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BENOIT GREAN - "Le sens de tout le livre est travaillé, comme une partition musicale"

Écrit par Lepetitjournal Rome
Publié le 6 janvier 2016, mis à jour le 6 janvier 2016

Benoît Gréan est installé à Rome depuis plusieurs années. La rédaction l'a rencontré, pour parler de son parcours, de son oeuvre, de l'influence de Rome et de sa perception de la ville éternelle. En effet, la préface de son recueil de poèmes « Monstres tièdes » mentionne : « Le lieu c'est d'abord Rome, ville hantée par le temps cruellement irrévocable et joyeusement fluide, où l'avenir et l'avenu se rejoignent quand fleurit l'instant sur fond de mort ? » 

Lepetitjournal.com/Rome : Votre biographie mentionne : « Benoît Gréan, poète, voyage lentement ». Pouvez-vous nous expliquer cette formulation ? Est-elle liée à votre parcours ?

Benoît Gréan : J'arrive de New York où j'ai vécu pendant 9 ans, puis un poste d'enseignant s'est libéré à Rome. Je souhaitais revenir en Europe, et Rome est une belle destination, l'une des « Caput Mundi ». En effet, quand je vis dans un pays, je souhaite m'y ancrer, y vivre, y travailler. Rome est un voyage dans le temps plutôt que dans l'espace.

En 1994 lors de la transition New-York-Rome, je me suis arrêté à Strasbourg; le matin, sur la table du petit déjeuner, alors que je feuilletais « Extinction » deThomas Bernhard, je suis tombé au hasard sur la phrase : « Il n'y a que deux villes vivables au monde, New York et Rome ». Quelques années plus tard, j'ai d'ailleurs repris le titre « Extinctions » au pluriel pour le 2ème volet d'une trilogie.

Où-vous choisi d'habiter à Rome ?

Je vis dans une maison du quartier de Trastevere, entre le chêne du Tasse (quercia del Tasso) et l'emplacement de la maison natale de Guillaume Apollinaire (qui a vécu à Rome jusqu'à l'âge de 5 ans).

Vous avez commencé à publier à Rome ?

En effet. J'ai vécu à New-York, la ville où l'on ne dort jamais, entre 20 et 30 ans. J'étais à l'affût de tout ce qui était en train de se créer, je n'avais pas de temps mais j'engrangeais, j'accumulais. A Rome, il est possible de vivre en retrait, plus lentement avec une intensité égale. On y trouve ainsi le détachement propice à la concentration et à la création propre. Ce que j'ai accumulé à New York a resurgi pendant ces années à Rome.

Rome vous a inspiré ?

Bien sûr, d'abord parce que Rome correspond à ma formation de Lettres Classiques. On s'y sent plus proche de poètes comme Martial, Catulle, des poètes auteurs d'épigrammes, des formules brèves et intenses.

Comme les haïkus japonais ?

C'est un peu différent, le haïku n'est pas dans la satire, c'est l'évocation d'un instant, il joue sur l'émotion. L'épigramme en revanche peut être parfois satirique. C'est une pierre lancée, avec une intention ?

Quelles sont les autres villes où vous auriez pu choisir de vivre ?

Je suis resté à Rome, j'avais songé à l'Inde et au Japon. Rome est extrêmement commode, on y est bien. Je vis au centre, je marche beaucoup. D'ailleurs, j'écris souvent en marchant. Le rythme de la marche est celui de la poésie.

Quels sont vos endroits préférés ?

Trastevere, le centre, me perdre dans les banlieues comme si j'étais dans une autre ville, même si les banlieues de Pasolini ont perdu leur saveur. J'aime la proximité de la mer et de la montagne. Il y a de très jolies plages au sud, Sperlonga, des marches dans les Abbruzzes, je me suis encore baigné il y a peu sous la montagne de Circé.

Est-ce que vous voyagez en dehors de l'Italie ?

Mes déplacements sont surtout liés au travail, pour des lectures, pour rencontrer des poètes. J'affectionne les collaborations à Paris, Athènes, Berlin. Je devais aller à Kyoto au Japon, car mon texte « corps et riens » a servi de base au travail d'un compositeur italien et a été chanté par une cantatrice japonaise. Malheureusement la compagnie aérienne a fait grève et je n'ai pas pu prendre mon avion, mais les liens se feront un jour. C'est un vieux rêve que de s'établir quelque temps au Japon. J'ai eu dans le passé des échanges avec un étudiant japonais, qui m'enseignait la signification des idéogrammes.  J'ai ainsi appris que l'idéogramme de la mer était constitué de celui de l'eau et de celui de la mère. Marguerite Yourcenar, dans « Feux », traite du mot mer dans différentes langues et notamment de l'homophonie en français mer et mère. Je lui ai écrit alors via Gallimard pour lui dire que je venais d'apprendre qu'en japonais, on trouvait aussi une analogie mer et mère. Quinze jours plus tard, elle m'a répondu et confirmé que, depuis la publication de son livre, elle en avait pris connaissance et elle a signé son mot à l'encre turquoise ?

Parlez-moi de vos poèmes ? Comment faut-il les lire ?

Un livre de poésie peut se lire de multiples façons, au hasard ou comme un roman. Dans mes ouvrages, on trouve une succession de formules brèves, qui peuvent être prises individuellement, mais je suis très attentif à la composition du livre. Rien n'est choisi au hasard, le sens de tout le livre est travaillé, comme une partition musicale.

Vous avez aussi collaboré avec des artistes peintres ?

Nous avons, avec Luisa Gardini, qui est romaine, réalisé 6 ou 7 livres ensemble. J'ai aussi un nouveau recueil de poèmes « à » à paraître en décembre, qui est dédié à des artistes peintres dont Luisa et Caroline Coppey. 

Pour « Bleu jour », Caroline Coppey a composé une suite de 11 images, sur lesquelles j'ai travaillé et écrit 3 séries de 11 textes, en reprenant les voyelles de Rimbaud, a noir, e blanc, o bleu. Chaque poème correspond à une image.

Quels sont vos projets ?

J'aimerais trouver le temps de reprendre beaucoup d'écrits accumulés pendant ces années, et je continue à écrire. Les choses éclosent au bon moment sans vraiment les programmer.

Il y a également des projets de traduction, ou plutôt de transposition dans une autre langue. Dans ce cas, j'ai des contacts avec le traducteur, qui demande quel sens il doit privilégier. J'ai été traduit en grec, en allemand et en italien. « Monstres tièdes » par exemple a été publié en grec et en italien, sous forme d'ouvrage bilingue. Il a été adopté au département de traduction de l'Université d'Athènes, où j'ai été invité à rencontrer les étudiants. Certains sont d'ailleurs venus me serrer la main ou le bras, expliquant qu'ils étaient heureux de rencontrer un poète vivant !

Propos recueillis par Anne Debaillon (lepetitjournal.com de Rome) - Jeudi 7 janvier 2016.

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Publié le 6 janvier 2016, mis à jour le 6 janvier 2016

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