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Street-art et tourisme : du graffiti illégal à l’art de rue célébré

Graffitis, pochoirs ou collages ; l’art de rue a longtemps été associé au vandalisme et à la dégradation publique. Émergeant des rues, des trains ou des hangars, il a aujourd’hui conquit les plus grands musées du monde et s’impose comme une référence contemporaine artistique et un facteur clef de l'influence touristique. Mais comment cet art urbain, encore peu considéré en France, fait-il des émules dans le reste du monde ?

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Écrit par Elena Rouet-Sanchez
Publié le 15 mars 2024, mis à jour le 2 avril 2024

Du vandalisme urbain à l’expression artistique légitimée, le street-art possède une histoire d’un demi-siècle aux débuts contestés. Aujourd’hui propulsé à l’échelle mondiale, notamment depuis l’émergence d’Internet et des réseaux sociaux, il participe à la transformation et au développement de quartiers entiers. 


 

Les débuts du street-art : entre vandalisme et prodige 

Les prémices du street-art trouvent leurs racines dans le graffiti, au début des années 60, dans la ville de Philadelphie, avec l’artiste Cornbread. De son vrai nom Darryl McCray, celui-ci tente d’attirer l’attention de celle qu’il aime, immortalisant sur les murs de la ville le message « Cornbred Love Cynthia ». Cette pratique se propage par la suite à New York essentiellement, s’inscrivant dans un contexte de développement urbain, avec la multiplication des transports en commun et l’urbanisation croissante des banlieues. Les artistes s’inspirent notamment des panneaux publicitaires, omniprésents dans la Big Apple. Trains, métros, bâtiments ; toute superficie devient un support d’interventions monumentales. Ainsi, les graffitis envahissent la ville et s’étendent à l’international, ajustant leur style selon chaque pays. 

 

 

Considéré à ses débuts comme un acte de vandalisme, le street-art tend à se démocratiser, notamment avec l’arrivée de Banksy et sa révolution de l’art urbain. Ses œuvres fleurissent dans les villes du Royaume-Uni et captivent l’attention des passants. Celui-ci conservera d’ailleurs les caractéristiques du mouvement street-art et son aspect souvent illégal, en choisissant de garder secrète son identité, suscitant encore aujourd’hui des interrogations persistantes.

Encore plus spectaculaire, en 2021, sa célèbre œuvre La Fille au Ballon est vendue plus d’un million aux enchères. L’artiste la détruira en direct, devant les yeux ébahis des spectateurs, revenant ainsi au fondement premier du street-art : son éphémérité.


 

Les Français ne s’occupent pas de leurs artistes. 

 

En France cependant, le street-art peine à se développer et reste encore assimilé à des dégradations publiques. Blek le Rat, artiste français des années 80, connu pour ses pochoirs de petits rongeurs et ses grandes silhouettes noires aux messages engagés, en témoigne : « Je suis passé en correctionnel, en 1991, après m’être fait prendre rue Xavier-Privas. J’ai été condamné à effacer mon graffiti et à payer une amende. J’ai vu ce procès comme une véritable agression qui m’a profondément marqué. Ce problème n’existe particulièrement qu’en France : en Angleterre ou aux USA, les artistes sont promotionnés et ici, ils sont réprimandés. Les Français ne s’occupent pas de leurs artistes. ».
 

 

Le street-art 2.0

Malgré tout, le street-art connaît un véritable succès au début des années 2000. L’usage des nacelles permet notamment aux artistes de mettre fin à la disparition de leurs œuvres, en peignant à grande échelle. Plus tard, l’utilisation des drones vers les années 2010 donne aux artistes la possibilité de partager leurs œuvres dans un format exceptionnel. 

De Street Fighter à Space Invaders, c’est par le biais des jeux-vidéos que le graffiti s’infiltre par la suite dans l’univers du numérique. Les murs recouverts de tags dans ces décors virtuels constituent la première vraie campagne de numérisation de cet art éphémère. 

 

jef aérosol street-art sur la muraille de chine
"Sitting kid", Jef Aérosol, Grande Muraille de Chine, 2008.

