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THE BONJOUR EFFECT – Décrypter la conversation des Français

Écrit par Lepetitjournal Montreal
Publié le 2 juin 2016, mis à jour le 6 juin 2016

Jean-Benoit Nadeau et Julie Barlow sont québécois et ont passé plusieurs années entre Paris et le Canada. Au cours de leurs séjours dans l'Hexagone, ils ont observé la façon très particulière de dialoguer qu'ont les Français. Ils en ont fait un livre "The Bonjour Effect", pour tout comprendre des codes secrets du grand art français de la conversation

lepetitjournal.com : Qu'est-ce que le "Bonjour Effect" ?

Jean-Benoit Nadeau : Cela fait référence au titre du premier chapitre du livre, qui porte sur le mot bonjour, et toutes ces petites expressions essentielles comme au revoir, s'il vous plaît, il n'y pas de quoi ou râlâlâ. Le problème de la plupart des étrangers qui ont du mal avec les Français tient au fait qu'ils ratent le code de base : ils ne disent pas bonjour. C'est une expression très courante en France, mais que les Nord-Américains ne disent pas nécessairement au chauffeur d'autobus, au commis de magasin, au caissier, au serveur.  

L'idée de départ de ce livre était d'examiner comment les Français parlent, après avoir étudié il y a 15 ans comment ils s'organisent (c'était le thème de notre précédent livre : Sixty Million Frenchmen Can't Be Wrong ou Pas si fous ces Français pour l'édition en langue française.) Car tout ce que l'on sait ou croit savoir des Français nous vient de ce qu'ils disent. Or comment comprendre les Français ? Les Français disent non même s'ils veulent dire oui ; ils ne disent jamais qu'ils ne le savent pas même quand ils ne le savent pas ; et quand ils s'engueulent, c'est généralement pour faire connaissance. 

Ce qui est ressorti de notre année en France, que nous avons passée en famille en 2013-2014, c'est que le grand art des Français, plus ancien et plus ancré que tous les autres, c'est la conversation.  

Quelle est la différence entre la conversation au Canada et en France ?

Les Canadiens, comme tous les Nord-Américains d'ailleurs, sont beaucoup plus consensuels. Les Français, dès la petite enfance, à travers les familles et l'école, sont entraînés à l'éloquence, à l'esprit. Nous avons été fascinés à quel point les maîtres de nos filles, en CM1, tenaient à ce que celles-ci puissent s'exprimer au maximum de leur potentiel. Les petits Français apprennent donc à discuter ? c'est-à-dire à considérer une idée sous tous ses angles et à en parler ? beaucoup.  Contrairement aux Nord-Américains qui disent "Je ne sais pas" même quand ils savent, pour avoir l'air consensuels, les Français sont entraînés à avoir quelque chose à dire même ? et ils ne l'admettront jamais - s'ils ne savent pas à un étranger. À un proche, si, mais pas aux autres. 

Quels seraient, selon vous, les tabous dans la culture française ?

Les grands tabous individuels sont la peur du ridicule et la peur de la faute. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les Français disent non aussi spontanément ? selon toutes les variantes, comme "Ça n'existe pas, ça ne se fait pas", etc. Heureusement, quand on sait qu'un non en France n'est pas une posture de rejet, mais de défense, il suffit de poursuivre la conversation pour vaincre la résistance. 

Au plan politique, il y a eu de très forts tabous autour de l'intégration et de l'Europe ? et ils existent encore. C'est le politiquement correct version française. Pendant une voire deux générations, on s'est refusé à discuter ouvertement de ces questions. Fabius fut l'un des seuls à admettre, il y a 30 ans, que Le Pen posait les bonnes questions même s'il donnait les mauvaises réponses. Exploiter ce politiquement correct pour ensuite dire n'importe quoi, c'est le fonds de commerce des Le Pen.  

Les Le Pen surfent également sur un autre tabou : la redéfinition de la droite et de la gauche aurait dû se faire il y a 20 ans suite à l'effondrement du mur de Berlin. Tout a été maintenu en place artificielle à bout de bras grâce au brio et à l'éloquence de vos "alpha", votre classe médiatico-politique issue des grandes écoles. Remettre en question certaines prémices était un tabou puissant : mais vous y êtes. 

Pourquoi les Français ne pratiquent-ils par l'humour en public ?

Parce que l'humour, contrairement à l'esprit ou au sarcasme, consiste à se tourner un peu en ridicule soi-même. Or, contrairement à l'adage, le ridicule tue ? surtout en France. Par contre, les Français font beaucoup d'humour en privé. On peut même dire que si une Française ou un Français commence à faire de l'humour avec vous, c'est un des signaux forts qu'ils envoient que votre relation devient plus personnelle. 

Diriez-vous que les Français ont l'esprit de contradiction ? Selon vous à quoi est-ce dû ?

Je dirais davantage "l'esprit de discussion" que de "contradiction". Mais cela est dû en fait au besoin viscéral des Français de briller dans la conversation et à votre culture de l'éloquence. Cela vous amène à toujours considérer l'opinion contraire. D'ailleurs, comme vous avez tous une formation en philo en Terminale, vous êtes tous un peu entraînés à le faire. La plupart des Nord-Américains n'ont aucune formation du genre. Personnellement, je trouve cela très créateur et stimulant : on peut avoir une bonne conversation avec de parfaits inconnus dont on ne connaît ni le nom ni l'origine, alors que les Nord-Américains ne se permettent ce niveau de discussion qu'avec des gens qu'ils connaissent et qui leur ont été présentés. 

Jean-Benoit Nadeau et Julie Barlow sont tous les deux journalistes, mariés.
Ils ont cosigné plusieurs livres:
Pas si fous ces Français et Le Français! Quelle histoire. 
Ils vivent actuellement à Montréal. 

Enfin, vous parlez du déclinisme ou du pessimisme français ? Est-ce un trait proprement culturel ?

Pas entièrement, mais c'est endémique en France. J'ai été frappé par un sondage qui disait que 80 % des Français se disent optimistes pour eux-mêmes, mais 80 % se disent pessimistes pour la société. Comment une telle dichotomie est-elle possible ?

Cela se nourrit d'un vieux fond philosophique (Descartes, Voltaire, etc.), mais aussi du vieux fond paysan. Historiquement, en France, on était taxé sur la richesse apparente. Dire : "tout va mal" devient une manière de protection. Mais le pessimisme est aussi une posture, une sorte de prêt-à-porter intellectuel. Dans une société où il faut pouvoir avoir réponse à tout, une posture pessimiste permet de botter en touche et de produire de l'opinion très vite, même si c'est n'importe quoi. 

Il y a un risque, cependant. Le pessimisme peut être très créateur, mais s'il devient systématique, il touche à la sinistrose et à la psychose de masse. Relisez L'étrange défaite, de l'historien Marc Bloch, notamment les 50 dernières pages sur les causes de la défaite française en mai-juin 1940. C'était écrit à chaud, en juillet 1940, mais ce qui est frappant, c'est la ressemblance avec l'état d'esprit qui prévaut actuellement : cette espèce d'insistance à broyer du noir. Je ne dis pas que les Français doivent partir dans l'excès inverse, celui de la Méthode Coué. Mais selon moi, l'excès de pessimisme ambiant qui prévaut actuellement est malsain, pour ne pas dire dangereux. 

Propos recueillis par Mathilde Poncet (www.lepetitjournal.com) - Vendredi 2 juin 2016 

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Publié le 2 juin 2016, mis à jour le 6 juin 2016

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