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Y aura-t-il un vaccin à Noël au Brésil ?

Vaccin noel bresilVaccin noel bresil
Écrit par Guillaume Thieriot
Publié le 29 octobre 2020, mis à jour le 30 octobre 2020

Au Brésil, pays durement touché par la Covid-19, les tests des quatre vaccins autorisés laissent espérer un immunisant à brève échéance. Mais les jeux politiques continuent de flouter l’avenir.

Les images sont trop récentes pour être oubliées. C’était au mois de mai dernier, ces alignements de tombes creusées à la hâte pour enterrer les morts du coronavirus, jusqu’à la construction de cimetières verticaux, solution ultime au manque de place. Le monde regardait alors médusé le géant d’Amérique du Sud se débattre face au virus, sans stratégie cohérente au plan national, avec des pouvoirs locaux qui tentaient d’organiser des sortes de confinement, aussitôt fustigés par le chef de l’État, négationniste patenté.

On aurait pu espérer que, face à la brutalité des chiffres de cette première vague (toujours en cours), la perspective d’un vaccin n’adoucisse les mœurs politiques et ne fasse souffler un esprit consensuel, au nom de l’intérêt général et de la santé de la population.

Las, les derniers jours ont montré que la Covid-19 était encore et toujours un sujet polémique au Brésil, susceptible de crisper toute la classe politique en quelques tweets (ou tuítes, comme on l’écrit ici).

Quatre vaccins en course

Pourtant, les raisons d’espérer ne manquent pas. Car si le Brésil est durement frappé par la pandémie, il est aussi très actif sur le front de la recherche, avec quatre vaccins testés sur son sol. L’agence nationale de surveillance sanitaire (ANVISA) a en effet autorisé le passage à la phase 3, la phase clinique, pour le vaccin du chinois Sinovac, conçu en partenariat avec l’Institut Butantan de São Paulo, celui de l’Université Oxford conçu avec l’entreprise pharmaceutique anglo-suédoise Astrazeneca et la Fondation brésilienne Oswaldo Cruz, celui du groupe Pfizer-Wyeth, et enfin celui de la société Johnson & Johnson.

A ce stade, c’est le vaccin sino-brésilien Corona-Vac qui tient la corde. Les premiers résultats sont en effet plutôt encourageants avec de bonnes réponses immunitaires et seulement 35% d’effets indésirables mineurs sur les 9000 premiers patients testés au Brésil (en plus des 50.000 Chinois testés). Les chercheurs chinois et ceux du Butantan ont privilégié une méthodologie classique, en travaillant sur un virus désactivé pour produire un vaccin analogue à celui utilisé contre la grippe.

Le gouverneur trop pressé

Cependant, si l’espoir fait vivre, il fait aussi courir les politiques pressés de tirer profit des avancées scientifiques. Ainsi, en septembre dernier, le gouverneur de São Paulo, João Doria, a signé en grande pompe un accord avec le laboratoire chinois prévoyant la livraison au Brésil de 46 millions de doses du vaccin prometteur avant la fin de l’année, plus un transfert de technologie au Butantan pour la production sur place. En soi, la méthode n’a rien de choquant. Dans les pays riches, on « réserve » déjà des doses en nombre, même sans assurance absolue quant à l’efficacité des vaccins. L’heure est aux pré-ventes en aveugle pour des impératifs de santé publique ; ce qui vaut ailleurs peut être admis ici.

Mais la hâte du gouverneur de São Paulo, qui s'est également engagé sur la date du 15 décembre pour commencer à vacciner la population, apparaît aussi comme celle d’un probable prétendant à la prochaine élection présidentielle qui aura lieu en octobre 2022. Car nul doute qu’une réussite du vaccin sino-brésilien, avec l’institut Butantan de São Paulo en première ligne, et la pro-activité du gouverneur contrastant avec les dénis du président de la République, servirait celui-là contre celui-ci.

