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PSYCHOLOGIE – Les familles expatriées, des patients pas comme les autres

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Écrit par Lepetitjournal.com International
Publié le 3 août 2018, mis à jour le 3 août 2018

Si les problèmes matériels liés à l'expatriation et notamment au retour sont progressivement pris en compte par les pouvoirs publics, les conséquences de l'expatriation sur le psychisme humain sont rarement abordées par les spécialistes. Philippe Drweski, psychologue clinicien, entend remédier à cette situation.

 

Lepetitjournal.com : Pourquoi, en tant que psychologue, vous intéresser aux expatriés ?

Philippe Drweski : À la fin de mes études, je me suis intéressé aux thématiques liées aux phénomènes migratoires. C'est lié à mon histoire personnelle, car mes parents ont émigré de Pologne et du Québec pour venir s'installer en France.

Juste après, j'ai commencé à faire un travail de thèse, je savais alors que je voulais travailler sur des thèmes liés aux différences culturelles et à l'émigration. Notamment la rupture sensorielle quand on va à l'étranger (les changements d'odeur par exemple) et comment cette dernière peut amener certains individus à des remises en question identitaires.

Par la suite, je me suis rendu compte que beaucoup de psychologues s'intéressaient aux migrants tandis qu'il existe très peu, voire aucun dispositif pour les expatriés sur le plan institutionnel.

Aujourd'hui, des entreprises commencent à s'intéresser à ces problèmes. Les managers se rendent bien compte que l'expatriation pose des problèmes très spécifiques liés à la question de l'accompagnement mais aussi à la question du retour. Beaucoup de gens qui rentrent sont en décalage complet par rapport à la France. Nous avons donc constitué des groupes de travail avec des expatriés pour les rassurer - non ils ne sont pas les seuls dans cette situation ! - pour qu'ils se réapproprient leur pays d'origine et se sentent de nouveau à l'aise dans leur environnement.

Beaucoup d'expatriés se disent « je ne peux pas me plaindre car j'ai déjà eu une expérience privilégiée ».  C'est absurde ! Ce n'est pas parce qu'on a vécu dans des conditions matérielles satisfaisantes qu'on ne peut pas souffrir psychiquement. Et c'est d'ailleurs de moins en moins vrai, car de plus en plus d'expatriés sont embauchés avec des contrats locaux et n'ont donc pas forcément accès à un niveau de vie si élevé.

 

Vous vous intéressez aux phénomènes transgénérationnels liés à l'expatriation, pouvez-vous expliquer ?

Je m'intéresse à des thèmes qui vont au delà de l'individu et intéressent le groupe, comme les phénomènes psychiques transgénérationnels. En psychologie, on parle de transgénérationnel lorsqu'on est face à une transmission sur plusieurs générations, inconsciente, à la différence de la transmission intergénérationnelle qui a lieu entre des générations qui se connaissent et de manière consciente.

Avec des expatriés, fils d'expatriés, petit-fils d'expatriés ou même fils d'immigrés devenus expatriés, on observe des transmissions de traumatismes encore non traités entre plusieurs générations. L'idée, c'est d'apporter le plus de réponses possibles à ces phénomènes nouveaux, et le plus d'accompagnement possible pour les expatriés qui reviennent dans leur pays d'origine. Parfois cela nécessite un travail assez long car l'expatriation agit comme un révélateur d'enjeux psychiques plus profondément enfouis ; parfois seules quelques consultations suffisent.

On observe des cas où l'expatriation relève d'une réelle fuite de son pays, de son milieu social. Elle est alors souvent liée à une recherche identitaire, qui se caractérise par des phénomènes d'errance parfois. On passe d'un pays à un autre, mais au bout d'un an ou deux, la monotonie s'installe, le besoin de partir ailleurs se fait plus présent, la vie qu'on mène semble de plus en plus insupportable.

Dans les cas que j'étudie, l'expatriation des parents vient influencer l'expérience de l'expatriation des enfants. Parfois pour le meilleur : le cas de Cécile dont les parents sont expatriés en Chine depuis son enfance est à ce titre édifiant. Elle démontre une réelle capacité à s'approprier l'expérience d'expatriation, qui devient sienne. Sans imiter ses parents, elle dit être partie comme une petite fille et revenue comme une adulte. L'expatriation tient ici lieu de période de transition.

L'idée générale derrière la notion de transgénérationnel est qu'il faut pouvoir s'approprier son histoire familiale pour s'en détacher.

On développe ainsi des séances en groupe, utiles notamment pour les familles lorsque les enfants sont confrontés à des problèmes d'insertion scolaire dans un système éducatif qu'ils ne connaissent pas et qui peut donc être vécu de manière douloureuse par les familles et les enfants. 

 

Quelle différence faites-vous entre expatriation et émigration ?

La grande différence, c'est la question du retour.  Dans l'émigration, il y a cette idée, pas systématique, qu'on va s'installer dans un pays. On a donc un processus d'adaptation qui est différent. Dans l'expatriation, en général, les personnes font des missions de trois, quatre ou cinq ans, et reviennent dans leur pays, pour repartir parfois. Ces mouvements engendrent de nouvelles tensions psychiques chez les individus : se sentir étranger à l'étranger, et étranger quand on revient chez soi. On revient en France, mais on a l'impression de ne plus y trouver ses repères. 

 

Dans l'ensemble, où en est la prise en charge psychologique des expatriés qui vivraient mal leur adaptation à un nouveau pays ou leur retour ?

Il n'existe quasiment rien, des choses sont faites sur un point de vue administratif ou économique mais la question des conséquences psychiques et psychologique de l'expatriation est souvent associée aux enjeux liés à l'immigration. Même si il y a des points communs, ce n'est pas du tout la même chose !

 

Vous souhaitez élaborer une véritable clinique de l'expatriation, en quoi cela consiste-t-il ?

Cela implique de réfléchir sur la manière de suivre les patients qui repartent, afin que les soins ne soient pas rompus. Les entretiens ont donc lieu par téléphone ou via internet. Cela pose des questions aux niveaux de la pratique clinique de la psychologie pour ce public spécifique.

Pour l'instant nous en sommes toujours dans une phase de recherche, mais celle-ci devra déboucher sur une pratique médicale concrète car l'expatriation est un phénomène qui se généralise. Le nombre d'expatriés augmente plus que la population globale en France et cette population a une vie psychique propre. Nous devons donc, en tant que psychologues, nous pencher dessus.

Propos recueillis par Robin Marteau (www.lepetitjournal.com) mardi 28 février 2017. 

 

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Publié le 3 août 2018, mis à jour le 3 août 2018
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