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Êtes-vous expatrié ou émigré ?

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Écrit par Marie-Pierre Parlange
Publié le 7 août 2022, mis à jour le 1 février 2024

Comment se définissent les Français de l'étranger ? Difficile de qualifier d'un seul mot une population somme toute très hétérogène. Expatrié, résident de longue durée, voire émigré (ou immigré, c'est une question de point de vue), chacun aborde la problématique de l'intégration de façon différente.
 

Plus de deux millions et demi de Français résident à l'étranger. Ils ont quitté la France pour du travail, des études, un stage, un séjour de longue durée. On les appelle communément des expatriés. Dérivé du latin, ce mot signifie "hors de son pays natal". La situation d'un expat est temporaire, il n'a pas quitté son pays pour de bon et compte bien revenir vivre dans son pays d'origine un jour ou l'autre. L'immigration, elle, désigne l'entrée d'une personne dans un pays étranger pour s'y installer.

Dans les faits, le mot expatrié confond souvent le salarié détaché par son employeur à l'étranger, qui bénéficie d'assurances santé et retraites, de primes d'installation et de scolarisation pour les enfants, avec celui qui organise lui-même son départ et son retour. Une erreur, selon Jean-Luc, qui vit en Espagne, pour qui "l'expatriation est un terme qui désigne exclusivement les personnes et leur familles qui sont envoyées par une entreprise française ou un organisme passer quelques années à l'étranger avec la sécurité de retrouver son emploi de retour en France. L'immigré, lui, travaille à l'étranger avec un contrat local sans autre sécurité que celle de son pays d'accueil, sans sécu française, sans cotisations aux caisses françaises de retraites, etc. Mais c'est comme ça que va la France : quand un Maghrébin vient travailler en France c'est forcément un immigré mais les Français dans la même situation à l'étranger sont des expats?c'est plus chic !"

Pour Karen, en Chine depuis 9 ans : "Je me sens plus immigrée qu'expat puisque je suis venue par mes propres moyens. Je n'ai pas été envoyée en mission par une entreprise. Je pense que c'est ça qui fait la différence." Emmanuel se considère comme un immigré : "je ne retournerai pas en France, et je fais tout pour rester dans le pays où je me suis installé, le Japon".

Expats dans leur bulle ou Français voulant s'intégrer ?

Les expatriés "nantis" n'échappent pas aux stéréotypes. Ils conserveraient malgré eux, un regard de touristes paisibles et bon enfant sur leur nouveau pays, et évolueraient presqu'exclusivement au sein de la communauté française, au contraire des Français de l'étranger dans une situation plus précaire, devant fournir beaucoup plus d'efforts pour s'intégrer. Ces deux populations aux préoccupations bien différentes coexistent sans toujours se rencontrer. Dan, du Laos, explique : "Je ne me suis jamais vraiment considéré comme un "expat" car je n'ai jamais vécu au sein de la communauté française. Si je suis parti si loin, ce n'est pas pour vivre à la française, entourés de Français ! Tous mes amis, toutes mes relations de travail sont donc locales ou viennent d'autres pays. Je me suis donc toujours senti comme un candidat à la résidence, un immigré essayant de s'intégrer le plus possible dans cette nouvelle société".

Bruno, à Singapour depuis 12 ans, "évite les soirées mondaines "expat" si possible car je n'ai aucun point en commun avec les Français de "passage" pour un an ou 2 qui continuent à rester avec la mentalité française".
Idem pour Xavier, qui s'est installé à New York sans billet retour pour la France. Il témoigne sur les difficultés rencontrées lors de l'installation d'une famille expatriée sur son palier: "En faisant les efforts nécessaires pour m'immerger dans la société américaine, je suis devenu l'exemple type du parfait immigré. Mais depuis que mes nouveaux voisins de palier se sont installés, mes doutes sur mon identité et ce que je suis venu réaliser ici ressurgissent. Ce couple d'expats français est si français que j'ai l'impression de n'être jamais parti ! (?) Les expats, j'ai parfois envie de les étrangler et en même temps j'ai de l'affection pour eux car, malgré nos différences, on se ressemble beaucoup".

S'intégrer demande en effet beaucoup d'efforts, mais la situation est différente selon les pays. Sophie fréquente très peu de Français à Milan, "et depuis quelques années seulement. Généralement je ne souffre pas du manque de contacts français, les Italiens étant très sociables et accueillants. Mon expérience à Prague était très différente, à l'époque on ne trouvait quasiment pas de nourriture française, ou à prix d'or. Les journaux français arrivaient avec des semaines de retard, internet n'en était qu'a ses balbutiements, j'étais donc plus isolée. Je fréquentais davantage de Français, expatriés ou non".
 

