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Cyprien Verseux : « J’ai toujours été attiré par l’inconnu, par l’exploration »

Cyprien VerseuxCyprien Verseux
Photo par Marco Buttu, © PNRA/IPEV
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 31 mai 2022, mis à jour le 8 juin 2022

Cyprien Verseux est bien plus qu’un chercheur, bien plus qu’un expatrié, mais un vrai explorateur. L’astrobiologiste français résidant à Brême a pris part à deux programmes d’exploration scientifiques, qui simulaient la vie sur Mars et ses défis pour une équipe en isolement dans des conditions extrêmes. D’un volcan hawaïen au froid glacial de l’Antarctique, il nous raconte son histoire digne d’un roman de science-fiction.

 

HI-SEAS IV mission sur un volcan à Hawaï
Photo du Dôme de la mission HI-SEAS IV par Cyprien Verseux

 

Vous avez participé en 2015 au programme d’exploration scientifique « HI-SEAS IV » et avez vécu 366 jours sur un volcan hawaiien. Vous avez finalement vécu le confinement avant tout le monde. Que retenez-vous de cette expérience ? 

HI-SEAS IV était une expérience financée par la NASA dans le cadre des futures missions sur Mars. Le but principal était de tester les facteurs humains : comment un groupe d’astronautes supporterait-il l’isolement, le confinement dans une base minuscule, le manque d’intimité et les autres difficultés psychologiques d’une base sur la planète rouge ? Cette mission m’a amené à vivre 366 jours dans un dôme blanc de 11 mètres de diamètre, isolé sur les flancs d’un volcan, avec 5 autres scientifiques et ingénieurs. Là, nous n’avons vu ou parlé en temps réel à personne en-dehors de l’équipage, n’avons jamais été à l’air libre, nous nourrissions d’aliments déshydratés, dépendions de panneaux solaires, et étions à la fois chercheurs et cobayes.

 

J’aimerais énormément passer du temps sur Mars

 

Cette mission avait pour but d’évaluer l’isolement d’une équipe pour une mission sur Mars. Est-ce que, pour vous, une expatriation sur la planète rouge est un rêve ? 

J’aimerais énormément passer du temps sur Mars. Avant tout pour les découvertes scientifiques auxquelles mènerait une telle mission. Également parce que j’ai toujours été attiré par l’inconnu, par l’exploration. Marcher là où personne n’a marché avant, observer un coucher de soleil bleuté dans un ciel rosé, découvrir pour l’humanité ce qui se cache derrière une roche, sous le sol ou dans un tunnel de lave… cela a quelque chose de fascinant. C’est subjectif, bien sûr, mais je doute que quoi que ce soit, parmi ce dont je suis capable, ait plus de sens que contribuer à l’exploration d’une telle planète.

 

Cyprien Verseux lors de la mission Concordia
Photo par Marco Buttu, © PNRA/IPEV

 

 

Même planète, autre couleur. Dans votre blog, Mars la Blanche, vous parlez de votre mission comme chef d’une équipe scientifique dans la station Concordia en Antarctique. Cette autre expérience extrême vous a également rapproché de la vie sur Mars ? 

Oui, bien que le paysage ait été très différent. Dès le jour de mon arrivée, j’ai eu le sentiment d’atterrir sur une autre planète : pour le dernier segment d’un voyage qui a duré 3 semaines, un avion léger nous a donné 1 200 kilomètres pour réaliser à quel point nous serions isolés. Le hublot était divisé en deux : le bleu du ciel, sans le moindre nuage, et le blanc d’un désert de glace également monotone. Pas un rocher, pas une plante, pas le moindre relief. Et puis, d’un coup, des installations. Quelques containers orange ou blancs servant de laboratoires scientifiques ou d’entrepôts, des télescopes, mais surtout la base : deux tours blanches sur pilotis reliées par un couloir suspendu.