 

Pionnier du street-art en France, l’artiste nantais Jef Aérosol, est témoin de cette considérable évolution. De ses débuts dans les années 80 jusqu’à aujourd’hui, ses œuvres, auparavant perçues comme des actes de vandalisme, ont progressivement suscité l’intérêt des guides touristiques et des agences de voyage. Selon lui, l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux a joué un rôle indéniable, créant notamment le phénomène des « chasseurs de graffs », similaire aux amateurs d’urbex : « Auparavant, nous nous adonnions au graffiti sans vraiment envisager l’ampleur que notre art pouvait prendre, explique-t-il. On ne cherchait pas à faire le buzz, ni à être connu. Les réseaux sociaux ont largement contribué à l’expansion du street art à l’échelle internationale, grâce au partage de nos créations en ligne. À travers les différents réseaux et blogs, le grand public part aujourd’hui à la quête du street-art. ». 

 

L'évolution du street-art à travers les yeux de Jef Aérosol, Blek le Rat et Agrume

 

Florence Aubenas, Blek le Rat, Paris, avril 2005
Florence Aubenas, Blek le Rat, Paris, avril 2005.

 

Pour Blek le Rat, son art se concrétise plus particulièrement aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où de nombreuses galeries l’invitent à décorer les murs des villes américaines et anglaises : « Londres, New York, Los Angeles ou bien encore San Francisco, sont des villes où l’on trouve une véritable reconnaissance du street-art. Il y a un fossé considérable qui se creuse avec la France. ». 

 

street-art et tourisme invader
Invader, Paris.

 

D’autres artistes saisissent cette tendance et s’affirment au devant de la scène urbaine, à l’image du street-artiste français Invader. Ses petits extraterrestres en mosaïques, issus d’un univers conciliant l’espace et le pixel-art, envahissent les rues de Paris. L’influence des jeux vidéo est palpable. Sa démarche artistique, fondée sur « L’Invasion », s’étend jusqu'à l’international, notamment avec son application « Flash Invaders », permettant aux « chasseurs de graffs » de partir à la quête de ses centaines de créations disséminées aux quatre coins du monde. « Il a réussi à boucler la boucle, commente Jef Aérosol. Son travail, né d’un détournement de jeux vidéos, a ramené les gens à l’essence même de la chose, en les faisant participer via leurs smartphones. Le concept de son anonymat, fondé sur le même principe que Banksy, suscite d’autant plus l’intérêt et la curiosité du public. ».

 

Le street-art permet d’apporter une image originale du pays ainsi que de sa culture.

 

Quand les tags et graffitis ravivent les quartiers 

En pleine apogée, le street-art a réussi à contribuer au rayonnement de nombreuses villes et à intégrer le patrimoine urbain. Des quartiers, auparavant déserts ou considérés comme peu fréquentables, se voient aujourd’hui happés par l’affluence touristique. 

 

quartier de wynwood à miami

 

Le quartier de Wynwood, situé au nord de Miami, en est l’exemple parfait. Celui-ci connaît un changement considérable au début des années 2000, revitalisé par l’art de rue et les graffitis. Le Wynwood Wall, un espace consacré à l’art urbain créé par le développeur immobilier Tony Goldman en 2009, a joué un rôle clef dans cette transformation.

Des artistes du monde entier ont dès lors été invités à peindre des murales spectaculaires sur les murs des entrepôts abandonnés. Une initiative qui a su attirer l’attention des amateurs d’art, des touristes et des habitants, faisant du quartier de Wynwood un véritable musée en plein air.

 

street-art et tourisme au chili

 

Plus loin sur la côte ouest en Amérique du Sud, le Chili s’impose également comme une destination touristique unique en entretenant un lien étroit avec cet art. Verónica Pardo Lagos, secrétaire au ministère de l’Économie au Chili, souligne l’importance du street-art dans les différentes villes du pays : « Il est de plus en plus fréquent de voir des espaces publics récupérés pour des interventions artistiques. Nombreux d’entre eux sont actuellement considérés comme des attractions touristiques, à l’instar du Museo a Cielo Abierto dans le quartier de San Miguel à Santiago, la Pinacoteca de l’Universidad de Concepción dans la région de Biobíon, et plus récemment inauguré, Valparaíso Arte Urbano, une galerie de peintures murales située dans la rue Condell, au coeur de la ville portuaire. ».

 

L'Art Urbain à 360° au Grand Palais Immersif

 

Des lieux attractifs, qui connaissent un grand succès touristique, comme l’explique Verónica Pardo Lagos : « Les villes qui ont mis en place ce type de lieu ont pu constater qu'elles se positionnent comme une destination davantage touristique, le street-art étant un art très apprécié par les étrangers. En 2023, nous avons ainsi accueilli 3,7 millions de touristes internationaux. Offrir ces alternatives permet d’apporter une image originale de notre pays, car à travers le street-art, les touristes apprennent aussi à connaître la culture et le patrimoine du Chili. ».