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28 JUIN 1956 - Le Soulèvement de Poznań

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 27 juin 2016, mis à jour le 28 juin 2016

 

La ville de Pozna? organise aujourd'hui de nombreuses célébrations pour commémorer le 60ème anniversaire du soulèvement de la ville. Il y a 60 ans, le 28 juin 1956, une immense manifestation d'ouvriers fut réprimée dans le sang par les troupes soviétiques et fit environ 70 victimes. Il s'agissait alors de la première contestation contre le gouvernement communiste en Pologne. Retour sur ces événements tragiques.

La fin de la période stalinienne en Pologne

Dans les années 1950, la Pologne est devenue une démocratie populaire, dirigée par Boleslaw Bierut, un fidèle de Staline. Le pouvoir réprime violemment les opposants politiques, les ecclésiastiques et les membres du Parti hostile au stalinisme. Les contestations sont étouffées mais le mécontentement est grand parmi les Polonais qui critiquent la soumission du gouvernement aux directives de Moscou, et souffrent de mauvaises conditions de vie et de travail.

Mais la remise en cause du Stalinisme par Khrouchtchev et la mort de Bierut au début de l'année 1956 provoquent une grave crise de succession au sein du POUP (Parti ouvrier unifié polonais), accompagnée d'un débat sur la ligne du parti, divisé entre la faction stalinienne et la faction réformiste dirigée par Wladyslaw Gomulka. Finalement, c'est un proche de Bierut, Edward Ochab, qui est nommé à la tête du parti en avril 1956. Celui-ci entame un processus de déstalinisation du POUP et de la Pologne. Mais cette « libéralisation » du régime où la police politique perd de son influence, va permettre l'explosion du mécontentement populaire : la crise éclate dans la ville ouvrière de Pozna?, située à l'ouest du pays, au cours du mois de juin.

Le « juin de Pozna? »

La ville de Pozna? est un des lieux où la contestation est la plus forte contre le pouvoir communiste. La situation économique est devenue exécrable dans tout le pays et la population est en colère contre les avantages réservés à la nomenklatura au pouvoir. Dans les grands centres industriels du pays (Gdansk, Lódz, Pozna?), la situation est si tendue lors du printemps 1956 que les dirigeants communistes s'attendent à ce qu'une contestation éclate d'un moment à l'autre. A Pozna?, un conflit oppose depuis quelques mois les 15 000 salariés de l'usine Cegielski (également appelée ZISPO) à ses dirigeants.

La résistance à la surexploitation va alors entraîner la résistance de l'usine Cegielski.

Pendant des mois, les ouvriers envoient des pétitions, des lettres et des délégations sont mandatées auprès du comité central du POUP. Mais en vain. Les salariés de l'usine sont au bord de la grève. Finalement, le ministre de la Construction Mécanique accepte, le mardi 26 juin 1956, de rencontrer une délégation de 27 ouvriers de Cegielski. Les ouvriers faisant valoir les risques de grève générale, le ministre menace d'une intervention armée. Cette rencontre est très suivie par toutes les usines de la ville dans un climat de grande tension. Le 27 juin, la délégation d'ouvriers revient à Pozna?, persuadée de l'issue positive d'une partie des revendications, d'autant plus que le directeur de l'usine envisage un nouveau système de calcul des salaires. Mais le ministre finit par se rétracter et la situation explose le 28 juin, au petit matin.

Le « jeudi noir » : un bain de sang

Jeudi 28 juin, à l'aube, l'usine Cegielski est désertée par ses ouvriers qui refusent de prendre le travail. Les grévistes forment un cortège qui marche vers le centre de la ville. Alertés, les ouvriers des autres usines de la ville décident de leur emboîter le pas et la grève se généralise. Une grande partie de la population se joint également aux insurgés et à 9 heures, 100 000 personnes se rassemblent sur la « Place de la Liberté », entonnant des chants patriotiques interdits. On trouve, au sein de cette immense mêlée, des ouvriers bien sûr, mais aussi des étudiants, des fonctionnaires, des lycéens et même des policiers ! Les manifestants réclament des élections libres ainsi que le départ des troupes soviétiques. A Varsovie, Edward Ochab, le nouveau secrétaire général du POUP, panique et autorise finalement le maréchal soviétique Konstantin Rokossovki à réprimer la manifestation par l'armée.

