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COMMEMORATION DE LA GRANDE GUERRE – La position mitigée des Irlandais

Écrit par Lepetitjournal Dublin
Publié le 13 novembre 2014, mis à jour le 20 novembre 2014

Le Lycée Français d'Irlande (LFI) et la St Kilian's Deutsche Schule ont présenté mardi 11 novembre un travail commun de commémorations lié au centenaire de la Grande Guerre. L'occasion de faire un retour sur le rôle de l'Irlande à l'époque et de d'éclairer sur les raisons d'une commémoration peut-être plus 'délicate' qu'ailleurs.

Cette exposition retraçait le cours de la guerre, et son impact sur les trois pays au c?ur de l'Eurocampus de Dublin, à savoir la France, l'Irlande et l'Allemagne, avec une reconstitution en uniformes, des scènes de théâtre, des lectures de témoignages de poilus, etc.., le tout présenté en 3 langues. Invités pour cette reconstitution, les Ambassadeurs d'Allemagne, d'Autriche, de Belgique et de France ainsi que l'Attaché à la Défense de l'Ambassade des Etats-Unis ont commémoré la fin de celle qui devait être la "Der des Ders".

Mais si l'Irlande commémore comme les autres cette guerre dans laquelle elle a eu un grand rôle, il faut savoir que la Grande Guerre et sa commémoration reste un sujet délicat, tinté d'amertume dans la mémoire du pays.


Une forte mobilisation

La Grande Guerre survient en Europe alors que l'Irlande traverse une crise intérieure profonde. Le nationalisme irlandais grandissant réclame plus d'autonomie à l'Angleterre. Cette lutte parfois violente aboutit au vote du ?'Home Rule'' en 1912 (un projet visant à donner une autonomie interne à l'Irlande, tout en restant sous la tutelle de la couronne britannique), qui devait être appliqué les années suivantes. Mais la guerre éclate, et l'Angleterre déclare le ?'Suspendory Act'', qui met le processus en suspens. Les Irlandais sont alors appelés à s'engager dans l'armée britannique ! Mais étonnement, l'engagement fait consensus, et chacun des deux camps (nationalistes et unionistes) décident alors de partir au front, pour des raisons différentes toutefois.

Les Irlandais de l'Ulster, région qui deviendra l'Irlande du Nord, à majorité unioniste et protestante, se sont engagés par loyauté envers la couronne britannique, encouragés par la suspension du ?'Home Rule''. Les forces armées unionistes, l'UVF (Union Volunteer Force) deviennent une division particulière (ils gardent même des signes distinctifs) dans l'armée.

Les nationalistes partent en guerre pour d'autres raisons : d'abord ils s'identifient beaucoup à la Belgique, royaume catholique sous le joug de l'oppresseur allemand. Ils décident de prendre la défense des petites nations et de leur liberté. Finalement, les Irlandais nationalistes partent en guerre pour libérer l'Europe, mais avec le sentiment qu'ils se battent avant tout pour libérer l'Irlande. De plus, l'objectif de cette loyauté était d'assurer la mise en oeuvre de la Home Rule après la guerre
Le temps de la guerre, les nationalistes font donc une trêve avec l'Ulster et font preuve de loyalisme envers l'Angleterre.

On constate même une vague d'enthousiasme dans l'opinion publique. L'esprit de consensus parvient à dépasser l'anti-britannisme et la campagne de recrutement est un grand succès. La mobilisation est générale. On estime à 200.000 le nombre d'Irlandais engagés aux côtés de l'Angleterre. Mais il ne faut pas oublier les nombreux Irlandais expatriés (l'Irlande sort d'une forte vague d'émigration), engagés auprès du Canada ou des Etats-Unis.

Un désenchantement rapide

Toutefois les nationalistes irlandais partis au front vont vite déchanter. D'abord l'Angleterre profite de la guerre pour étouffer le nationalisme : les membres de l'UVF (unionistes) sont regroupés dans des divisons distinctes et formées, tandis que les nationalistes sont dispersés. Chaque troupe catholique se voit attribuer un officier protestant. En Irlande, la formation des officiers n'est pas autorisée à l'école de Dublin mais se fait à Belfast. Enfin, les Irlandais ont interdiction de porter des insignes irlandais au front (allant de la harpe à la broderie irlandaise).

