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Photos de famille : Aya Kaneko Xu à la recherche de ses origines en Chine

Aya Kaneko Xu a 22 ans. En février 2024, elle part à la rencontre de son père, en Chine, à plus de 8.000 kilomètres de Paris, où elle vit. Elle prend conscience qu’elle a besoin de le rencontrer pour comprendre qui elle est, ses blessures, son art. Pour Lepetitjournal.com, la jeune femme s’est confiée sur ce départ imprévu mais nécéssaire vers l’Empire du Milieu. 

Aya à 2 et 22 ansAya à 2 et 22 ans
Il y a deux mois, en février 2024, Aya part à la rencontre de son père, en Chine, à plus de 8000 kilomètres de Paris. Elle prend conscience qu'elle en a besoin pour comprendre ses blessures et son art
Écrit par Léa Degay
Publié le 16 mai 2024, mis à jour le 17 mai 2024

 

 

Février 2024, Aya Kaneko Xu prend des billets d’avion pour la Chine et part rencontrer son père. Elle avait deux ans lorsqu’elle l’a vu pour la dernière fois. Elle n’en a aucun souvenir. Ses parents se sont séparés presque à sa naissance, « ils se connaissaient depuis deux mois quand ils m’ont conçue ». Ils se sont rencontrés pendant leurs études aux Beaux Arts de Paris. L’un comme l’autre a quitté son pays d’origine pour la France : le Japon pour sa mère et la Chine pour son père. 

 

Mais, très vite, ses parents jeunes et irresponsables, ne s’occupent pas bien de la jeune Aya. « Mes grands-parents chinois ont voulu prendre ma garde et ma mère a pris peur, c’est pour ça qu’elle est partie. » Pour oublier, la famille paternelle chinoise décide de rentrer au pays. Pendant seize ans, la jeune femme vit seule avec sa mère, un peu partout en France, au gré de ses métiers et de ses relations amoureuses, « mon enfance et mon adolescence ont été très instables. » Elles déménagent environ dix-huit fois. 

 

Les grands parents paternels de Aya

 

Un regard sur l’homme et notamment sur le père très négatif

 

A cause d’une adolescence difficile, entre drogues dures, rue et violences physiques, elle se construit avec « un regard sur l’homme et notamment sur le père, très négatif », et beaucoup de haine. Des schémas toxiques qu'elle reproduit dans ses relations avec les hommes. Lorsque Aya tombe amoureuse pour la première fois, elle prend conscience qu’elle a beaucoup de séquelles : « Je savais qu’un jour, il faudrait que j’affronte ma propre histoire parentale pour ne pas que mon couple en pâtisse »

 

Grandissant loin de la culture asiatique, elle développe une sorte de « racisme profond » pour la communauté et pour elle-même : « Lorsqu’une personne d’origine asiatique s’essayait à côté de moi dans le bus, je ne me sentais pas bien. Je n’avais pas envie d’y être associée, j’avais envie d’être française, de me sentir française. » 

 

 

« Si mon père meurt sans que je le connaisse, j’aurai tellement de regrets de ne pas savoir qui il est. »

 

Aya entourée de ses grands parents paternels
Ses grands parents paternels ne parlent pas le français. « On communique par les yeux, par le regard, par les gestes. Il y a même moins de tendresse quand on parle avec les mots » confie Aya.

 

Aya et ses « fausses blessures d’abandon »

 

A sa majorité, c’est le déclic. « Si mon père meurt sans que je le connaisse, j’aurai tellement de regrets de ne pas savoir qui il est. » Elle le retrouve grâce à Facebook. Ils commencent à échanger. « J’avais beaucoup de rancœur, beaucoup de colère et beaucoup d’interrogations ». Elle a toujours su qui était son père. Mais, pour simplifier les choses - et pas forcément à tort - sa mère lui a toujours dit que son père était parti. Pendant longtemps, elle s’imagine avec de fausses blessures de l’abandon, « alors qu’en fait, il n’était juste pas capable de se prendre en main ». Comme beaucoup de jeunes de son âge à l’époque, les joints, l’alcool et les jeux vidéos réglaient sa vie. Encore aujourd’hui : « C’est toujours un adolescent dans sa tête. »

 

Le véritable déclic un matin de février 2024

 

Pendant quatre longues années, ils prennent régulièrement des nouvelles l’un de l’autre. Elle entame des études pour faire plaisir à sa famille paternelle. Et même si elle veut à tout prix, faire l’inverse de ses parents et ne pas leur ressembler, elle choisit la voie artistique, comme eux. A plus de 8.000 kilomètres de Paris pourtant, la famille paternelle élargie pense qu’elle fait de « grandes études intellectuelles ». Sa grand-mère paternelle le raconte à qui veut l’entendre. Dans le pays, les études sont très importantes et l’échec n’est pas envisageable pour de nombreuses familles chinoises. Certains jeunes qui échouent préfèrent mettre fin à leur vie plutôt que de rentrer sans leur baccalauréat ou leur diplôme chez eux. (NDLR : le suicide est la première cause de mortalité chez les 15-34 ans en Chine). 

