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CLAUDE MOLLARD – Chaque photographie d’Origène est un cri pour la Nature

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 3 juillet 2014, mis à jour le 4 juillet 2014

Claude Mollard fait partie des personnalités qui, au cours des 30 dernières années, ont contribué à faire vivre et transformer en profondeur le paysage culturel Français. Haut fonctionnaire, spécialiste de l'ingénierie culturelle et de la diffusion pédagogique, celui qui est actuellement le conseiller de Jack Lang à la tête de l'Institut du Monde Arabe à Paris, après l'avoir accompagné au ministère de l'Education Nationale et au ministère de la Culture, est aussi écrivain, artiste… et passionné du jardin botanique de Singapour. C'est à ces derniers titres que nous l'avons rencontré, à l'occasion d'une exposition de ses photographies d'"Origènes" à Singapour

Exposition les origenes claude Mollard Galerie Visionairs
C'est la 4ème visite de Claude Mollard à Singapour. La dernière visite, en janvier 2014, avec Jack Lang, avait été l'occasion de poursuivre les contacts avec le ministère de la culture à Singapour sur plusieurs projets de partenariats culturels. Elle a aussi fourni à Claude Mollard l'opportunité de se livrer, dans le jardin botanique de Singapour, à l'une de ses grandes passions : repérer dans la nature ces "Origènes", formes humaines dessinées par la végétation, la terre, la roche et le temps ; traces éphémères ou permanentes d'un rapport secret entre la nature et l'homme.

Dans ce cas, Claude Mollard, le Conseiller-Maitre honoraire à la Cour des comptes, qui a présidé notamment au développement du Centre Pompidou ou du Centre de documentation pédagogique (CNRDP), se mue en photographe-shaman, repérant dans la Nature cette multitude de visages et de regards.

L'exposition de vos photographies s'intitule "les Origènes du jardin botanique de Singapour". Que sont ces "Origènes" ?
Claude Mollard – Les Origènes.  Ce sont les esprits de la nature. Ils renvoient à l'être des origines. Les Origènes sont les traces humaines dans la Nature. La nature est humanisée parce qu'elle a produit l'homme. En même temps les Origènes rappellent la Nature au souvenir de l'homme. Ils lui disent que s'il méprise la nature, c'est lui qui finira par disparaître. Ma démarche rejoint les pratiques des peuples primitifs et celles des shamans pour qui chaque plante a un esprit. Mon travail sur les Origènes consiste à capter des visages étranges, des images… et à montrer comment, à travers cette beauté, on dispose d'un trésor. Chaque photographie d'Origène est un cri pour la Nature.

Il y a donc, dans votre travail, une dimension d'engagement pour la Nature ?
– Je viens d'écrire, avec Frans Krajcberg, le nouveau manifeste du naturalisme intégral. Il s'inspire du manifeste qu'avaient réalisé Pierre Restany et Frans Krajcberg en 1978 à l'issue d'un voyage sur le Rio Negro. Dans ce manifeste, ils enjoignaient les artistes, devenus essentiellement citadins, de ne jamais perdre de vue la Nature.
La Nature est d'une très grande créativité. Il n'y a pas de forme qu'elle n'ait inventée. Leonard de Vinci trouvait son inspiration dans la Nature. Les artistes ne créent rien vraiment. Ils ne font que reproduire. Le nouveau manifeste insiste sur la dégradation de la nature.

Où trouve-t-on les Origènes ?
– Des lieux sont plus puissants que d'autres. Quand on compare le jardin botanique à Gardens by the bay, l'un est pluri-centenaire, l'autre n'a que quelques années. On voit bien que les choses anciennes sont plus riches que les plus récentes. Un vieil arbre a des rides. Ce sont ces rides, la mousse, le travail des insectes sur l'écorce, qui font sa beauté. Dans cette photo que j'appelle "Big Chief" ou dans celle du "dragon la bouche ouverte", il y a des nervures, des cassures….
J'affectionne particulièrement les jardins botaniques. Ce sont des conservatoires . C'est là que je trouve les plus beaux spécimens d'Origènes. Outre Singapour, j'ai réalisé des travaux sur les Origènes des jardins botaniques de Lisbonne et de Rio.

