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La peine de mort en Allemagne et les circonstances de son abolition

Le décès de Robert Badinter (1928-2024) en France est l'occasion de rappeler l'histoire de cet enjeu sociétal majeur qui est bien différente outre-Rhin.

photo cellule prisonphoto cellule prison
cellule de prison à Alcatraz, Etats Unis © umanoide /unsplash
Écrit par Agnès Blanc-Dubreuil
Publié le 16 février 2024, mis à jour le 19 février 2024

Une lutte engagée depuis des siècles

La cause abolitionniste, tout comme en France, n’est pas un combat récent en Allemagne. Dès le XVIIIè siècle, des velléités apparaissent dans certaines régions allemandes. Frédéric II de Prusse prend la décision de restreindre cette peine à deux crimes (l’assassinat et attaque à main armée) et d’interdire la torture. Le Français Condorcet en 1785 lui avait exposé certains des arguments les plus décisifs contre cette pratique : exécuter un condamné est un acte irréversible, or, il est impossible de parvenir à une certitude absolue sur la culpabilité de quelqu’un. Le risque de condamner un innocent est donc tellement grave qu’il faut dans tous les cas éviter de recourir à cette extrémité – y compris, selon Condorcet, pour des crimes atroces. Cet argument a bien sûr été repris par Elizabeth et Robert Badinter en France dans l’ouvrage Condorcet, un intellectuel en politique (1988).

Dès 1848, l’Assemblée nationale de Francfort adopte la « loi d’Empire relative aux droits fondamentaux du peuple allemand » qui est une avancée majeure en termes de droits humains et influencera toutes les constitutions suivantes, et proclame l’abolition de la peine capitale. Elle ne sera cependant jamais appliquée du fait de l’échec de la révolution de 1848-1849.

Certains duchés allemands abolissent d’eux-mêmes la peine de mort au cours du XIXè siècle comme la Saxe. Plusieurs souverains se prononcent en faveur de cette évolution. Le Chancelier Bismark, lui, s’y opposera car il souhaite maintenir des exceptions concernant l’assassinat et la haute trahison. Les exécutions ont alors encore lieu par décapitation et le droit de grâce du chef de l’Etat toujours garanti. Cependant, leur nombre a tendance à décroître. (Marie Bardiaux-Vaïente, 2012)

 

L'abolition successive en RFA et en RDA

Après la période du nazisme, la RFA se trouve dans une situation politique et sociale favorable aux avancées en matière de droits fondamentaux. Elle prend donc la décision d’abolir la peine capitale dans l’article 102 de la loi fondamentale du 23 mai 1949 qui précise : « Die Todesstrafe ist abgeschafft ». Ainsi, les circonstances ont été bien différentes de la France, puisque cette loi n’a pas fait l’objet d’un débat spécifique : elle était simplement contenue dans l’ensemble plus large de la fondation d’un nouvel Etat de droit. L’abolition en Allemagne de l’Ouest s’est imposée puisqu’elle correspondait à ce regain des valeurs humanistes, démocratiques qui se sont exprimés après les horreurs de la dictature du Troisième Reich, que réclamait la société entière. Ces principes s’inscrivent dans la loi suprême et ne sont pas contestées. D’un point de vue moral et politique, aucune réelle remise en cause de l’abolition n’a vu le jour en Allemagne depuis cette période.

En RDA, la pratique s’est poursuivie pendant de longues années. La méthode de la guillotine a été abandonnée dans les années 1960 au profit du pistolet silencieux. Les condamnés étaient majoritairement des criminels de guerre ou des espions et dépassent en tout le nombre de 160. Mais un certain nombre de mises à mort effectuées en secret de la communauté internationale, au détriment de ses engagements auprès de l’ONU notamment, ont choqué l’opinion. Les responsables socialistes ont progressivement réalisé que cette position n’était plus tenable en Europe. Le dernier condamné fut un responsable de la Stasi, Werner Teske, exécuté en 1981 en l’absence de procès réel et sans preuves. L’abolition est votée en 1987 par décret du conseil d’Etat, sous Erich Honnecker. Le vote par l’Assemblée de cette interdiction était à l’époque un signal favorable envoyé à l’ouest, ainsi qu’une reconnaissance que cette peine n’était plus acceptée moralement par la société au sens large.

A l’heure actuelle l’Allemagne est signataire de plusieurs traités régionaux et internationaux contre la peine de mort. Au sein de l’ONU, elle a signé en 1968 le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En 1983, le Conseil de l’Europe adopte le protocole n°6 à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (de 1950), concernant l’abolition de la peine de mort, qui est venu appuyer une tendance générale à l’abolitionnisme afin d’encourager les pays qui la pratiquaient encore à l’interdire. Par la ratification à ce protocole, les pays donnent une force juridique supranationale à l’abolition – en temps de paix - et la rendent donc quasi irréversible. A l'heure actuelle, l'Europe entière a éradiqué la peine capitale à l'exception de la Biélorussie, mais il reste beaucoup de pays dans le monde qui la pratiquent encore, notamment en Chine, en Iran et aux Etats-Unis.

Pour mieux connaître la situation actuelle sur cette question à l'échelle mondiale ainsi que tous les arguments contre la peine de mort, visitez la page dédiée d'Amnesty International.

 

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