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Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée - épisode 5

Avril 1954. Un parfum de défaite flotte sur Dien Bien Phu. La garnison française a déjà subi de très lourdes pertes et le périmètre qui lui est dévolu se rétrécit de jour en jour. Toute la partie nord du dispositif (Gabrielle, Béatrice, Anne-Marie) a été perdue dans les premiers de la bataille, ce qui a eu pour effet de mettre la piste d’aviation – indispensable cordon ombilical reliant le camp à Hanoï – sous le feu dévastateur des canons vietminh. Mais l’adversaire s’est encore un peu plus rapproché du cœur du dispositif durant la bataille dite « des cinq collines », qui ne laisse aux Français en guise de camp qu’un petit réduit d’à peine un kilomètre carré.

Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée - épisode 5Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée - épisode 5
Écrit par Lepetitjournal Ho Chi Minh Ville
Publié le 24 avril 2024, mis à jour le 24 avril 2024

Avec le 70è anniversaire de Dien Bien Phu arrivant bientôt, Le Petit Journal dresse cette série de cinq épisodes intitulée "Dien Bien Phu : chronique d’une défaite annoncée". Retrouvez le premier, second, troisième et quatrième épisode de cette série.

L’aviation, elle, a bien du mal à se porter au secours des soldats de Dien Bien Phu. Outre que les avions ne peuvent bien évidemment plus se poser, les parachutages sont de plus en plus hasardeux : la faute à une couverture nuageuse pourtant prévisible en cette saison, et à cette poche de résistance qui s’est réduite à une peau de chagrin.

Côté vietminh, la victoire se profile de jour en jour, et même si les pertes sont immenses, Vo Nguyen Giap est serein est déterminé : il sait qu’il est en passe de gagner son pari. Mais il attend avant de donner l’estocade finale : il sait bien qu’à des milliers de kilomètres de là, à Genève, vont bientôt s’ouvrir des pourparlers qui vont sans doute sceller le sort de l’Indochine. Mais ce ne sera que vers le 8 mai, alors mieux vaut patienter et ne sonner l’hallali du camp retranché que la veille, histoire de marquer les esprits au meilleur moment.

Côté français aussi, on essaie de durer, et là aussi dans l’espoir que le salut viendra, sinon des Américains que l’on a appelé au secours mais qui montrent peu d’empressement à venir au secours de ces Français qu’ils soupçonnent d’être viscéralement restés colonialistes, des diplomates réunis à Genève. Encore faudrait-il arracher le « match nul ».

Cruel mois d’avril, pour la garnison française de Dien Bien Phu, qui en est réduite à subir ou à tenter d’héroïques mais vaines contre-attaques.

Il faut dire qu’ils ne disposent que d’une dizaine de chars légers, relativement inadaptés à une guerre de siège, qui sont néanmoins utilisés pour soutenir l’infanterie lorsque celle-ci se déploie. Pour l’heure, la garnison ne peut guère miser que sur des contre-attaques, qui sont, pour la plupart d’entre elles, le fait de parachutistes reconvertis en fantassins pour l’occasion (ceux du 6e bataillon de parachutistes coloniaux de Bigeard écriront leur légende à Dien Bien Phu), qui montent à l’assaut des positions adverses armés de lance-flammes. Mais en général, ces assauts ne dépassent pas les lignes de crêtes, où les hommes parviennent à court de munition et doivent se battre, parfois à l’arme blanche, au cours de mêlées sanglantes.

Ces combats sont non seulement meurtriers, mais surtout épuisants et démoralisants. Il faut bien comprendre, en effet, que contrairement à leurs adversaires, les Français sont dans l’incapacité de se reposer ou d’être relevés. On notera d’ailleurs un certain nombre de cas de morts par épuisement.

Cette situation dramatique n’empêche pas une certaine bravoure. S’il arrive que l’on entende des hommes partir à l’assaut en entonnant La Marseillaise, il arrive aussi que certains blessés, capables malgré tout de tenir une arme, choisissent de repartir au combat.

Les héroïques défenseurs de Dien Bien Phu


Il y aura même un Camerone à Dien Bien Phu, qui est à mettre à l’actif de dix parachutistes de Bigeard, qui résistent sans soutien aux assauts du Vietminh huit jours durant. Deux survivants : les brigadiers Couturier et Laugier.  