L'espace urbain, avec ce que vous avez appelé "les graphogènes", semble être une autre source d'inspiration ?
– Mon approche fondamentale, c'est la nature. Mais comme le disait Victor Hugo – "Tout vit, tout est plein d'âme" – chaque lieu a son âme. En ce qui concerne les graphogènes, je suis parti de la question suivante : quelle est l'esprit de Berlin, de Rome, de Paris… ? A Lille, j'ai fait, pour une exposition, le portrait de la ville en photographiant les portes d'entrées, les briques, le pavé. Dans les graffitis, sur les murs de la ville, j'ai repéré des visages. J'ai introduit deux photos de "graphogènes" parmi les 22 photos présentées. La question revient quand je photographie les graphogènes à Berlin, Paris, Rome, Rio ou Salvador de Bahia : comment l'esprit des villes s'inscrit-il sur les murs ?

Par ailleurs, les grafeurs en général n'ont pas de nom. Ils ne signent pas, ils restent souvent anonymes. Mon travail de repérage des graphogènes à une vertu identificatrice. A travers ses "graphogènes", Berlin paraît déchiré, griffé. A Rome, les graphogènes sont plus tendres. A Rio ils sont plein de vivacité. Est-ce une projection de mon imagination ? En même temps je ne fais que prendre en photo ce que je vois. Il y a un vrai matérialisme de la ville. Moi, j'essaye de rester neutre, objectif.

Dans quel état d'esprit êtes-vous lorsque vous partez "à la chasse aux Origènes" ?
– Je suis, quand je prend des photos d'Origènes, dans une sorte de transe.  Je me laisse imprégner. Parfois il ne se passe rien. Tout d'un coup, il se passe quelque chose. Alors les choses s'accélèrent. Dans ces moments là je peux prendre 30 photos en 1 mn. Les visages m'assaillent. Photographier les esprits c'est comme les libérer
C'est une énergie, un état qui se crée. Mon père était radiesthésiste. J'ai une sorte de capacité, que je cultive, à rencontrer ces énergies. L'artiste est toujours un peu shaman. J'ai fait un jour un reportage au Pérou, à Cuzco, avec un Shaman qui célébrait la déesse Terre. Je lui avais demandé si je pouvais faire des photos. Au fur et à mesure de la cérémonie, je voyais des origènes partout. Il m'a dit : tu es un shaman !

Parfois je suis surpris au moment du tirage. C'est pourquoi je prends souvent 3-4 photos de chaque sujet. Le triptyque a été une grande et bonne surprise quand, à partir d'un même sujet j'ai vu apparaître un origène sous différents angles.  Pour le dragon, j'ai du prendre 12 à 15 photos. Je savais qu'il y avait ce visage de dragon et je ne parvenais pas à le prendre.

Votre travail sur les "Origènes" est aussi une réflexion sur les origines de l'homme et la naissance de la culture

– Je fais un travail sur l'origine de l'homme à partir de la vision. Lorsque j'étais directeur du CNRDP, j'étais très sensible à la dimension pédagogique. Les enfants ont besoin d'images pour nommer. Pour dire : ça ressemble à, mais ce n'est pas tout à fait... C'est ce qu'a fait le grand singe il y a 500.000 ans. Il y a des travaux scientifiques qui portent sur la région du cerveau qui reconnaît le visage. Ma théorie est que le grand singe, quand il a commencé à reconnaître "que cela est ou que cela n'est pas", l'a fait à partir d'une image et qu'il a ainsi donné un nom à cette image. C'est l'origine du totémisme. C'est à travers la reconnaissance d'un être dans une chose qu'on va apprendre à parler. Quand l'homme commence à créer des images pour exprimer des concepts, il marque la naissance de l'art.

Quel regard portez-vous sur Singapour ?
– A Singapour, c'est surtout le coté cité-verte qui m'intéresse. Il y a beaucoup d'arbres et ce ne sont pas n'importe quels arbres. Ils ont une esthétique très forte. A venise j'ai pris essentiellement en photo le reflet des bateaux sur l'eau des canaux. Chaque ville a son lieu. Quand je vais au Jardin Botanique, j'apprécie particulièrement le jardin des orchidées. J'exploite cette découverte. De même qu'il faudra que je retourne à Yangzhou pour ses rochers calcaires.

Propos recueillis par Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) vendredi 4 juillet 2014

"Les Origènes du Jardin botanique de Singapour"-  Exposition des photographies de Claude Mollard, du 17 juin au 20 juillet, à la galerie Visionairs, 63 Spottiswoode Park Road Singapore 088651


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Publié le 3 juillet 2014, mis à jour le 4 juillet 2014

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