursuite d'autres rêves ?

Difficile de s'arrêter là après une aussi riche expérience ! Et les envies et projets ne manquent pas ; Celui d'un tour du monde à vélo, en fractionné bien sûr, en repartant de la Turquie. Mais aussi celui de rejoindre la Turquie depuis la France sur mon petit voilier en faisant du cabotage le long des côtes ou encore rejoindre la Turquie en canoë en passant par le Danube, la mer Noire puis le Bosphore, les Dardanelles ; ça doit être une belle expérience !

Comptez-vous continuer à partager votre belle expérience ?

Oui bien sûr car il y a tellement de choses à partager autour de ce voyage que j'ai déjà eu l'occasion de présenter à Edremit et au lycée Saint Michel d'Istanbul. Une exposition de photographies et un livre sont actuellement en préparation. Au cours de mon parcours, j’ai été suivi sur les réseaux sociaux, le site internet et dans le journal l'Alsace qui a publié mes récits chaque semaine pendant 45 jours.

J'aimerais également en tirer quelques conférences pour inciter ceux que l'expérience tente à aller au bout de leurs rêves. En général, l'envie ne manque pas, mais beaucoup pensent qu'ils ne peuvent pas franchir le pas. Or j'incarne ce "possible" par mes 54 ans, le fait que je ne sois pas sportif et que j'ai pu aller au bout de l'aventure sans préparation physique.

C’est ce que j’ai rappelé à l’occasion de la conférence du 17 novembre au Centre socioculturel Lavoisier Brustlein à Mulhouse. Près d’une centaine de personnes était présente à ce rendez-vous, qui s’est poursuivi par une soirée festive. Un joli succès dont j’ai été très heureux. J'ai eu l’occasion de rencontrer des personnes qui avaient parcouru 200km pour assister à cette conférence !

Séduite par mon écriture tout au long de mon voyage, l'équipe du festival "motàmot" à Mulhouse m'a contacté et invité pour une grande exposition (du 10 avril au 5 mai) et une conférence (mi-avril), qui a pour thème cette année le voyage.

Enfin, une exposition et une conférence sont également prévues en cours d’année sur le site du Décathlon village de Mulhouse-Wittenheim.

 

Conférence

 

 

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Publié le 18 janvier 2024, mis à jour le 13 avril 2024

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