Pour s'intégrer, il faut être deux

Dans l'intégration, il y a aussi la place que les habitants veulent bien faire aux étrangers. Karen parle couramment le chinois, "mais comme tous les étrangers installés ici, je ne suis pas intégrée et ne le serai jamais. Ici, l'immigration est faible et concerne surtout les citoyens des pays limitrophes. Je serai toujours considérée par les locaux comme une laowai, une 'long nez'. Même si on adopte dans une certaine mesure bien sûr certaines de leurs habitudes, on ne peut passer inaperçu. Pour le moment, les personnes de race blanche sont plutôt bien accueillies par la population locale, surtout dans les grandes villes, mais cela ne durera pas". Et les efforts de Dan pour s'intégrer sont souvent vains : "Pour la plupart des locaux, le constat est simple : blanc = touriste".

Au bout de 5 ans, Claire n'a pas non plus l'impression d'être totalement intégrée au Chili : "il m'est difficile de me faire des amis chiliens. En effet, en parlant avec d'autres étrangers, nous arrivons tous à la même conclusion: les Chiliens sont chaleureux, mais pas ouverts. Ils n'acceptent pas la différence et croient que les immigrés devraient parler l'espagnol chilien et comprendre tout, tout de suite. Ils nous disent "tu ne peux pas comprendre parce que tu es française". Du coup, je me sens isolée dans un monde entre Chili et France. Pour ce qui est des coutumes locales, j'ai aussi tenté d'apprendre... En vain pour l'instant, mais j'ai de la bonne volonté. Au Chili par exemple, il n'est pas rare que les invités arrivent avec une heure de retard, qu'ils ne vous appellent pas pour prendre de vos nouvelles, c'est très frustrant. (...) En fait, je me dis souvent que mon immigration au Chili n'aurait pas été possible sans mon fiancé, chilien, mais tellement européen: lève-tôt, sportif, et assez ponctuel ! C'est un pont entre le Chili et la France !"

Julie, de Bangkok, parfaitement bilingue en thaï, estime que "maîtriser la langue, c'est incontournable, mais ça ne suffit pas pour s'intégrer : encore faut-il parler le même 'langage', notamment dans les pays culturellement très différents du sien : se reconnaître dans les mêmes valeurs, avoir grandi dans la même culture,  avoir partagé le même programme scolaire, tout cela compte aussi". 


Entre nostalgie et rejet, que garde-t-on de son pays d'origine lorsque l'on est expatrié depuis longtemps ? Jean-Luc, en Espagne depuis plus de 21 ans "dont 5 ans comme expatrié et 16 ans comme immigré" a intégré de l'Espagne "les horaires de déjeuner à partir de 14h00 qui permettent de faire plus de choses durant la matinée, les tapas qui permettent de se restaurer de façon très pratique, une certaine légèreté de la vie et de la fête, l'habitude de traiter d'abord avec des personnes qui ont une fonction dans une entreprise et non comme en France avec des entreprises représentées quasi anonymement par des personnes, des mots espagnols francisés qui ponctuent maintenant mon langage français... Ce que j'ai gardé de la France c'est avant tout la rigueur du français que j'applique autant que faire se peut à la langue de Cervantès plus riche et descriptive, le goût pour la culture francophone".
 

Vos papiers s'il vous plait !

Sur la couverture du livre de Frédéric Amat, La drôle de vie des expatriés au Cambodge, John Burdett, célèbre auteur de polars expatrié en Thaïlande, estime que "les expats vivent avec beaucoup de privilèges mais peu ou pas de droits". Frédéric Amat renchérit : "On a beau parler la langue, être marié avec une personne du pays depuis des années, le seul droit que nous avons est celui d'avoir nos papiers en règle. En Thaïlande, il n'est pas possible d'ouvrir un business ou d'acheter un terrain en son nom. Il ne faut jamais oublier que nous ne sommes ici que des immigrés même si le mot est moins exotique qu'expatrié. Le problème est que dans certains pays, l'expatrié a l'impression de jouir d'une grande liberté, d'être un peu perpétuellement en vacances, de vivre dans un bouillonnement croissant où tout est possible, surtout au regard d'une vie en Europe de plus en plus momifiée". (Voir l'interview complète sur notre édition de Bangkok).

Il y a énormément de raisons différentes qui peuvent pousser au départ, et sûrement autant qui poussent à rester sur place. Alors combien sont-ils, ces Français de l'étranger, toujours plus nombreux, à se transformer en véritables immigrants ? Et quel est leur véritable degré d'intégration ? Après tout, le sentiment d'intégration varie surement en fonction des uns et des autres. Expatrié, résident ou immigré, on peut se sentir accepté tout en gardant sa différence. Pour Julie, "on peut se sentir chez soi à l'étranger, avec un gros plus (une vision enrichie des choses du fait d'avoir grandi ailleurs) et un gros moins (ne pas tout comprendre parce que justement on a grandi ailleurs)". L'important, c'est d'y être heureux.

 (réédition)


PS: Dans les pages du site lepetitjournal.com, nous estimons pouvoir appeler "expatrié" celui qui vit hors de sa patrie, sans autre considération d'ordre financier...

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