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MACCABIADES – Onze bikers israéliens en road trip jusqu'à Berlin

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 21 juillet 2015, mis à jour le 22 juillet 2015

 Moteurs vrombissants, casques luisants et pneus gonflés : cet été, ils ont décidé de prendre la route. Mais ni Harley Davidson, ni route 66 : les 11 bikers isréaliens ont choisi un autre itinéraire, tout aussi mythique : celui qu'ont emprunté 11 Juifs en 1930 et 1931, quand ils ont sillonné l'Europe pour convaincre les sportifs de participer à la première édition des Maccabiades. Ces "Jeux Olympiques juifs" ont été créés pour fédérer la communauté, alors que l'antisémitisme menaçait dangereusement l'Europe et que les athlètes juifs étaient exclus des compétitions officielles.

(Presque) tous les bikers, devant le Musée de l'histoire des Juifs de Pologne à Varsovie

"La moto, c'est la liberté" souffle Hila Fenlon, 37 ans, l'une des 11 bikers qui participent au road trip de deux semaines entre Israël et Berlin. Sa famille, lituanienne, a été décimée comme beaucoup, durant l'Holocauste. Elle vit actuellement en Israël, "dans un minuscule village tout près de la bande de Gaza". Cette femme au sourire volontaire n'a pas seulement enfourché sa bécane pour se remémorer le passé, mais aussi pour parler du présent : "J'ai deux enfants. Presque tous les jours, on se fait tirer dessus par nos voisins. Où peut-on être en sécurité quand on est Juif aujourd'hui ?" se demande-t-elle. Hila dit faire en Europe un "voyage spirituel, pour promouvoir la paix".

Back to Berlin

Tolérance, ouverture, anti-racisme : c'est le but affiché de ce voyage à travers l'Europe. L'idée a été lancée par Catherine Lurie-Alt, une productrice de cinéma britannique, qui a fondé le projet "Back to Berlin". L'objectif ? Tourner un film documentaire qui recréerait l'épopée des 11 Juifs qui avaient parcouru l'Europe en moto dans les années 1930 afin de recruter des athlètes pour la tenue des premières "Maccabiades" de 1932.

"Back to Berlin" est donc un documentaire entre passé et présent, qui pose la question de la condition des Juifs à l'heure actuelle, dans un contexte de résurgence de l'antisémitisme, notamment en Europe.

Il ne s'agit pas seulement de rejouer le passé, 85 ans après. Les bikers israéliens transportent à l'arrière de leur moto la flamme olympique, de Tel Aviv à Berlin. Pour Catherine Lurie-Alt, c'est une sorte de revanche pour le peuple juif. En effet, la 14e édition des Maccabiades d'Europe se tiendra cette année pour la première fois en Allemagne dans un lieu hautement symbolique: le stade de Berlin. C'est l'endroit même d'où les sportifs juifs avaient été exclus en 1936, lors des Jeux Olympiques organisés à la gloire du IIIe Reich. C'est d'ailleurs pendant ces mêmes Jeux que Leni Riefenstahl avait réalisé son film célèbre commandé par la propagande nazie, Les Dieux du stade.
Hila Fenlon, 37 ans, veut prouver que la bécane n'est pas qu'une affaire d'hommes

Retour aux années 1930

Pour comprendre le projet de Catherine Lurie-Alt, il faut se souvenir du contexte de la création des premières Maccabiades. L'idée germe dans l'esprit du russe Yosef Yekutieli. Il propose en 1929 au président du Fonds national juif de créer des "Jeux Olympiques juifs". Mais il a besoin de l'accord des britanniques : le haut-commissaire en Palestine Sir Arthur Wauchope accepte à condition que les athlètes arabes et anglais puissent également participer.

C'est ainsi que les premières Maccabiades ont lieu à Tel-Aviv, au printemps 1932. 390 athlètes de 18 pays différents répondent présent. Il s'agit de fédérer la communauté juive, dans une Europe en plein chaos, et de montrer l'image d'un Juif athlétique et fort. C'est aussi un moyen d'échapper aux totalitarismes. Ainsi, certains sportifs "profitent des Maccabiades pour s'établir en Palestine mandataire alors même que les autorités britanniques limitent l'immigration juive", explique le Mémorial de la Shoah, qui consacrait en 2011-2012 une exposition sur le sport européen à l'épreuve du nazisme.

