Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

AMIS OU RIVAUX ? - Les relations complexes entre la Pologne et la Lituanie

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 21 juin 2016, mis à jour le 22 juin 2016

En 2010, l'hebdomadaire European Voice qualifiait les relations polono-lituaniennes comme les « pires en Europe ». Et force est de constater que celles-ci ne se sont guère améliorées jusqu'à aujourd'hui. Les deux pays entretiennent en effet des relations complexes, conséquence d'une longue histoire commune dont les lectures diffèrent à Vilnius et à Varsovie.

« Lituaniens soumis, agenouillez-vous devant vos maîtres polonais », disait la banderole déployée par des hooligans polonais lors d'un match de coupe d'Europe de football entre le Lech Pozna? (Pologne) et le Zalgiris Vilnius (Lituanie) il y a 3 ans. Quelques mois plus tard, lors d'un match entre la Lituanie et la Pologne dans la capitale lituanienne, l'hymne polonais était copieusement sifflé par les supporters locaux qui provoquèrent une bagarre en tribunes. Ces événements reflètent parfaitement les contentieux existant entre ces deux nations. Les deux peuples sont pourtant dotés d'une mémoire historique exacerbée et leurs démêlés actuels ont pour toile de fond un riche et long passé commun.

La République des Deux-Nations

L'histoire commune des deux Etats débute au XIVème siècle. La Pologne est alors un royaume stable et prospère. Bien plus étendue, mais moins peuplée, la Lituanie est une puissance émergente en Europe de l'Est qui s'étend de la Mer Baltique à la Mer Noire. Cependant, afin de lutter contre les attaques ininterrompues des Chevaliers Teutoniques au Nord et à l'Ouest, ces deux puissances signent l'Union de Krewo le 14 août 1385, par laquelle le grand-duc de Lituanie épouse la jeune reine de Pologne, fondant une union personnelle* entre deux Etats dirigés par un monarque commun de la dynastie des Jagellon. Paradoxalement, cette solution va renforcer l'influence polonaise en Lituanie, notamment à travers la conversion au catholicisme des Lituaniens (qui demeuraient païens) par les Polonais. Deux siècles plus tard, la Lituanie, mise en difficulté à la suite de guerres perdues contre la Russie d'Ivan le Terrible, demande de l'aide à la Pologne et signe avec elle l'Union de Lublin le 1er juillet 1569 : les deux Etats disparaissent pour ne plus former qu'une seule nation, la République des Deux-Nations (Rzeczpospolita), soit l'Etat le plus étendu de l'Europe du XVIème siècle, dirigé par une monarchie élective. Mais le roi s'installe à Varsovie et l'union est majoritairement dominée par les Polonais, plus nombreux. Peu à peu, l'aristocratie lituanienne se polonise et contribue par la même occasion à la marginalisation de la culture lituanienne. Au XVIIIème siècle, la République des Deux-Nations est partagée entre la Russie des Tsars, le Royaume de Prusse et l'Empire des Habsbourg : la Pologne et la Lituanie disparaissent des cartes européennes pour plus d'un siècle.

Conflits et solidarité durant le XXème siècle

Finalement, à l'issue de la Première Guerre mondiale, le Traité de Versailles (28 juin 1919) garantit le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et permet la renaissance de ces deux Etats. Mais, très vite, des contentieux apparaissent car les deux revendiquent Vilnius (ou Wilno en Polonais), capitale historique de la Lituanie mais peuplée quasiment uniquement de Polonais et de juifs. Finalement, au cours de l'automne 1920, le général polonais Lucjan Zeligowski envahit et annexe la partie orientale de la Lituanie, proclamant la création d'une « République de Lituanie Centrale » autour de Wilno, en vérité une république fantoche manipulée par la Pologne du Maréchal Pilsudski, qui l'annexe à son tour en 1922 malgré les protestations de la SDN. La « véritable » Lituanie, défaite par les armées polonaises et privée d'une partie de son territoire, doit se résoudre à former une petite république autour de sa capitale Kaunas qui restera indépendante jusqu'en 1940. Elle nourrit dès lors une grande frustration face à la perte de sa capitale historique, et une forte animosité à l'encontre de son voisin plus grand et plus puissant, dont il reste des relents encore aujourd'hui. Ainsi, une véritable guerre froide oppose les deux Etats jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.