 

L'équipe du Concordia
L'équipe de la mission Concordia par Marco Buttu, © PNRA/IPEV

 

Ensuite, comme nous le serions au sein d’une base martienne ou lunaire, nous étions confinés dans un bâtiment que nous ne quittions qu’avec un équipement adapté : pas de combinaison spatiale, mais des couches de vêtements presque aussi épaisses. Comme sur une autre planète, l’environnement ne nous permettait pas de survivre sans technologies : certes, l’air était respirable, mais nous aurions eu peu de temps devant nous si le chauffage avait cessé de fonctionner. Comme si nous étions loin de la Terre, nous ne pouvions ni partir ni être rejoints pendant 9 mois : il faisait trop froid (jusqu’en-dessous des -80°C) pour qu’un véhicule fasse le trajet. Et, comme nous finirons probablement par le faire sur Mars, nous utilisions les ressources locales, et recyclions au maximum, pour limiter drastiquement les coûts de ravitaillement et notre impact sur l’environnement. Nous faisions par exemple fondre de la neige pour produire de l’eau qui, une fois utilisée, entrait dans un cycle de traitement et de réutilisation.

Notre physiologie devait également s’adapter. Pas à une gravité différente mais à un air extrêmement sec et pauvre en oxygène : environ 60% de la pression au niveau de la mer en France. Le rythme solaire était lui aussi inhabituel : après une période de jour continu, le soleil est passé sous l’horizon pour trois mois. D’autres aspects de notre vie ici, du profil des équipiers à certaines de nos activités professionnelles, s’apparentaient à ceux attendus dans une future base sur la Lune ou sur Mars.

 

Technologiquement, nous n’y sommes pas encore, bien que nous en soyions bien plus proches que la plupart d’entre nous imaginent

 

Est-ce que vous pensez que l’être humain est prêt à aller vivre sur une autre planète ?

Technologiquement, nous n’y sommes pas encore, bien que nous en soyions bien plus proches que la plupart d’entre nous imaginent. Psychologiquement, oui. Pas tout le monde, bien entendu : beaucoup voudront toujours rester sur Terre. Mais d’autres seraient ravis de dédier leur vie à l’exploration d’une nouvelle planète et, parmi eux, certains seraient capables d’y mener une vie gratifiante.

 

Cyprien Verseux, glaciologue au Concordia
Photo par Carmen Possnig, © ESA/PNRA/IPEV

 

Est-ce que cette mission en Antarctique vous a encore davantage confronté aux enjeux du réchauffement climatique ? 

Oui. En partie du fait de mon travail de glaciologue : j’ai pu contribuer à différents projets de recherche dont les données aideront, par exemple, à mieux connaître le climat par le passé et à mieux évaluer son futur probable. Mais aussi parce que, en route vers Concordia, j’ai pu passer un peu de temps sur la côte Antarctique et constater à quel point les écosystèmes y sont vulnérables.

 

Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de raconter ces deux expériences sur un blog et ensuite dans deux livres* ? 

Au départ, parce que j’ai pensé que ces expériences étaient suffisamment étranges pour valoir la peine d’être racontées. Peut-être aussi pour figer mes souvenirs et m’y replonger quand ma mémoire se sera érodée. Mais démarrer un blog m’a rappelé que j’aimais écrire, et j’ai continué avec des livres en grande partie pour le plaisir.

 

Nous travaillons sur des systèmes biologiques qui visent à produise ce dont on aura besoin à partir de ce que l’on trouve sur place, dans le sol et l’atmosphère martiennes

 

Vous avez fondé et dirigé actuellement le Laboratoire de microbiologie spatiale appliquée à l’Université de Brême, en quoi ce domaine est essentiel à la conquête de l’espace ? 

Si l’on veut rester sur Mars sur le long terme pour l’étudier en profondeur, peut-être sur le modèle des bases de recherches que l’on a en Antarctique, il faudra fournir aux équipages de larges quantités de nourriture, d’oxygène et de toutes ces choses nécessaires à la survie humaine. Étant donné le prix par kilogramme d’une charge envoyée sur Mars, sans compter les difficultés technologiques liées à l’envoi d’un gros chargement, il semble peu réaliste de tout envoyer depuis la Terre. Alors nous travaillons sur des systèmes biologiques qui visent à produise ce dont on aura besoin à partir de ce que l’on trouve sur place, dans le sol et l’atmosphère martiennes. Nous espérons contribuer à rendre les futures missions plus indépendantes de la Terre et donc, plus durables.

 

* Vivre sur Mars (Michel Lafon) et Un hiver antarctique - Seuls sur la planète blanche (Hugo Publishing)