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TEMOIGNAGE - Le quotidien dans un camp des FARC

Écrit par Lepetitjournal Bogota
Publié le 11 juillet 2017, mis à jour le 18 juillet 2017

« Française volontaire sur un projet d'agriculture durable dans la région du Putumayo, j'ai découvert le quotidien des guérilleros dans un camp provisoire de FARC établit à quelques dizaines de kilomètres de là, grâce notamment à des colombiens bénévoles pour une ONG qui travaille dans le camp militaire. En pleine la phase de démobilisation de la guérilla, les 7.000 combattants FARC sont regroupés dans 26 camps à travers le pays, dans l'attente que soit effectuée la remise finale de leur arsenal militaire à l'ONU, et que les guérilleros puissent progressivement revenir à la vie civile.

Le quotidien des FARC - La journée des guérilleros

Arrivée dans le camp militaire pour y passer quelques jours aux cotés des guérilleros, j'ai pu partager leur quotidien et découvrir comment ils se préparent à laisser derrière eux leur vie dans la guérilla.

La journée commence à l'aube par un passage en revue et quelques man?uvres militaires, suivi par une matinée consacrée à l'étude. Guérilla marxiste, les FARC accordent en effet une place importante à l'éducation : chaque jour sont dispensés des cours de mathématiques, anatomie, littérature, politique, etc.

La mise en pratique de cette idéologie égalitariste, en vertu de laquelle chacun doit avoir un accès égal à l'éducation, a permis à de nombreuses recrues venues de zones rurales et pauvres d'apprendre à lire et à écrire. Il ne faut pas oublier que la guérilla s'est souvent implantée dans des zones réculées, parfois délaissées par l'État, là où les services publiques d'éducation et de santé peinaient à être assurés, et a ainsi recueilli le soutien de la population de ces zones.

Les guérilleros ont de plus pour obligation personnelle de se consacrer au minimum une heure par jour à la lecture. Étant donné la situation actuelle, les après-midis habituellement dédiées aux exercices militaires sont désormais consacrées aux corvées collectives (cuisine, nettoyage, etc.), à la détente (jeux, télé) et à la formation professionnelle.

Un enjeu de taille pour les FARC : se préparer à une nouvelle vie?

?car il s'agit également d'une contrepartie consentie par le gouvernement : fournir aux ex-combattants une formation professionnelle leur permettant, à terme, de revenir à la vie civile. Des professionnels ont été engagés pour transmettre leurs compétences dans divers corps de métier : construction, boulangerie, communication, etc. et des infrastructures ont été installées à cet effet. J'en profite donc pour aller prendre un cours de pâtisserie au fournil du camp, où un boulanger de Bogotá enseigne la confection de pâtisseries à sa classe de guérilleros. Ces derniers ont pour l'occasion troqué leurs treillis pour des blouses de boulanger. On se moque gentiment de mon manque de talent de pâtissière et on m'aide à terminer mes pancitos dans la bonne humeur.

L'ambiance est studieuse et tous paraissent ravis de profiter de cette opportunité de formation. Le désir de se former à un nouveau métier est manifeste, mais je me surprends à m'inquiéter pour l'avenir de ces ex-combattants. Au-delà du transfert de connaissances, la nécessité de se conformer aux exigences du marché du travail pourrait être difficile à appréhender pour des personnes qui se sont engagées très jeunes et n'ont jamais connu d'autre métier que celui de soldat. En outre, ils devront probablement se heurter à la possible résistance de certains employeurs à embaucher des ex-combattants, ainsi qu'à celle des potentiels clients.

Le camp des guérilleros s'anime avant de sombrer dans la nuit

Au crépuscule, les nuages rouges laissent dans le ciel place à la semi obscurité. La selva projette alors ses ombres mystérieuses sur le camp et le bruit de la vie nocturne de la forêt commence à parvenir à nos oreilles. C'est l'heure à laquelle tous se réunissent pour diner, et je suis très chaleureusement invitée à partager le repas des guérilleros. Je suis surprise de l'ambiance très conviviale qui règne ici, les liens fraternels sont très forts entre les habitants du camp. Qu'ils soient hommes ou femmes, les combattants échangent entre eux des petits gestes d'affection, se servent la nourriture les uns aux autres, se racontent des anecdotes. Ils sont aussi particulièrement prévenants envers moi, et malgré parfois la barrière de la langue, ils tentent de m'intégrer à toutes les discussions. Au-delà de cette sympathie sincère, je n'oublie cependant pas que, en cette période de processus de paix, la guérilla a tout intérêt à se présenter sous son meilleur jour. 

Officiellement, l'âge minimum pour rejoindre la guérilla était fixé à 15 ans, mais dans les faits des mineurs ont pu s'engager dès 13 ans. Ainsi, lorsqu'ils ont plus de 30 ans, les guérilleros ont très souvent passé la majeure partie de leur vie au sein de la guérilla, ils ont participé aux combats et vu mourir au fil des années de nombreux compagnons d'armes. Je pensais rencontrer des combattants au regard dur et visage fermé, mais le sourire est sur toutes les lèvres, des "simples" soldats aux gradés, et chacun semble heureux de partager son histoire. Ils sont convaincus d'avoir combattu pour une idéologie juste et sont fiers d'avoir lutté pour tenter d'améliorer la condition de leur peuple.

Ils sont plus d'une dizaine réunis dans cette caleta (baraque de bois et de bâches) pour le diner mais je ne vois plus que lui, ou plutôt ses yeux. Son regard d'un bleu profond est de ceux qui vous troublent, de ceux qui vous font penser qu'une personne peut lire en vous. C'est un haut gradé du camp, je ne connais pas son nom. Il me l'a dit mais j'ai été incapable de l'écouter tant il m'a intimidée. On peut lire dans les romans le récit de ce soldat qui a combattu, qui a vu la mort et dont le regard change à jamais. Je ne pensais pas le rencontrer un jour. Ce soir, il est devant moi. Et ce que je vois dans ses yeux me surprend: la fatigue bien sûr, les années éprouvantes dans la jungle, mais surtout la détermination et l'assurance tranquille et inébranlable d'avoir lutté pour le bien. Ce concept subjectif que nous passons notre vie à discuter, à rechercher, lui, l'avait vécu. 

Alors que l'obscurité entoure le camp, nous retrouvons chacun notre caleta, juste avant que la lumière ne soit coupée à 21h. Le camp parait avoir sa vie propre : les horaires de lever et coucher sont collectifs. A la seule lueur de la lune, les sentinelles qui gardent le camp resteront éveillées au-delà de l'extinction des feux, et le bruit de la pluie bercera notre nuit. »

Photos : Coline Damieux Verdeau

Pour lire le premier chapitre du récit de Coline, cliquez sur ce lien : TEMOIGNAGE - A la rencontre des guérilleros

Coline Damieux Verdeau, www.lepetitjournal.com/bogota, mardi 11 juillet 2017 

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Publié le 11 juillet 2017, mis à jour le 18 juillet 2017

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