Présidentielle en vue et anti-communisme viscéral

Il n’en faut alors pas plus pour crisper un Bolsonaro déjà tendu à l’extrême à la seule évocation de la Chine, par anti-communisme viscéral. Son premier ministre de la santé (on en est au troisième en moins de deux ans), Luiz Henrique Mandetta, profite de sa nouvelle liberté de parole pour rapporter quelques anecdotes du palais présidentiel, et comment par exemple on y traite l’ambassadeur chinois “d’agitateur communiste“.

Le président de la République a donc vu rouge (si on peut le dire ainsi) lorsque, au sortir d’une visioconférence concluante avec 23 autres gouverneurs et le ministre de la santé actuel (le général Eduardo Pazzuello), le gouverneur de São Paulo a annoncé l’accord pour un financement fédéral des vaccins achetés au laboratoire chinois Sinovac.

Dans un numéro martial qu’il affectionne et rejoue régulièrement, Bolsonaro a clamé moins de 24 heures plus tard sur les réseaux sociaux: “le président c’est moi ! je n’abandonne pas mon pouvoir !“. Sitôt dit sitôt fait, il a annulé la décision de son ministre, qu’il a forcé à se désavouer, arguant que lui-même ne prendrait pas un produit chinois, par définition suspect. Depuis, la polémique va bon train, entre les partisans du président et ceux du gouverneur Doria, avec au milieu des professionnels de santé interloqués qui n'aimeraient qu'une chose : que l’on ne se soucie que de l’efficacité des vaccins actuellement testés.

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Le gouverneur de São Paulo João Doria (à g.) et le président Jaïr Bolsonaro (à d.). Alliés hier, désormais rivaux.

Le vaccin sera-t-il obligatoire ?

Dans cette perspective, un pas de plus a été fait dans le sens du vaccin chinois Corona-Vac, avec l’autorisation délivrée hier par l’ANVISA pour l’importation au Brésil des produits nécessaires à sa production. Preuve de plus, après les déclarations récentes du directeur de l’Institut Butantan, Dima Covas (aucun lien de parenté avec l’actuel maire de São Paulo, Bruno Covas, petit-fils de l’ancien gouverneur Mario Covas et membre du même parti que le gouverneur Doria, le PSDB Parti social-démocrate du Brésil - NDLR), que ce vaccin est regardé comme prometteur, avec une très forte probabilité de succès, au moins comme un premier vaccin permettant de bloquer l’épidémie, en attendant des versions plus efficaces.

Alors oui ou non, y aura-t-il un vaccin à Noël au Brésil ? Le gouverneur de l’État de São Paulo s’est lui-même montré plus prudent dans ses dernières déclarations, évoquant le début de l’année 2021, échéance que de nombreux professionnels jugent cependant encore prématurée, tant que l’on n’est pas parvenu au seuil de 13.000 tests dans le pays.

De surcroît, une nouvelle polémique a embrayé sur la première, sur la question cette fois, non plus de la nationalité du vaccin, mais de son caractère obligatoire ou non. D’un côté, toujours le gouverneur de São Paulo, favorable à un vaccin obligatoire, de l’autre un président de la République farouchement contre. Entre les deux, les députés cherchent à concilier les points de vue, pour éviter qu’in fine, ce ne soit le pouvoir judiciaire (le tribunal suprême fédéral) qui tranche, montrant une fois de plus l’incurie de l’exécutif et du législatif. Ce qui est cependant certain, comme le réaffirment médecins et spécialistes, c’est la nécessité de vacciner une proportion conséquente de la population (de l’ordre de 80%) si l’on veut atteindre la fameuse immunité de groupe.

Le Brésil est aujourd’hui le sixième pays le plus touché au monde par l’épidémie de Covid-19 (en nombre de morts pour 1 million d’habitants). Hier, 28 octobre, le nombre total de morts au Brésil du fait de la Covid-19 était de 158.468 personnes. Si le nombre de décès en 24h continue de diminuer (487 hier), la moyenne quotidienne des nouvelles contaminations, elle, repart à la hausse (24.158, soit +20% sur les 14 derniers jours).

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