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Préparation d’un contrat de mariage en vue d’une expatriation aux USA

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Écrit par Notaires de France
Publié le 10 janvier 2024, mis à jour le 10 janvier 2024

Nombreux sont ceux qui croient encore au rêve américain et partent s’expatrier aux Etats-Unis.

Comme un rêve est plus agréable à vivre avec la personne aimée, beaucoup se retrouvent dans la situation de notre cas d’étude ci-après :

Madame A de nationalité française et Monsieur B de nationalité américaine ont prévu de se marier prochainement en France. Ils envisagent ensuite de s’établir aux Etats Unis sans avoir encore déterminé l’Etat.

Préalablement à leur union, ils souhaitent établir un contrat de mariage en France.

Nous avons interrogé les notaires de France qui nous renseignent à ce sujet :

Les conventions matrimoniales, portant, pour la plupart, le nom de prenuptial  ou postnuptial agreement, sont aujourd’hui pratique courante.

Avant de s’atteler à brosser le portrait-robot de la convention matrimoniale idéale pour le système américain, deux constats doivent être faits :

Le premier constat que nous pouvons faire est qu’il est compliqué d’établir un cadre général1 des conventions matrimoniales dans les différents pays de système de Common law en général et même au sein des Etats-unis en raison de la pluralité d’Etats fédéraux et donc des normes applicables.

Rappelons en effet que les USA regroupent 50 Etats fédérés et qu’il existe une juxtaposition de normes.

Si les Etats-Unis possèdent des normes supranationales au niveau fédéral, chaque Etat fédéré possède, dans certains domaines, sa propre autonomie et édicte lui-même des normes applicables dans ses frontières. Tel est le cas du droit de la famille qui relève du droit des Etats fédérés (State law).

Aussi, il peut exister autant de législations, pratiques et appréciations jurisprudentielles des conventions matrimoniales que d’Etats fédérés.

L’Uniform Premarital Agreement Act (UPAA), promulgué par la National Conference of Commissioners on Uniform State Laws en 1983, a tenté d’unifier les règles de fond et de forme des conventions matrimoniales entre les Etats fédérés.

Mais seuls vingt-sept États 2 l’ont à ce jour adopté avec pour chacun des variations qui leur sont propres.

Le second constat est que les Etats-Unis faisant partie du système de droit dit de common law (souvent opposé à notre système de droit latin), la notion de régime matrimonial est peu connue de ce système.

Par adaptation des droits, il est souvent considéré par les juristes français que le système de répartition de la propriété des biens entre les époux est un régime séparatiste.

En réalité, cela est un raccourci hasardeux et nombreuses sont les déconvenues quand le contrat de mariage établi en France se heurte à l’épreuve du système judiciaire américain.

 


1 Les pratiques et jurisprudences diffèrent selon le Royaume-Uni et l’Australie par exemple

2   Arizona, Arkansas, Californie, Connecticut, Delaware, District of Columbia, Floride, Hawaï, Idaho, Illinois, Indiana, Iowa, Kansas, Maine, Montana, Nebraska, Nevada, New Jersey, Nouveau Mexique, Caroline du Nord, Dakota du Nord, Oregon, Rhode Island, Dakota du Sud, Texas, Utah, Virginie. Pour une étude complète : The Uniform Premarital Agreement Act and Its Variations Throughout the States, Journal of the American Academy of Matrimonial Lawyers, Vol. 23, 2010, 355.

 

Nous n’aborderons pas le fond de la convention, laissant les époux prendre tous conseils auprès de leur notaire sur les choix de lois et de compétences juridictionnelles qui s’offrent à eux.

Cependant, à titre de rappel, si l’Union Européenne s’est dotée de règlements permettant différents choix de lois par les époux dans l’éventualité de la survenance d’un divorce, les Etats-Unis ne sont évidemment pas tenus par ce corps de règles européennes.

Aussi, outre les règles européennes relatives aux conditions de fond et forme de ces choix de lois et de juridiction, le rédacteur de la convention matrimoniale doit garder à l’esprit que son contrat est amené à être produit aux Etats-Unis. Il doit donc s’inquiéter de la réception par les juridictions de ce pays et de la marge d’appréciation que possède le juge américain sur les accords entre les époux.

En effet, le juge américain possède un large pouvoir d’appréciation dit « equitable distribution ». Cette théorie lui permet de répartir les biens entre les époux à l’occasion d’un divorce selon ce qui lui semble équitable et sans considération de l’origine de propriété des biens.

Aussi, les prévisions des époux, dans leurs accords prénuptiaux (ou post nuptiaux), peuvent être en partie ou totalement remaniées par le juge.

Au-delà de ce pouvoir que possède le juge américain sur son territoire, ses décisions peuvent avoir des répercussions sur notre propre territoire, lieu d’établissement du contrat de mariage dans le cas pratique qui nous intéresse.

En effet, l’arrêt de la première chambre civile de la cour de cassation du 2 décembre 20203 a non seulement été une énième illustration du pouvoir d’Equity du juge américain mais a également mis en évidence que le contrat de mariage français, retoqué par le juge américain, est susceptible d’être privé de tout effet en France, pays où il a pourtant vu le jour.

Dès lors que la décision étrangère (américaine en l’espèce), écartant le contrat de mariage français, est régulière, et qu’elle a statué sur le sort du patrimoine des époux ou ex-époux, elle devra être appliquée en France, peu importe donc que le contrat de mariage français ait été écarté : la seule mise à l’écart d’un acte notarié portant contrat de mariage, n’est pas contraire à l’ordre public international français.