A 10 heures, le mouvement, initialement calme, prend la forme d'une insurrection : la prison de la ville est prise d'assaut et 250 prisonniers sont libérés. Puis les manifestants s'attaquent au bâtiment du comité de Voïvodie (province) de Pozna?, mettent à sac la station de brouillage radio et le palais de justice de la ville. Débordée par l'ampleur du mouvement, la Milice (la police) est incapable de réagir et finit par être désarmée par les insurgés.
En milieu de journée, les autorités parviennent finalement à mobiliser les miliciens, qui sont équipés de quelques chars. Ochab, à Varsovie, les a autorisés à tirer sur la foule. A 13 heures, les premiers coups de feu éclatent. Des manifestants s'effondrent, des magasins sont pillés, des barricades sont bâties.

A partir de 16 heures, 10 000 soldats investissent la ville. Le général de l'Armée Rouge leur ordonne de mater la révolte et les blindés prennent position dans les rues de la ville. La lutte devient très vite inégale. Les affrontements se poursuivent toutefois durant encore 2 jours et les derniers îlots de résistance tombent le samedi 30 mai 1956.

Le Soulèvement de Pozna? est finalement écrasé, il s'achève dans un bain de sang : 66 civils ont perdu la vie, parmi lesquels un garçon de 13 ans, Roman Strza?kowski, qui marchait en tête de cortège : il deviendra par la suite le martyr et le héros de la ville. Toutes ces victimes seront enterrées dans une fosse commune. Les émeutes ont également fait 600 blessés et près de 700 ouvriers furent arrêtés et torturés par la police secrète, afin de leur faire déclarer que le soulèvement était une ?uvre des services de renseignements impérialistes des Etats-Unis et de la RFA.

Les conséquences du Soulèvement et la crise d'octobre 1956

Le Soulèvement de Pozna? va avoir d'importantes conséquences immédiates sur le POUP, et va entraîner des changements politiques. Malgré sa fin tragique, le peuple polonais s'était enfin exprimé après avoir été trop longtemps ignoré durant la tyrannie de Bierut. L'écho du Soulèvement va également traverser les frontières du Pacte de Varsovie et aura un retentissement sans précédent en Hongrie, ce qui entraînera le Soulèvement de Budapest en octobre.

En Pologne, la contestation contre le pouvoir communiste s'étend pendant l'été à tout le pays et les rassemblements étudiants se multiplient dans les grandes villes. Au cours du mois d'octobre, la menace d'une intervention soviétique en Pologne semble très proche. Le pouvoir soviétique n'accorde aucune confiance en Edward Ochab et l'Armée Rouge se tient prête pour intervenir sur le sol polonais. Parallèlement, des milices ouvrières se forment dans les différentes usines de la capitale pour se préparer à résister en cas d'invasion. La parole anti-communiste se délie et même l'armée polonaise se retrouve secouée par cette grande vague patriotique.

Finalement, le POUP parvient à éviter un bain de sang en trouvant un accord avec Khrouchtchev. Le pragmatique Edward Ochab décide de s'effacer au profit de Wladyslaw Gomulka, qui devient le nouveau secrétaire général du POUP. Lors d'un discours sur la Place Defilad, devant 400 000 personnes, ce dernier parvient à contenir de justesse le bouillonnement antisoviétique du pays et à lancer la Pologne dans une vague de réforme, tout en réaffirmant son soutien inconditionnel à Moscou. Des mesures d'apaisement sont prises, les prisonniers politiques sont libérés et le maréchal soviétique Rokossovki est forcé de quitter la Pologne avec ses troupes de l'Armée Rouge. Cette résolution heureuse de l' « Octobre Polonais » contraste avec les événements de Budapest, où la décision d'Imre Nagy de rompre avec le pouvoir soviétique entraîne l'écrasement de l'insurrection de la ville et le massacre de 2 500 civils.

Mémoire interdite

Malgré la relative « libéralisation » du pouvoir avec le retour de Gomulka, les autorités communistes vont décider de baisser un « rideau de silence » sur les événements du 28 juin 1956. Pendant 25 ans, elles vont bloquer toutes les informations liées au Soulèvement de Pozna?. Le travail des historiens est rendu impossible et les anciens participants du « Jeudi Noir » sont réduits au silence. Toutefois, la mémoire va persister, cultivée chez les habitants de Pozna?. Le soulèvement de la ville, caché par la propagande communiste, devient une légende, un récit héroïque.
La question du Soulèvement de Pozna? réapparaît en 1980, lorsque le comité de Solidarno?? décide de construire un monument dans la ville en l'honneur des 66 victimes du massacre : un immense mémorial est érigé, constitué de 2 grandes croix liées entre elles.

En 2006, pour commémorer le 50ème anniversaire du Soulèvement, la Diète polonaise a fait du 28 juin une fête nationale, le « Jour du Souvenir de Juin 1956 à Pozna? ». 

Ludo Olivier (lepetitjournal.com/Varsovie)- Mardi 28 juin 2016

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Publié le 27 juin 2016, mis à jour le 28 juin 2016