 

D’après Aya, son père ne prend pas l’initiative de la rencontrer parce qu’il a « peur que subitement des responsabilités lui tombent dessus » et qu’il « va être papa alors qu’il n’est pas fait pour être père ». Alors un matin de février 2024, alors qu’elle s’apprête à se lancer dans un projet dans la capitale française avec deux amis, la forçant à se projeter d’y rester pour les cinq prochaines années, elle change ses plans. Elle prend ses billets d’avion pour la Chine, sans prévenir personne. « J’ai même pas demandé à mon père, je lui ai juste dit que j’arrivais quelques jours plus tard et j’ai tout laissé tomber ici. » Elle ne saura sûrement jamais ce qui l’a poussée à tout plaquer mais arrivée sur place, elle comprend que sa place est exactement là. 

 

 

Aya et sa grand-mère
"Ma grand-mère me dit qu'elle est fière de moi, pourtant elle raconte à qui veut l'entendre que je fais des études intellectuelles." En Chine, les études sont très importantes. 

 

 

« On communique par les yeux, par le regard, par les gestes. Il y a même moins de tendresse quand on parle avec les mots. »

 

La rencontre se fait chez son père, dans « un petit studio, qui sent le tabac froid et l’alcool ». Ses grands-parents paternels sont présents et émus. Ils habitent l’immeuble en face. Seul son père parle français. Et Aya ne connaît pas un mot de chinois. Son père biologique joue parfois au traducteur mais ce n’est pas toujours nécessaire. « On communique par les yeux, par le regard, par les gestes. Il y a même moins de tendresse quand on parle avec les mots. » 

 

La photographie comme moyen de communication 

 

Entre elle et son père s’installe la photographie. « C’était un moyen de me rapprocher de lui et, pour lui, de se rapprocher de moi. » Quand on rencontre un parent pour la première fois, ce n’est pas toujours évident de trouver les mots. « Sa caméra a été notre lien. » Un Lumix S1, vieux modèle, de qualité et assez léger. « C’était intuitif, comme si ça avait toujours été en moi, comme s’il m’avait transmis sa passion à travers les gênes. » Pour Aya, c’est une révélation, la photographie devra faire partie de son art.

 

le studio de son père

 

Depuis qu’elle a quitté la Chine, elle a entamé un voyage en Asie, seule la plupart du temps, avec pour seuls bagages, un sac à dos et le Lumix S1 de son père : « J’apprends à aimer sa valeur, sa vraie valeur sentimentale. »


 

Une même histoire, différentes versions

 

Aya et son père biologique s’appellent maintenant régulièrement, entre nouvelles et conseils photographiques. Elle appelle aussi beaucoup sa maman. « On a une relation très fusionnelle, le genre de relations mère et fille meilleures amies. » Elle a toujours soutenu sa fille dans sa quête paternelle. Néanmoins, quand sa fille allait mal et qu’elle perdait totalement le contrôle, elle n’en a jamais parlé au père biologique. « Je pense qu’elle ressent beaucoup de culpabilité parce que les choses auraient pu se dérouler autrement. Elle regrette de m’avoir privée d’un père ou du moins, d’une relation avec lui. » 

 

Aya devant un night shop
Leur passion commune pour la photographie les rapproche, c'est leur moyen à tous les deux de communiquer. Son père la photographie partout. 

 

Tout le monde a ses démons et en faisant ce voyage, Aya ne cherche pas à blâmer l’un ou l’autre de ses parents ou à chercher un coupable. « Je sais que ce sont des humains et je ne sais pas si je ferai mieux. » Elle voulait juste comprendre son histoire, faire table rase du passé. 

 

 

« Au final, nous en avons bavé tous les deux et le principal, c’est qu’aujourd’hui, tout va bien. » 

 

Une même histoire a toujours différentes trajectoires. Aya avait le choix de rester en colère ou d’avancer : « Je ne savais pas ce qu’il ressentait ni comment il voyait les choses. Si je n’avais pas pris cette décision, je n’aurais peut-être jamais su que, lui comme moi, on ressentait la même chose. » 

 

La rencontre a permis de faire disparaître toutes les idées préconçues qu’ils avaient l’un de l’autre. Elle l’imaginait avec une jolie famille unie avec des enfants. Lui, n’imaginait pas un seul instant qu’elle puisse être droguée ou battue par un compagnon de sa maman : « Il pensait que nous étions riches parce que nous étions en France. Au final, nous en avons bavé tous les deux et le principal, c’est qu’aujourd’hui, tout va bien. »


 

Aya entourée de ses grands parents paternels
"Au final, nous en avons tous bavé, mais le principal, c'est qu'aujourd'hui tout va bien."