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Forte chaleur et entrée à l’UNESCO : l’impossible rénovation des toits de Paris ?

Les toits de Paris étaient surnommés la mer de zinc par Victor Hugo. Ils font encore partie intégrante du paysage et du charme de la capitale, mais à l’ère de l’urgence climatique, leur réhabilitation pose question. Entre le défi écologique et l’aspect patrimonial, le chantier du siècle est-il réalisable ?

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Écrit par Jeanne Martin, Yann Pêcheux et Teddy Perez
Publié le 29 mars 2024, mis à jour le 5 avril 2024

L’heure du changement est-elle arrivée ? En 2023, une étude britannique parue dans la revue scientifique The Lancet Planetary Health analysait les villes européennes les plus meurtrières en cas de canicule. En tête des 854 villes, Paris domine le classement, se révélant extrêmement vulnérable lors des pics de chaleur. Au-delà des nombreux chantiers qui occupent la capitale en préparation des Jeux olympiques, un autre débat prend de la hauteur : celui de rénover les toits parisiens.

L’été dernier, Victor, jeune actif de 25 ans habitant du 16e arrondissement parisien en a fait les frais. Durant deux ans, il a vécu sous les toits, au dernier étage d’un immeuble haussmannien. Dans son 9 m² “insoutenable”. L’ancien étudiant n’avait “aucun moyen de refroidir” son appartement : “je n’avais qu’un vélux et je dormais sur un lit mezzanine, donc très proche du toit. Pendant l’été, je me réveillais dans une piscine de transpiration.” 

Plutôt que de résister à la chaleur, Victor faisait le choix de dormir dans le couloir, ou préférait même rentrer le plus souvent possible dans sa famille à Rouen. Depuis, il a quitté les lieux, échappant à un “effet albédo” faible. C’est-à-dire un phénomène naturel qui correspond au fait que plus un corps est sombre, plus il absorbe les rayons du Soleil.

 

effet albedo toit de paris

 

Ainsi, l’été, un toit en zinc qui accumule de la chaleur durant toute une journée peut chauffer à une température très élevée, atteignant les 80 degrés, rappelle Tim Cousin, architecte des toits et cofondateur de Roofscapes.

Ces toits sont alors des bouilloires thermiques, qui peuvent également devenir dès l’hiver des réfrigérateurs pour les habitants situés en dessous. Car, s’il y a bien une information à préciser, c’est que le zinc n’est pas du tout un isolant. Mais à l’inverse d’un toit en tuile, “celui en taule capte bien plus facilement la chaleur” présente Aurélien Uny, ancien couvreur-zingueur.

 

La fin des toits en zinc ? “Il faudra plusieurs générations et du temps pour la construction”

À défaut de rejeter l’entièreté de la faute sur le zinc, peut-on rénover facilement une toiture à la mansart - c’est-à-dire un toit qui comporte généralement 4 versants, formés chacun de deux pentes différentes. À Paris, quatre bâtiments sur cinq sont construits ainsi : “Cela prend deux mois et demi” selon Aurélien Uny. Formé et travaillant dans la charpente pendant 18 ans, il s’est reconverti dans le diagnostic immobilier après avoir contracté une maladie professionnelle aux vertèbres. La plus grande contrainte, avoue-t-il, “c’est l’aspect patrimonial”. Pour Aurélien, la France est attachée à sa culture et pour connaître une nouvelle vue parisienne, “il faudra plusieurs générations” et “du temps pour la construction”.

Les mentalités peuvent peut-être changer plus vite que l’on ne le pense, quant aux réalités du métier, c’est une autre affaire. Actuellement, il manque 500 couvreurs à Paris. S’il ne devrait connaître - en théorie - pas la crise, ce secteur professionnel subit malgré tout une pénurie de main d'œuvre. En cause, des “salaires trop bas et des conditions de travail très difficiles” qui n’encouragent pas de nouvelles vocations.

 

les toits en zinc de paris, le patrimoine de la capitale

 

Paris, la ville du patrimoine par excellence

Au-delà de la thématique sociale et des conditions de travail compliquées des couvreurs, la rénovation ou la réhabilitation des toits parisiens rencontre d’autres facteurs bloquants, d’ordre économico-légal cette fois. Le PLU (Plan Local d’Urbanisme) de Paris est relativement contraignant : chaque chantier doit respecter un cahier des charges propre à la ville, même si la Mairie “a été clairvoyante” selon Tim Cousin, architecte spécialiste des toits : “Le plan local d’urbanisme parisien, qui aurait pû être une limite, a largement évolué ces dernières années. Le PLU bioclimatique, récemment édité, prend en compte cette thématique d'adaptation, en favorisant la végétalisation et la production d'énergie sur les toits”, facilitant ainsi les projets de réhabilitation.

Un chantier parisien doit également recevoir la bénédiction des architectes des Bâtiments de France (ABF), le corps d'État qui s’assure que le patrimoine architectural français soit préservé. Souvent hostiles à toute modernisation, les architectes des ABF ne se préoccupent pas des problématiques liées à l’environnement ou au réchauffement climatique. 

Un immobilisme que souligne Tim Cousin : “Leur mission est de protéger le patrimoine dans son état actuel, adapté au climat d'hier. Elle n'inclut malheureusement pas encore l'adaptation aux climats à venir.” D’après l’architecte, plus de 95% des bâtiments parisiens sont soumis à une protection patrimoniale, limitant fortement à l'heure actuelle la mise en place de projets de d'adaptation.