Un magnifique chapitre de l’histoire militaire française

« Les héroïques défenseurs de Dien Bien Phu écrivent un magnifique chapitre de l’histoire militaire française », déclare John Foster Dules, le secrétaire d’Etat américain. Touchantes paroles, mais qui ne font qu’alimenter le mythe - tellement français - du « perdant magnifique ».

Dien Bien Phu : trois syllabes qui ont éclaté sur les téléscripteurs du monde entier, où désormais on suit l’agonie du camp retranché avec stupeur et résignation. En France, on se souvient – il n’est jamais trop tard. - qu’on a des milliers de soldats « là-bas », et la presse se charge de mettre du baume au cœur à grands coups de manchettes à la tonalité héroïque : « Ils écrivent une page de gloire dans le ciel de Dien Bien Phu », « Les hommes de Castries montrent au monde le visage de la France », peut-on ainsi lire.

une page de gloire dans le ciel de Dien Bien Phu


 

Admiration du monde entier


 

Le Figaro décrit ainsi le calvaire des combattants au Vietnam


Le 5 avril, Le Figaro décrit ainsi le calvaire des combattants : « Depuis 120 heures, accrochés à leurs points d’appui, au milieu de la poussière et des fumées d’incendie, dans le fracas des explosions, ces hommes résistent magnifiquement aux assauts d’un ennemi cinq fois supérieur en nombre. Malgré la fatigue, l’insomnie, la chaleur, ils tiennent dans leurs tranchées, aux créneaux de leurs postes, les mains crispées sur leurs armes ». D’autres batailles, victorieuses, sont mises à contribution, et Dien Bien Phu devient ainsi le « Verdun de la brousse », le « Verdun de la jungle », le « Verdun Tropical, le « Verdun tonkinois ».  

Une cour des miracles

Bien loin de toutes ces logorrhées héroïco-tragiques, le champ de bataille, lui, est une vraie cour des miracles, et plus singulièrement l’antenne chirurgicale, qui est beaucoup trop petite pour accueillir la foule des blessés, et qui est littéralement submergée. Quant aux morts. La morgue – on en a construit une - est rapidement archi-comble. Aussi Castries doit-il se résoudre à donner l’ordre d’enterrer les tués au combat là où ils ont été abattus. Encore faudrait-il avoir le temps de creuser, même à la hâte, ce qui, sous le feu de la mitraille, n’est guère possible.

Assez rapidement, une suffocante odeur de putréfaction s’immisce dans tout le camp retranché, qui devient un véritable cloaque où la vermine pullule. Inutile de préciser que la pluie n’arrange rien, les hommes évoluant parfois dans de la boue liquide qui leur monte jusqu’au genou quand ce n’est pas davantage.

Des innocents les mains pleines

Les défenseurs du camp ont néanmoins besoin d’être renforcés. A Hanoï, le général Cogny commence à racler les fonds de tiroir. Il lance un appel dans les cantonnements : ceux qui sont volontaires vont être parachutés sur Dien Bien Phu. Bien souvent, les officiers qui sont en charge de ce recrutement de dernière minute outrepassent les ordres en informant leurs hommes que la situation est désespérée dans la cuvette.

Des volontaires parachutés sur Dien Bien Phu


Il n’empêche. Les volontaires affluent. Ils ont à peine vingt ans. Pour la plupart d’entre eux, ce saut sera le premier. Cela vaut mieux d’ailleurs : aux innocents les mains pleines. Ils savent qu’ils ont toutes les chances d’y laisser leur peau, mais ils y vont quand même, dans un acte d’héroïsme qui lui aussi, contribuera à la légende de Dien Bien Phu. Un sacrifice inutile ? Peut-être, mais pour l’heure, tous ces jeunes gens sentent bien que cette bataille est décisive et ils veulent être là, auprès de leurs frères d’armes, au moment où tout bascule. Et puis sans doute veulent-ils aussi savoir qui ils sont vraiment. Sans doute veulent-ils se mesurer à eux-mêmes au moment de sauter dans le vide.

Extrait décision numéro 18 ordre de l'armée

 

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