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EFFICACITE - Eloge de la procrastination

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 21 septembre 2016, mis à jour le 20 septembre 2016

C'est un mot très moche. Pas du genre qu'on sifflote le matin en partant au boulot  sur un air de Pink Martini : "aujourd'hui, je veux... procrastiner !". Cela vous a des airs de maladie honteuse, qu'on ne peut avouer sans bégayer. "Vous procrastiniez, répliquait la fourmi de la fable, j'en suis fort aise. Et bien bossez maintenant !" Et si c'était l'inverse ?

Qui a dit que La Fontaine était expert en management ou en efficacité personnelle? Il est temps de dire ce qui tient de la fable et de réhabiliter finalement les talents de chanteuse de la cigale. On a trop dit et l'on s'est trop complu à soutenir que le bonheur se gagnait seulement dans l'effort. Qu'il n'était pas d'activité respectable qui n'exigeât qu'on souffrisse. A croire que le plaisir est une paresse et que l'indice d'intensité ou d'efficacité du travail est inversement proportionnel au plaisir qu'on y prend. Ceux qui ont nommé procrastination cette propension à ne pas faire tout de suite ? voire jamais ? ce qu'on devrait, savaient ce qu'ils faisaient. La guerre à la "procrastination" fait le miel des spécialistes du développement personnel, maitres es gestion du temps et grands ordonnateurs des priorités.

La procrastination, cette indisciplinée

Il est vrai que la procrastination est indisciplinée. Comprimée lorsque l'environnement de travail est exigeant, elle ne demande qu'à s'échapper, jusqu'à prendre tout l'espace, quand les contraintes se font plus légères. Ceux et celles qui, partant en expatriation, ont laissé derrière eux une vie professionnelle intense, en font fréquemment l'expérience. Quand on voudrait travailler ou s'investir efficacement dans de nouvelles activités, ce sont les sollicitations multiples de la vie quotidienne qui vous submergent. On s'en plaint, on s'accuse, on se déprécie dans le regard de l'autre, sûr(e) d'avoir été démasqué(e). C'est que la procrastination n'a pas bonne presse. Elle est une paresse qui ne dit pas son nom, qui vibrionne dans de multiples activités sans valeur et s'affole de ne parvenir à rien réaliser.

Pour autant, condamner tout à trac cette absence de réactivité, n'est-ce pas faire à ceux et celles qui fonctionnent sur ce mode, le même procès que celui que l'on faisait hier aux gauchers ?  Celui de ne pas se conformer à une norme et de ne pas se soumettre au diktat de la majorité. Les procrastinateurs sont si convaincus qu'ils ont tort, qu'ils mésestiment ce que la procrastination leur apporte et la valeur qu'elle crée, certes de manière moins visible que ce qui sort, comme prévu, d'un processus bien huilé, mais de manière non moins efficace dans un ensemble de situations.

Ce que produit le procrastinateur est-il réellement sans valeur ?

Si on laisse de côté la procrastination qu'on nommera "pathologique", qui se traduit par une incapacité à faire même les choses les plus simples en les remettant systématiquement au lendemain, il reste de multiples manières de procrastiner qui sont autant de manières de gérer différemment son efficacité.

Revenons à la norme, celle qui nous instruit d'être actif et efficace et de fonctionner, dans le domaine familial comme sur le plan professionnel, en mode gestion de projet : un objectif smart et toute sa diligence pour le servir. La gestion méthodique de son temps a fait les choux gras des experts en management. Sélectionner parmi ses priorités celles qui sont le plus significatives, disent-ils, et concentrer d'abord son énergie sur celles-là avant de songer à s'occuper du reste. La bonne vieille règle du 80/20 a toujours autant de succès. Elle est la voix ? normale - de la raison.
Pourtant, la vie quotidienne comme la psycho-sociologie montrent que tous et toutes ne fonctionnent pas de la même manière. L'outil MBTI, très apprécié dans le monde professionnel, met en évidence, dans sa quatrième dimension, qu'on peut être plus "Jugement" ou davantage "Perception", c'est à dire organiser son travail en choisissant le chemin le plus court, de manière structurée et en anticipant au maximum les situations, ou à l'inverse privilégier le chemin des écoliers, garder les alternatives ouvertes et, comme le lièvre de la fable, mais avec plus de réussite, donner le coup de rein nécessaire pour terminer sur le fil ce qui était à faire.  
De nombreuses personnes s'épuisent dans leur recherche d'emploi parce que l'hyperactivité, parfois utile mais souvent peu productive, les rassure et leur permet de reproduire la norme professionnelle. Les organisations peuvent aussi tomber malades? de leurs objectifs : quand chacun se concentre sur sa feuille de route et n'est plus disponible pour répondre aux questions quotidiennes ou résoudre les difficultés des équipes.

A l'inverse, il y a tant de choses que l'on fait parce que l'on n'a pas envie de faire autre chose. Le diktat des priorités met mal à l'aise vis à vis de ce qui n'en est pas. On consacre du temps à certaines activités puis on se reproche de n'avoir pas fait le reste, jusqu'à se persuader que sa journée n'a été qu'un immense gâchis de temps où l'on n'a rien produit mais, inexplicablement, toujours évité de faire ce que le matin on avait souligné d'un trait d'encre rouge sur la liste de ses priorités. Pourtant, cette présentation ou ces e-mails, pénibles eux-aussi, sur lesquels vous vous êtes concentré(e) parce que vous n'aviez pas envie de faire ces relances commerciales, à moins que ce soit l'inverse, ne sont-ils pas des réalisations concrètes nées directement d'une certaine propension à procrastiner?

Ne pas être dupe

Bonne ou mauvaise ? On l'a dit, la procrastination peut être comme une immense fatigue, qui pousse à l'inactivité. Dans ce cas la procrastination ne débouche sur rien. Mieux vaut s'attacher ? pourquoi pas avec un coach ? ? à reconstruire un cadre plus énergique et dynamisant. Il y a aussi des formes de procrastination qui sont éminemment positives et créatives. C'est affaire de mesure. Il s'agit de ne pas être dupe de soi-même : savoir ce qui vous convient et situer la limite entre le vagabondage productif et la paresse systématique.
D'ailleurs, pour être juste, ne faudrait-il pas rappeler encore que, procrastination ou pas, tout reste fonction de l'objectif.  Ainsi ceux et celles qui ayant un projet personnel repoussent sans cesse le moment de consacrer à cet objectif le temps nécessaire au motif que leurs "priorités" professionnelles les en empêchent. Ces personnes ne font-elle pas, alors, preuve de procrastination ? remettant sans cesse à demain le temps du recul, du plaisir et de la réflexion ? en dépit ou, précisément, à cause de leur hyper-activité professionnelle ?

Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) jeudi 22 septembre 2016 (reprise d'un article publié en mars 2014)

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Publié le 21 septembre 2016, mis à jour le 20 septembre 2016

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