 

gilles mermet monsieur toit de paris

 

“Éviter de mettre Paris dans le formol”

 

Les collectivités locales se sont également emparées de ce “brûlant” sujet. Dans un rapport intitulé Paris à 50°, la Ville de Paris évoque la nécessité “urgente” de moderniser la ville pour lutter contre les super vagues de chaleur qui tendent à se multiplier. Au programme : travaux d’envergure, végétalisation et lutte contre les passoires thermiques.

Qualifié de “chantier du siècle” par Anne Hidalgo, le projet veut fixer la future ligne de conduite de l’urbanisme parisien et réglementer les nouvelles constructions. L’élu écologiste Alexandre Florentin, rapporteur de l’étude, veut revivre “une nouvelle révolution haussmannienne et transformer Paris en ville-oasis”, en projetant de refaire de Paris une ville vivable en période de canicule. Le rapport Paris à 50° évoque l'équilibre à repenser “entre préservation du patrimoine bâti, adaptation aux vagues de chaleur et réflexion au devenir des toits parisiens”. Plutôt que de s'embêter avec des décrets contraignants pour d'éventuels travaux, la mairie s’est penchée sur la question, préférant éviter de “mettre Paris dans le formol”.

Un équilibre qui fait hésiter Gilles Mermet, surnommé le “Monsieur des toits de Paris”. Journaliste photographe de profession, cet amoureux de l’architecture s’est épris des toitures parisiennes après avoir publié Les Toits de Paris ou l’art des couvreurs. Quelques mois après la parution en 2011, le journaliste est devenu officiellement ambassadeur des Toits de Paris, et projetait, en collaboration avec la maire du 9ème Delphine Bürkli, de faire classer les toits en zinc de Paris au patrimoine de l’UNESCO. Une classification qui rendrait “très compliqué, voire impossible” tout chantier de modernisation des toitures parisiennes. 

En étroite collaboration avec le Ministère de la Culture depuis une dizaine d’années, Gilles Mermet doit surmonter plusieurs obstacles : “Il y a eu tour à tour plein de sujets : d’abord, qu’est-ce qu’on classe ? Tous les toits de Paris ? Un immeuble spécifique ?”. Pour faire un compromis, le Ministère suggère de faire classer le travail et le savoir-faire des couvreurs zingueurs parisiens, un projet plus facile à réaliser et qui garantit “une forme de préservation du patrimoine”. Cette classification reste, à ce jour, en cours de traitement, même si l’ambassadeur s’affirme “très confiant” sur l’issue de la candidature.

 

aurélien uny couvreur zingueur toit de paris

 

Rendre le zinc plus vert

Choisi et extrait en grande quantité entre le 16e et le 17e siècle pour sa souplesse et sa durabilité, le zinc habille les toits du Paris haussmannien. Aujourd’hui, il ne s’extrait plus en France et a développé un autre atout : sa recyclabilité. Pour ces raisons, Aurélien Uny affirme “qu’il a encore de beaux jours devant lui”. Encore mieux, un toit en zinc quelque peu vieillissant est moins sensible à la chaleur lorsqu’il rouille, limitant alors les effets de four quand on s’y trouve en dessous.

Les toits en zinc restent néanmoins la première surface de la ville qui est exposée au soleil. Tim Cousin, architecte et cofondateur de Roofscapes, souhaite transformer les toits de Paris en expérimentant différentes solutions. L’entreprise a été lauréate d’un appel à projets de la ville de Paris pour la transition et l’innovation. Leur champ de bataille concerne l'adaptation des toits en les végétalisant. Selon le trentenaire diplômé en architecture au Massachusetts Institute of Technology (MIT), installer des structures végétalisées sur les toits de la capitale répond à plusieurs problématiques. Dans un premier temps, la végétalisation contribuerait à réduire la température des toits en zinc en été.

 

tim cousin expert réhabilitation toits parisiens

 

Un nouvel espace dans une capitale saturée

La végétalisation des toits permettrait également d’offrir un nouvel espace de vie dans une ville dense comme Paris. “C’est un espace qui présente énormément de qualités dans une ville comme Paris qui a très peu d’espaces verts”, argumente Tim Cousin. Pour l’architecte, c’est un argument de taille pour convaincre les copropriétaires d’un immeuble d’engager une transformation de leur toiture. “Notre but est d’intéresser les gens à ce projet en leur présentant la possibilité de pouvoir se rendre sur leur toit et à terme, d’en faire un lieu partagé”, étaye-t-il.

Les propriétaires sont en effet les premiers acteurs à convaincre pour espérer pouvoir transformer les toits de la capitale. Tim Cousin en est conscient, ces rénovations coûtent chères et il est donc nécessaire d’offrir d’autres arguments que celle d’une amélioration de la qualité de vie de ceux qui vivent aux derniers étages. “Il faut qu’il y ait les bons dispositifs et les bonnes intentions pour que tout le monde y trouve un intérêt”, précise-t-il.

Si la ville de Paris se montre plutôt en faveur de ces projets novateurs, ils restent tout aussi ambitieux à mettre en place. “On se rend compte qu’il y a plein d’autres acteurs à convaincre”, admet l’architecte. En revanche, Tim Cousin se réjouit de l'inscription du savoir-faire des couvreurs-zingueurs et ornementalistes au Patrimoine immatériel de l’UNESCO. “Si l'inscription des toits aurait pu figer une situation délétère, la protection et la mise en valeur du métier de couvreur, elle, nous paraît essentielle à l'écriture du prochain chapitre des toits parisiens" . Le chantier du siècle ne se fera pas sans les couvreurs zingueurs.

Publié le 29 mars 2024, mis à jour le 5 avril 2024