Au fur et à mesure des combats, on constate un déclin de l'engagement irlandais, dû à une forte progression du nationalisme irlandais dans l'opinion publique: les Sinn-Feiners, qui refusent tout accord avec l'Angleterre et qui ne se sont pas engagés dans cette guerre qui n'est pas la leur, sont de plus en plus écoutés.

Le tournant décisif se fait lors des Pâques Sanglantes en 1916. En effet, le lundi de Pâques 24 avril 1916, 120 membres de l'Irish Citizen Army et 700 de l'Irish Volunteers Force défilent dans O'Connell Street à Dublin. Ils investissent la Poste centrale et Patrick Pearse proclame la République irlandaise, ?indépendante et souveraine'. A ce moment-là, la foule est peu enthousiaste, car ces insurgés sont considérés comme des 'traîtres' vis-à-vis des irlandais qui se battent au front. Mais l'armée britannique réagit violemment, et Dublin est le théâtre d'affrontements, faisant 300 morts et 13.000 blessés. C'est finalement la réaction britannique qui marque la rupture, car le courage des résistants devant le peloton les transforme en martyrs aux yeux de l'opinion irlandaise, qui change d'avis à leur sujet. Au front, l'annonce de ces nouvelles apporte une vague de désespoir et de désillusions.

Le Grand oubli

Au retour de la guerre, c'est le ?'Grand oubli'' : les évènements nationalistes en Irlande et l'héroïsme des hommes qui sont morts à Dublin ont relégué aux oubliettes les soldats irlandais au front. Soudain, ces hommes, morts sous l'uniforme britannique, deviennent gênants pour l'opinion nationaliste irlandaise, qui préfère les oublier. De plus, à leur retour, les soldats, persuadés de s'être battus avant tout pour l'Irlande, retrouvent un pays occupé par l'armée britannique, où la ?'Home Rule'' est encore suspendue. La plupart ressent alors un fort sentiment de trahison, de sacrifices vains. L'héroïsme des soldats est oublié et l'opinion publique a les yeux rivés sur la situation du pays qui semble avoir empiré.

Une reconnaissance oubliée

Ainsi, pendant très longtemps il n'y a pas eu de reconnaissance de l'action de l'Irlande dans la Grande Guerre : pas de monuments commémoratifs, pas de discours, très peu de récits des combats, etc? On estime pourtant à 27.405 morts irlandais dans l'armée britannique. Des témoins étrangers relatent l'héroïsme des divisions irlandaises : le 2nd Munster Fusiliers, pratiquement entièrement décimé lors de la retraite de Mons, ou le Royal Irish à la bataille des Flandres.

Finalement, la réhabilitation finit par se faire, tardivement. Le 11 novembre 1998, est inauguré le monument ?The Island of Ireland Peace Park'' à Messines en Belgique, avec le roi des Belges, la reine d'Angleterre et la présidente irlandaise.

Pour des témoignages audio et vidéo des engagés irlandais, voir ici. 

Encore aujourd'hui, les sentiments des Irlandais sont partagés sur le devoir de mémoire lié à la Grande Guerre

On peut en voir une illustration avec James McClean, joueur nord-irlandais de Wigan (club de football anglais), qui a refusé d'arborer le coquelicot que les joueurs anglais portent pour rendre hommage aux morts de la Première Guerre Mondiale. Il déclare dans une lettre adressée au président, publiée sur le site du club, que le coquelicot n'est pas que le symbole des morts lors des deux guerres, mais lui rappelle des évènements douloureux pour la population irlandaise. ?'Depuis 1945, pour les Nord-Irlandais comme moi et particulièrement ceux de Derry qui ont connu le massacre du Bloody Sunday en 1972, le coquelicot a pris une symbolique très différente.'' [Le 30 janvier 1972, à Derry (Irlande du Nord), treize hommes, dont sept adolescents, sont morts sous les balles des soldats de l'armée britannique lors d'une marche de l'Association nord-irlandaise pour les droits civiques qui défendait la minorité catholique.]

Audrey Lalli (www.lepetitjournal.com/dublin) vendredi 14 novembre 2014

Crédits Photos:

National Library of Ireland on The Commons / Foter / No known copyright restrictions

amandabhslater / Foter / CC BY-SA

Walter Paget / Foter / Public Domain Mark 1.0

www.britishlegion.org.uk

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Publié le 13 novembre 2014, mis à jour le 20 novembre 2014

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