La période communiste va finalement renforcer les liens entre les deux pays. Ce rapprochement est principalement dû aux relations qui se créent entre les mouvements Solidarnosc (solidarité) en Pologne et Sajudis (Mouvement) en Lituanie, mus tous deux par la contestation contre le communisme dans les années 80. En 1991, la Pologne est d'ailleurs le premier Etat à reconnaître la Lituanie. Mais, depuis cette date, les rapports entre les deux pays se sont largement dégradés.

Les raisons de cette dégradation sont multiples : tout d'abord, l'indépendance des deux pays en 1991 va faire éclater les vieilles ranc?urs qui opposent les deux peuples. Les Polonais critiquent, selon leurs termes, « l'ingratitude des Lituaniens à l'égard des Polonais qui leur ont tout apporté ». A l'inverse, les Lituaniens reprochent à leur puissant voisin l'arrogance et l'absence d'humilité dont il fait preuve. Ruslanas Ir?ikevi?us, rédacteur du quotidien anglophone The Lithuania Tribune  explique qu' « Autrefois, une communauté d'intérêts nous unissait à la Pologne : lutter contre les mêmes envahisseurs, se libérer du communisme, entrer dans l'OTAN et enfin dans l'Union. Puis, lorsque nous avons tout atteint, il a manqué un but, si ce n'est un ennemi commun. Il se trouve que nous sommes trop proches pour être amis. ».

La minorité polonaise de Lituanie, source de toutes les tensions entre les deux pays

Aujourd'hui, le principal contentieux entre les deux nations concerne la

situation de la minorité polonaise de Lituanie. Celle-ci représente 6,7% des 3 millions de Lituaniens, et elle se trouve principalement au sein de la ville de Vilnius et dans ses environs. Elle forme 19% de la population de la capitale lituanienne, et 61% de sa périphérie. Le gouvernement polonais considère que son homologue lituanien défavorise cette minorité : celui-ci a récemment promulgué une loi sur l'éducation, en 2011, qui impose que le nombre de matières enseignées en lituanien augmente dans les écoles polonaises de Lituanie et que l'enseignement en polonais soit réduit à quelques petites heures seulement. En outre, le ministère de l'Education s'emploie à ouvrir des écoles primaires lituaniennes dans les zones de peuplement polonais. La Pologne dit redouter qu'avec cette loi les jeunes Polonais soient « lituanisés » en l'espace d'une génération. Elle a aussi critiqué la décision du gouvernement lituanien de « lituaniser » également les noms polonais sur les passeports ainsi que son refus de rendre bilingue les signalisations routières dans la périphérie de Vilnius, majoritairement peuplée de Polonais.

La Lituanie se justifie en affirmant craindre, depuis quelques années, la réorientation de la politique extérieure d'une Pologne de plus en plus convaincue qu'elle doit jouer un grand rôle en Europe. Pour Gintaras Songalia, député de l'opposition, l'intérêt fort de Varsovie pour ce passé commun entre les deux nations est un danger pour la Lituanie : « La Pologne veut nous dominer culturellement. Encore maintenant, elle se sert de sa position dans l'Union pour ça : au Parlement européen, certains députés larmoient sur la situation de la minorité polonaise de Lituanie ». 

Ces dernières années, la tension n'a fait qu'augmenter à cause des dynamiques opposées des deux Etats : la Lituanie a massivement souffert de la crise économique tandis que la Pologne bénéficie d'un des taux de croissance les plus élevés de l'Union européenne. Toutefois, les deux pays ont récemment pu se rapprocher à la suite de la crise de Crimée, en se retrouvant dans le même camp, affirmant tous deux un soutien sans faille à Kiev par inquiétude d'une nouvelle montée en puissance de l'impérialisme russe. Finalement, c'est bien un ennemi commun qui, une fois de plus, tend à réunir de nouveau les deux pays.


* union personnelle : relation entre deux ou plusieurs entités politiques considérées comme des États souverains distincts, mais qui, en vertu d'une loi reconnue, ont une même personne pour chef d'État.

© Photos (de haut en bas):
Photographie n°1 : Célébration de l'annexion de Vilnius par la Pologne en 1922
Photographie n°2 : La République des Deux Nations en 1569
Photographie n°3 : Frontière entre la Pologne et la Lituanie
Photographie n°4 : Parlement lituanien
Photographie n°5 : La proportion de polonais dans les régions lituaniennes

Ludo Olivier (lepetitjournal.com/Varsovie)- Mercredi 22 juin 2016

Inscrivez-vous à notre newsletter gratuite !

Suivez-nous sur Facebook

 

lepetitjournal.com varsovie
Publié le 21 juin 2016, mis à jour le 22 juin 2016