Le pouvoir d’appréciation du juge américain est donc important, pour ne pas dire considérable. S’il peut prendre en considération l’accord présenté par les époux, encore faut-il que celui-ci soit satisfaisant sur la forme.

Car pour espérer que l’accord des époux s’invite aux débats devant le juge américain, tenue correcte est exigée et le dresscode de la convention matrimoniale doit être strictement observé :

 

  1. Un conseil juridique par époux : le système de Common law est assez méfiant vis-à-vis des contrats reçus par un seul notaire. Sauf à faire preuve d’un dédoublement de la personnalité, il est presque impensable, pour les juges de common law, qu’un seul homme puisse conseiller chacune des parties au mieux de ses intérêts sans inévitablement prendre partie pour l’un ou l’autre des époux ou futurs époux.

Il est donc recommandé d’avoir recours à deux notaires ou un notaire et un avocat pour chaque époux, lesquels auront pu conseiller chacun des époux et aboutir à un contrat reflétant le processus de négociation. 

 


3 Cass. Civ. 1ère 2 décembre 2020, n°18-20.691. « Une décision rendue par une juridiction étrangère qui, par application de sa loi nationale, refuse de donner effet à un contrat de mariage reçu en France, n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français de fond et ne peut être écartée que si elle consacre de manière concrète, au cas d'espèce, une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ».

 

Notons que le code de droit de la famille californien a admis la possibilité de renoncer aux conseils indépendants (tel le recours au notaire français, conseil commun et impartial des parties) à la condition d’être expressément mentionnée dans un document séparé au contrat de mariage et sans ambiguïté 4 .

 

  1. Le « financial disclosure » ou « full disclosure »5  : le contrat de mariage doit contenir une présentation détaillée du patrimoine respectif des parties et de leurs revenus. En effet, comment établir une convention sincère et équitable si les époux ne sont pas transparents sur leur situation ? Cacher un élément à l’autre pourrait entacher le bien-fondé de la convention et permettre à l’autre d’invoquer cette faille le moment venu 6 .

 

  1. Mentionner que le contrat s’appliquera en cas de divorce : Cela peut paraître une lapalissade à nos yeux mais l’intitulé « contrat de mariage » peut laisser penser au juge américain que cet accord n’est destiné à s’appliquer qu’aux rapports entre les époux et non entre les (futurs) ex époux. Il peut être préférable de substituer au terme « contrat de mariage » le terme de « convention matrimoniale » afin de ne laisser planer aucune ambiguïté quant à la destinée de ce contrat.

Il est donc nécessaire d’exprimer clairement que l’intention des époux est que cette convention s’applique en cas de divorce et qu’ils souhaitent donner un caractère exécutoire à leur contrat, y compris dans les pays de Common Law.

 

  1. Le délai de réflexion : Comme tout contrat, celui-ci doit être conclu sans contrainte ni abus d’une position dominante. Aussi, l’une des manières de garantir les bonnes conditions de formation de cet accord matrimonial est de laisser au moins un délai de trois semaines de réflexion avant la célébration du mariage (voire de la conclusion de la convention)

 

  1. La traduction : D’une manière générale, lorsque l’une des parties est amenée à contracter dans une langue différente de sa langue maternelle, le notaire doit s’inquiéter de la compréhension du français par ledit époux.

Rappelons que si le français n’est pas la langue maternelle d’un des contractants, le notaire doit lui proposer de se faire assister d’un interprète, faute de quoi sa responsabilité pour défaut de devoir de conseil serait engagée 7.

 


4 Ces critères ont été ajoutés au Code de la Famille Californien en 2001, suite à deux décisions de la Cour Suprême de Californie de 2000, Marriage of Bonds, 5 P.3d 815 et Marriage of Pendleton and Fireman 5 P 3d. 839.

5 La Californie demande maintenant “full disclosure” des biens de chacun. C’est à dire que chaque futur époux doit déclarer à l’autre absolument tout ce qu’il possède.

6   La Cour d’appel du Michigan a retenu que le contrat de mariage établi en Allemagne devant notaire n’était pas valide parce qu’il ne contenait pas un listing « suffisamment détaillé » des biens des futurs époux ( Estate of Halmaghi, 457 N.W. 2d 356, 359 (Mich. Ct. App. 1990).

7 Cass. Civ. I, 13 mai 2014, N° de pourvoi: 13-1350

 

Bien évidemment si l’époux en question ne parle pas le français, le recours à un interprète n’est pas une option.

En matière de contrat de mariage, destiné à être produit aux Etats-Unis, cette exigence de traduction est appréciée de manière stricte. Si l’un des époux est d’une nationalité différente de la langue dans laquelle est établi le contrat, il devra dans tous les cas bénéficier d'une traduction intégrale du projet de contrat en amont et les conseils devront lui être donnés dans sa langue maternelle.

Dans notre cas, en raison de la nationalité américaine de Monsieur B, il apparaît nécessaire d’établir des projets en langue anglaise et de s’en ménager la preuve.

 

  1. Une convention équitable : Comme nous l’avons rappelé au début de notre propos, le système judiciaire américain est attaché au principe d’équité. Aussi si la convention aboutit à un résultat « unconscionable », c’est à dire « injuste », « déraisonnable », il est évident que le juge, au nom de l’equity, n’aura aucun scrupule à écarter les accords des époux.

 

Prudence est donc de mise en matière de contrat de mariage impliquant une dimension internationale et particulièrement lorsqu’un pays du système de common law rentre dans l’équation.

 

Il ne saurait donc être trop conseillé aux futurs expatriés de prendre en amont tous conseils nécessaires quant à leur situation personnelle auprès de leur notaire.

 

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Publié le 10 janvier 2024, mis à jour le 10 janvier 2024