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SOCIETE- Singapour connait sa plus grave émeute depuis 40 ans

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 9 décembre 2013, mis à jour le 11 décembre 2013

Et dire que tout a commencé par un tristement banal accident de la route. Hier soir vers 21h30, alors que les rues du charmant quartier de Little India étaient, comme chaque dimanche soir, remplies à craquer d'ouvriers indiens venus par millier profiter de leur unique soirée de détente, un homme, âgé de 33 ans, a été renversé et tué par un car.Les secours mettent 30 minutes à intervenir 

Selon certains observateurs, les secours ne sont intervenus que 30 minutes après l'accident. A leur arrivée, une foule déjà compacte de gens en colère ?ils seront 400 dans quelques minutes-. Quand leur compatriote est déclaré mort sur les lieux mêmes de l'accident, le ton monte. Sur les vidéos prises par les badauds avec leur téléphone portable et diffusées sur Youtube (l'une d'elles ayant comptabilisé ce matin 170.000 vues a été retirée en milieu de journée - ), on voit certains hommes lancer des poubelles sur le bus, taper sur ses vitres, jeter des bouteilles en verre sur les ambulanciers et les policiers anti-émeutes. Deux heures plus tard, le bilan semble incroyable : dix-huit blessés, dont dix policiers (sur les 300 déployés) et le chauffeur du car singapourien, cinq voitures de police endommagées dont deux littéralement retournées, une ambulance en feu et 27 ouvriers arrêtés. Ils risquent jusqu'à sept ans de prison et des coups de canne.

Le Premier ministre parle de "comportements criminels"

D'après la presse locale, il s'agit ni plus ni moins d'"une émeute", la plus grave survenue depuis 40 ans, précisément depuis les émeutes raciales de 1969 qui avaient opposé pendant sept jours, dans la foulée des tensions ethniques survenues en Malaisie, Chinois et Malais et fait 4 morts et 80 blessés

Le Premier ministre Lee Hsien Loong a déclaré, sans surprise : "Quels que soient les évènements à l'origine de l'émeute, il n'y a pas d'excuse pour des comportements aussi violents, destructeurs et criminels".   

Sur les blogs et les forums, les Singapouriens se montrent très virulents à l'égard de ces étrangers semeurs de troubles. Les critiques racistes se multiplient, cassant l'image d'un pays multiculturel où les différentes communautés vivent en harmonie. Sans jamais s'interroger sur les causes sous-jacentes d'une telle flambée de violences. Or elles existent certainement. 

Colère et frustrations

Comment un quartier de Singapour, ville réputée pour sa tranquillité absolue, a-t-il pu s'embraser aussi vite ? 

En réalité, il n'est guère étonnant que cette manifestation de violence soit survenue à Little India plutôt qu'à Arab Street ou Chinatown, deux autres quartiers ethniques. Les hommes qui s'y promènent le dimanche soir (ils n'y habitent pas, puisqu'ils vivent dans des dortoirs aménagés dans des préfabriqués à proximité des chantiers) sont originaires d'Inde ou du Bangladesh essentiellement ; ils travaillent 10 à 12 heures par jour sur les chantiers de construction de Singapour, dans la chaleur, l'humidité, le bruit et la poussière, gagnent en moyenne 2,50SGD$ de l'heure et n'ont qu'un seul jour de repos par semaine. Nous les voyons, tous les jours, avec leur moustache et leurs bottes jaunes, croisons rarement leur regard et ignorons tout de leurs conditions de vie. D'après les chiffres officiels datant de juin 2013, ils sont 306.000 à Singapour (+70% par rapport à 2007). 

Depuis vingt ans, le développement de la Cité-Etat repose en grande partie sur eux, main d'?uvre corvéable à merci, mal payée, parfois même non rémunérée pendant plusieurs mois, comme l'a illustrée la grève l'an dernier d'une centaine d'ouvriers à Tampines.

Ils font partie des rouages du pays, et contribuent à son essor -si le gouvernement veut 7 millions d'habitants en 2030, il faut bien construire des routes, des lignes de métro, des hôpitaux, des infrastructures, des centres commerciaux? !-. Mais ils bénéficient d'un statut à part. Comme le souligne Xiao Hongyu, rédacteur en chef de la Singapore Law Review en 2012 au sujet des travailleurs immigrés (incluant donc aussi les helpers essentiellement originaires des Philippines) : "Ce sont les membres invisibles de notre société : ils nettoient nos maisons, réparent nos routes, construisent nos centres commerciaux. Leur travail est souvent sous-estimé ou ignoré, leurs problèmes minimisés. Ils sont souvent privés de leurs droits (?). Mais ce sont des êtres humains" 

Et visiblement, malgré les risques encourus dans un pays qui abhorre la violence, le sang de certains de ces hommes n'a fait qu'un tour, hier soir, quand ils ont vu l'un des leurs écrasé par un car, privé d'aide pendant une demi-heure?

Repères :

En 2012, selon les chiffres du Ministère du Travail, il y avait 5,31 millions d'habitants à Singapour : 3,82 millions de citoyens et de résidents permanents, et 1,49 million de non-résidents. Parmi ces non-résidents, on comptait 13% de "foreign domestic workers". 

Au total, 40% de la population active de Singapour est étrangère. 

Selon le National Population and Talent Division, en 2011, Singapour avait besoin de 250 000 travailleurs étrangers dans le secteur de la construction et en aura besoin entre 250.000 et 300.000 d'ici 2030. 

Olivia Jenlis (www.lepetitjournal.com/singapour) lundi 9 décembre 2013 

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Publié le 9 décembre 2013, mis à jour le 11 décembre 2013

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