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Matthew Yokobosky : “Tout ce que j’aime vient de France”

Matthew Yokobosky est le conservateur principal de la mode et de la culture matérielle au Brooklyn Museum de New York. Le 18 janvier dernier, ce francophile a été nommé Chevalier dans l’Ordre national du Mérite. Une distinction remise pour les différentes expositions honorant des créateurs de mode français qu’il a organisées au fil des années. Matthew Yokobosky, nous fait voyager à travers sa passion pour la mode française : “Pendant toute mon enfance, la mode était omniprésente à la maison.”

Matthew yokobosky, conservateur au Brooklyn MuseumMatthew yokobosky, conservateur au Brooklyn Museum
Écrit par Paul Le Quément
Publié le 30 janvier 2024, mis à jour le 6 février 2024

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre travail de "conservateur principal" de la mode et de la culture matérielle ?

Un conservateur principal peut avoir de nombreuses fonctions. Au fil des années, ma carrière a oscillé entre la conception d'expositions pour les musées et le rôle de conservateur d'expositions. Je pense que beaucoup de personnes ne savent pas qu'il y a une différence entre les deux alors que, dans un grand musée, ce sont des tâches très distinctes. En tant que conservateur principal de la mode et de la culture matérielle, je suis la personne qui fait venir une exposition itinérante, ou qui crée une nouvelle exposition en partant de zéro. La conservation consiste donc à choisir les œuvres d'art qui font partie d'une exposition, puis à créer la narration et l'ordre dans lequel vous voyez ces œuvres. En général, un conservateur travaille avec un concepteur d'exposition pour savoir si ces deux peintures doivent être exposées sur le même mur ou si elles doivent être placées dans une vitrine. 

 

Matthew Yokobosky reçoit le titre de Chevalier dans l'Ordre national du Mérite, entretien
Matthew Yokobosky recevant le titre de Chevalier dans l'Ordre national du Mérite

 

D'où vient cette passion pour l'art et le désir de faire ce métier ?

J'ai eu la chance d'avoir une mère qui s'intéressait beaucoup à la mode. Pendant toute mon enfance, la mode était omniprésente à la maison. J'avais aussi deux grandes sœurs qui, lorsque j'étais petit, étaient déjà adolescentes et gagnaient des prix de beauté. Dans mon enfance, mes sœurs se maquillaient et se coiffaient pour se préparer à sortir, mon travail consistait à changer les vinyles. Elles voulaient être sûres d'avoir toujours de la bonne musique pendant qu'elles se préparaient. J’étais un peu le DJ à un défilé de mode (rires).

J'ai aussi grandi dans une petite ville, appelée Republic, dans le sud-ouest de la Pennsylvanie, où il y avait des tailleurs, des fleuristes et des cordonniers. Après l'école, je marchais dans la rue, j'entrais dans les magasins et j’observais les commerçants en train de coudre les vêtements, faire des ourlets, fabriquer des chaussures… Cela a certainement suscité mon intérêt pour la mode.

 

"Je ne me disais pas que tout ce que j'aimais venait de France, mais c'est finalement le cas."

Qu'est-ce qui vous a séduit dans la mode française ?

En grandissant, j'ai beaucoup appris sur la mode grâce au cinéma et aux magazines. Je me souviens de l'époque où j'ai commencé à voir Pierre Cardin, dans les années 70. A Noël, quelqu'un m'avait acheté son parfum qui avait la forme d'un trou de serrure, mais en trois dimensions. Il était sur mon bureau et je le voyais tous les jours. Je mettais du Pierre Cardin, un nom que j'ai appris à connaître très tôt. Plus tard, je me suis beaucoup intéressé à des créateurs comme Thierry Mugler, Jean-Paul Gaultier et Claude Montana. J'ai suivi des études cinématographiques à l'université où j'ai décidé de me concentrer sur le design et la conception de costumes. 