85 ans après, le remake

1930-2015 : presque un siècle s'est écoulé entre les deux générations de motards. Ceux du XXIe siècle roulent sur les traces de leurs ancêtres, mais le parcours original a été modifié, réalité géopolitique oblige. Les bikers sont partis d'Israël et chemineront jusqu'en Allemagne en traversant la Bulgarie, la Grèce, la Roumanie, la Serbie, la Hongrie, et la Pologne. Sur la route, ils parcourent les lieux emblématiques de l'histoire de leurs familles. L'étape polonaise est à cet égard un passage obligé. Après avoir visité le camp d'Auschwitz-Birkenau, les motards se sont arrêtés à Varsovie le week-end dernier, pour une visite approfondie du Musée de l'histoire des Juifs de Pologne.

La flamme olympique brille à l'arrière de cette moto en attendant Berlin

Un motard de presque 80 ans dans la course

Onze bikers israéliens se sont prêtés au jeu du projet documentaire "Back to Berlin". Yoram Maron, 78 ans, est le doyen de la bande. Sa s?ur, sa femme et son fils sont venus spécialement d'Israël pour le soutenir ; une équipe de pom-pom girls un peu particulière, pour un voyage sur les traces de leurs racines européennes.

Yoram Maron a une histoire presque incroyable, au sens littéral du terme, et pour cause : c'est l'un des derniers survivants de l'Holocauste. Il vivait en Pologne lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté. Quand il avait six ans, sa famille, de confession juive, a été déportée. Alors qu'il se trouvait dans un train "en aller simple" pour le camp d'extermination de Belzec, sa mère parvient à le jeter hors du wagon, et saute à son tour. "Parmi tous les passagers du train, personne à part nous n'a survécu", témoigne-t-il. "Ma mère connaissait un bunker où l'on pouvait se cacher dans le ghetto de Zloczow, dans l'actuelle Ukraine. On était 24 Juifs à vivre entassés là-dedans sans sortir, jusqu'à ce que l'Armée rouge nous délivre en juillet 1945." Quand il évoque sa mère, Yoram a les yeux humides. Emu, il se souvient de son courage, elle qui risquait sa vie toutes les nuits en-dehors du bunker, pour chercher de la nourriture pour tout le monde. C'est aussi pour elle qu'il fait ce voyage aujourd'hui, entouré de sa famille, qui a émigré en Israël en 1957.
Yoan Maron, entouré de ses fidèles supporters : sa femme, sa soeur, son fils

Les Maccabiades, une compétition sportive controversée

Berlin s'apprête à accueillir les quatorzièmes "Jeux olympiques juifs" européens, qui auront lieu du 27 juillet au 5 août. Quelques 2.000 sportifs juifs venus de plus de 36 pays différents sont attendus. Mais alors que les préparatifs se terminent, l'existence de cette compétition fait débat. En effet, que signifie une rencontre sportive confessionnelle aujourd'hui ? Ne va-t-elle pas à l'encontre du principe d'universalité du sport ? Certes, les Arabes israéliens de toutes confessions sont autorisés à participer aux Maccabiades, aux côtés des athlètes juifs venus du monde entier. Interrogée sur le sujet par Channel 5 Sports, Catherine Lurie-Alt rétorque : "Dans la diaspora où je vis, de nombreuses personnes cachent leur confession, alors qu'aux Maccabiades, tout le monde peut montrer sa fierté d'être Juif. Je pense aussi que ces Jeux sont primordiaux pour Israël." L'objectif de cette compétition n'est ainsi pas seulement sportif, mais bien politique. Les athlètes sont par exemple encouragés à faire leur "alyah", c'est-à-dire à émigrer en Israël. La communauté juive n'est cependant pas la seule à avoir sa propre compétition sportive : existent aussi les Jeux panarabes, les Gay games, ou encore les Jeux de la Francophonie?

Marie-Jeanne Delepaul (lepetitjournal.com/Varsovie) ? Mercredi 22 juillet 2015

Crédit photo : © Marie-Jeanne Delepaul

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Publié le 21 juillet 2015, mis à jour le 22 juillet 2015