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Cécile Moroni : “L’humour norvégien est assez particulier et différent du nôtre”

L’expatriation offre parfois des parcours de vie unique. Cécile Moroni, expatriée depuis 13 ans en Norvège et mère de trois enfants, en fait partie. Il y a un an, elle décide de tout plaquer pour devenir humoriste… en norvégien ! Elle s’exprime sur cette reconversion professionnelle unique en son genre : “Il n’est jamais facile de faire rire dans une autre langue en stand-up.”

Cécile Moroni en plein stand-upCécile Moroni en plein stand-up
Écrit par Paul Le Quément
Publié le 19 mars 2024, mis à jour le 21 mars 2024

Est-ce que votre expatriation en Norvège a été un choc culturel ? 

Mon expatriation en Norvège a été un véritable choc culturel. Mais je me suis lancée dans l’aventure pour cette raison précise. Aujourd'hui, je fais le métier d'humoriste en Norvège notamment grâce aux différences culturelles. 

Comment votre réorientation professionnelle s’est faite ? 

Ma réorientation ne part pas de nulle part car j’avais fait les cours Florent à Paris. J’ai aussi fait du stand-up comme loisir à Oslo. Pour vraiment faire décoller ma carrière, il fallait que je libère du temps étant donné que je suis maman de trois enfants. J'ai donc décidé de passer à plein temps en 2023 après quelques signaux favorables à une propulsion de ma carrière. Je devais arrêter de travailler si je voulais vraiment donner une ampleur à cette dernière. Ma famille est vraiment l'élément déclencheur. Si je veux donner de la voix, il faut le faire à 100 % donc je me suis réorientée en tant qu'humoriste. 

 

Est-ce que faire rire dans une autre langue, notamment le norvégien, est compliqué ? 

Il n’est jamais facile de faire rire dans le stand-up, peut-être encore plus dans une autre langue. L’humour est souvent la dernière chose qu’un expatrié apprend culturellement. Mais je suis en Norvège depuis 13 ans. J’ai été naturalisée et je connais mieux la culture norvégienne qu'auparavant. Quelle que soit la langue, il y a un vrai challenge pour essayer de décortiquer les codes de ce qui fait rire le public. Par exemple, j’ai des anecdotes réalisées en anglais, français et norvégien. Mais le public ne rit pas forcément au même moment. Il est intéressant de comprendre pourquoi un élément fait rire les Français, mais pas les Norvégiens. 

L’humour norvégien est assez particulier et différent du nôtre. Il est très sarcastique, dans le non-dit, un peu à l’anglaise. Il y a quand même des choses universelles avec notamment l'influence américaine et occidentale en général. Mais l’humour français se concentre plus sur les codes et les origines d’une personne dans la société, la famille, les parents, l’identité… Je pense que cela prend du temps de comprendre quels sont les ressorts de l'humour qui amuse le public, en particulier norvégien.

 

Cécile Moroni lors d'un spectacle

 

Est-ce que vous avez mis en place des interactions avec votre public ? 

Cela dépend des spectacles et du type de rôle que j’exerce. Quand je suis maître de cérémonie, cela diffère de mon rôle lors d’un stand-up. En règle générale, le stand-up se fait avec le public et il y a un échange d'énergie énorme. Un spectacle peut, avec le même texte, avoir un écho très différent si le public est “chaud” et inclus ou non. Je pense qu’il est dans l'intérêt de tous les humoristes de créer du lien avec le public. À l’inverse du théâtre classique où il y a un texte très écrit sans échange réel avec l’audience. Le stand-up lance une balle que le public renvoie. 

J’ai quand même des spectacles assez écrits et extrêmement préparés. Ils sont relativement construits en matière de fil directeur. Le code du stand-up est vraiment d’inclure le public, cela fait partie de son ADN. Même s’il y a peu d'interactions, il y en a toujours. Ce n’est jamais du théâtre, ni du one man show, mais vraiment du stand-up au sens américain du terme. Quand je fais des spectacles en solo, j’ai quelques interactions juste pour avoir des personnes sur lesquelles rebondir, notamment sur certaines blagues plus tard dans le spectacle. Le travail avec la foule est un peu calculé pour pouvoir mettre en relief des blagues. En revanche, si je suis maître de cérémonie, alors je travaille avec la foule pour que les autres humoristes puissent ensuite avoir une salle “chaude” quand il monte sur scène.

Vous avez démocratisé vos spectacles en les déclinant en anglais et en français, est-ce que le spectacle reste fondamentalement le même tout en parlant dans une autre langue ? 

Le spectacle est très différent d’une langue à l’autre. J'utilise mon talent pour les langues, ce qui me permet de m'exprimer sur des scènes différentes et d’aller à la rencontre d’un nouveau public. Il y a des expatriés anglais à Oslo. Je parle des différences culturelles avec eux, mais ce n’est pas du tout les mêmes textes ou blagues. Lors de ce type de spectacle, les blagues vont plus porter sur la Norvège vue de l'extérieur. Alors que si le spectacle est en norvégien, je vais plus me tourner vers une critique de la politique. Mais il reste quand même une forme de tronc commun. En tant qu'humoriste, je donne énormément de ma personne. Il y a donc un style qui se détache, un peu comme un dessinateur. 

Mes textes sont différents dans les trois langues que je pratique. Ce n’est pas facile de faire des bons textes dans sa langue maternelle, le français en l'occurrence. Mais j'ai tout de même une capacité pour faire de la nuance ou des imitations de voix, de personnages. Je suis plus à l’aise dans le registre de langage et plus agile avec les mots. Tous ces éléments vont permettre de faire rire le public. Au lieu de dire tomber, je vais dire “se rétamer " ou "se croûter”. Cela va devenir plus drôle car ce sont des mots un peu hors sujet dans une phrase. J’ai moins cette capacité dans les autres langues. Je suis toujours plus à l’aise dans ma langue maternelle. Mais en norvégien, j’ai un accent français qui me donne une sorte de positionnement faisant office de bon ressort humoristique. Parfois, j’ai besoin d'avoir un peu d’aide sur l’écriture. J’ai par exemple un coauteur sur un spectacle en norvégien qui m'aide à clarifier certaines choses. Dans ma tête et pour un public français, je n'aurais pas besoin de l’expliquer. J’ai moins besoin de cette béquille en français comparée aux autres langues. 

Cécile Moroni lors des trophées des Français de l'étranger

 

Qu’est-ce que cela vous fait d’avoir remporté le Trophée Culture/Art de Vivre des Trophées des Français de l’étranger, remis par MisterFly ?

Je suis très honorée par ce prix. Il représente bien sûr une reconnaissance à titre personnel pour mon parcours à l’étranger mais également une reconnaissance plus large pour toutes les personnes impliquées à faire briller la France hors de ses frontières, de quelque manière que ce soit. Je trouve le symbole fort et il fait sens pour moi qui ai toujours gardé un lien fort avec la France malgré mes années d’expatriation. C'est aussi l'occasion de donner de la visibilité à mes projets futurs, à la fois en entreprise mais aussi sur scène, et de nouer de nouveaux contacts avec toute une communauté d'expatriés plein de talents.