Quand j'ai déménagé à New York, j'ai commencé à concevoir des costumes le soir dans un théâtre expérimental appelé “La Mama”. J'étais très intéressé par le travail de Claude, Jean-Paul et Thierry étant donné qu’ils avaient davantage de références historiques dans leurs créations. Lorsqu’on crée des costumes, par exemple pour le théâtre, ils se situent généralement dans une époque. Leur travail s'inscrivait à la fois dans l'histoire et l'avenir, avec de nouvelles techniques, permettant ainsi de libérer ma vision de la conception. Grâce à cela, j'ai remporté un premier prix du Bessie Award pour la création de costumes. 

 

Comment avez-vous vécu votre arrivée au Brooklyn Museum ?

Avant mon arrivée au Brooklyn Museum, j’ai travaillé au Whitney Museum of American Art, dans le département des films et des vidéos. Juste après avoir remporté le Bessie Award pour la conception de costumes, ils m'ont demandé si j’avais déjà envisagé de concevoir une exposition. À ce moment-là, je n'avais pas vraiment envisagé de le faire. Mais, peu après, j'ai conçu des expositions pour Joseph Stella, un grand artiste américain. J'ai également réalisé des projets avec Yoko Ono et j'ai conçu une partie de la Whitney Biennial. 

En 1999, le directeur du Brooklyn Museum m'a appelé : "Je ne suis pas très intéressé par le cinéma et la vidéo, mais j'aime votre conception des expositions. Pourriez-vous envisager de venir à Brooklyn ?” J'ai donc quelque peu changé de carrière et je me suis concentré sur la mise en scène et le décor des expositions. Beaucoup d'entre elles parlaient de mode. J'ai travaillé sur des expositions consacrées à la photographie rock’n’roll et à des photographes de mode comme Annie Leibovitz. Avec ma formidable collaboratrice, Lisa Small, nous travaillons ensemble sur une série de projets, dont ceux sur Jean-Paul Gaultier ou l’exposition intitulée Killer Heels, l'art de la chaussure à talon haut. Nous avons également organisé une exposition intitulée Sneaker Culture, qui portait sur l'histoire de la chaussure de sport, et qui a été très populaire. Nous avons eu l'un des publics les plus jeunes que nous ayons jamais eu pour une exposition ! 

"Je pense que le semestre prochain, je vais suivre des cours d'art et de design", puis j'ai entendu le téléphone tomber.

 

Avez-vous été surpris d'être nommé Chevalier de l'Ordre National du Mérite par la France ?

J'ai totalement été pris au dépourvu parce que j'ai toujours été un vrai passionné, s’il y a quelque chose qui m'intéresse ou m’attire alors je fonce. J'ai toujours voulu soutenir des artistes que j'aimais, que j'admirais et que je trouvais très créatifs. Je ne me disais pas que tout ce que j'aimais venait de France, mais c'est finalement le cas. Quand j'ai reçu le coup de fil me disant qu’ils appréciaient mon travail avec Dior, Cardin et Gaultier, j’ai été très surpris. J'en ai encore des papillons dans le ventre et je leur en suis extrêmement reconnaissant.

 

 

Qu'est-ce que cela signifie pour vous de recevoir ce titre ?

Je travaille dans les musées depuis près de 40 ans. J'ai donc commencé très tôt, et, aujourd'hui, je suis vraiment à un sommet dans ma longue carrière. Lorsque j'étais à l'université, j'ai commencé à étudier la médecine et, après un an et demi, j'ai appelé ma mère et je lui ai dit : "Je pense que le semestre prochain, je vais suivre des cours d'art et de design", puis j'ai entendu le téléphone tomber. Après réflexion, l’essentiel était de faire ce que j’aime pour réussir. J'ai probablement pris un plus grand risque en décidant de suivre ma passion. Ma mère a maintenant 92 ans et quand je lui ai parlé de cette distinction, elle m'a dit, “Oh, Matt, tu as pris tellement de bonnes décisions. J'espère que je ne t'ai pas empêché de le faire.” C’était un très beau moment. Quand j'ai emménagé à New York, ma mère pensait que j’avais besoin d’anges et elle m’en a donc offert deux sous forme de broches en or. J'ai donc porté ces deux anges dorés pour la cérémonie de remise du prix.