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HISTOIRE - Ulysses Heureaux, le "Pacificador de la Patria".

Écrit par Lepetitjournal République Dominicaine
Publié le 11 janvier 2017, mis à jour le 12 janvier 2017

 

Au cours de son passage au pouvoir, le président Simon Sam de la République voisine d'Haïti envoya une armée composée de 660 soldats ayant à sa tête dix généraux, pour combattre le général Heureaux, président de la République dominicaine. 

Une éternelle rivalité existait entre les deux pays. Le territoire pour lequel le président haïtien voulait se battre se trouvait au centre de l'île et était à l'époque  inhabité, quoique appartenant normalement à la République Dominicaine.

Ce pays n'a pas connu beaucoup de paix ; depuis des siècles les occupations se succédaient. Il appartînt à l'Espagne, à la France, à Haïti. Il a connu les occupations de l'Espagne à nouveau, une tentative d'annexion de la Colombie et une de l'Empire d'Haïti. La République a dû acquérir son indépendance à trois reprises tandis que sa voisine Haïti après son indépendance de la France resta indépendante depuis lors et n'a jamais été inquiétée par d'autres puissances. La guerre ne surviendra dans ce pays qu'entre ses nationaux qui s'entredéchirent à la première occasion.

Cependant, chose bizarre, ces deux pays formant l'île Quiskeya sont décrites par ceux qui les visitent comme le paradis sur terre et ce depuis l'époque de Christophe Colomb.

A la fin du dix-neuvième siècle, en République Dominicaine, une discipline de  fer était maintenue dans l'armée et dans la  petite Marine du Général Heureaux. Sur les places publiques des principales villes, les déserteurs étaient envoyés par groupes de deux ou trois pour être exécuter. Cela servait  de leçon aux survivants.

 

Ulysses Heureaux entouré de ses collaborateurs

 

Par contraste, Heureaux avait souvent recours à la diplomatie pour vaincre ses ennemis. A une occasion, arrivant dans la ville de La Vega, il nota des préparations pour une festivité dans la maison contiguë. Après enquête, il apprit que la fille du Général Lozano devait être mariée. Lozano était le défenseur en chef du Général Moya, son plus grand opposant. Comme il observait de son balcon, il vit une vieille femme monter vers le haut sur un cheval argent gris vif, ainsi que son escorte. Apprenant que c'était la mère de la jeune mariée, il appela son aide de camp, le Général Losoi, et dit :

 « Cherchez-moi un homme capable de commettre n'importe quel crime, du vol au meurtre. »  

Quand le desperado arriva, il l'instruisit : « Prenez le cheval de Señora Lozano et cachez-le là où même les moustiques ne pourraient le trouver. »

Le matin suivant quand la señora et sa suite furent sur le point de partir, son cheval avait disparu, et aucune monture appropriée ne pouvait être trouvée pour elle. Son mari l'attendait impatiemment dans la prochaine ville.

Alors, Heureaux  avança, descendit de cheval, et avec une révérence rapide présenta son propre superbe cheval noir et avec grandiloquence l'informa que dorénavant son cheval était à elle. La Señora s'y opposa, mais finalement accepta. Elle était immensément satisfaite de l'animal et impressionnée par la galanterie du Chef d'Etat. Plus tard, à son mari, elle confessa:

« Vous voyez comment le président est amical envers vous. »

Quelques jours plus tard, Heureaux était un invité au manoir de Lozano, et le mouvement du Général Moya, perdant son défenseur en chef, s'effondra.

 Les ressources de son esprit étaient égales à chaque occasion. Un jour, dérangé par le bruit d'une foule sous les fenêtres de son bureau, il apprit que c'étaient des boulangers, des cordonniers, des charpentiers, et d'autres artisans qui étaient venus se plaindre contre leurs patrons. Déclarant que c'était un complot d'un de ses ennemis, il  refusa de s'adresser à la foule. Il insistait sur le fait que les grèves d'ouvriers n'avaient  rien à voir avec son gouvernement. Enfin, il se laissa persuader de leur dire quelques mots. Apparaissant dehors sur le balcon, il souleva la main pour obtenir le silence et dit :

 « Messieurs, je vous promets que toutes vos justes demandes seront accordées. »

 Alors, il se tourna vers le Général Lolo, son Ministre de Police, qui était dans la cour en bas, et lui cria :

 « Prenez les noms de tous les célibataires. »

Il y eut un remue-ménage instantané. Pourquoi seulement les célibataires ? Un chuchotement se propagea dans l'assemblée et en un instant elle se dispersa. (À Santo Domingo la majorité des unions entre les sexes étaient de droit coutumier, et 60 pour cent de toutes les naissances étaient illégitimes. Il avait correctement deviné que la majorité des grévistes "vivaient dans le péché," et savait qu'ils craignaient que leurs noms ne fussent publiés.)

Heureaux a généralement prouvé qu'il pouvait tenir tête aux Européens, à qui il devait de l'argent ou à qui il avait vendu des concessions. Parfois ces derniers exigeaient des indemnités excessives pour de vraies ou d'imaginaires insultes. Ce qui était en grande partie responsables des déboires financiers de la République. Une fois, un négociant Danois exigeait $10.000 pour la prétendue violation d'un contrat, une fois averti par son consul qu'il serait chanceux d'obtenir plus de $40, il accepta rapidement  cette somme en règlement.

Heureaux évitait toutes les demandes, justes et injustes. La société hollandaise de Westendorf envoya un géant du nom de Den Tex Bond d'Amsterdam pour collecter une dette. Il  évitait l'énorme Hollandais jusqu'à ce qu'un jour celui-ci pût l'aborder, il écouta poliment, et alors passant ses doigts sur les épaules remplies de graisse de Bond, lui demanda avec nonchalance:

« Dites-moi, Señor Den Tex, combien pensez-vous que votre gouvernement paierait pour un cadavre de votre taille? »  Le Néerlandais partit sur le prochain bateau.

 La façon dont il dupa l'Espagne et aida la colonie de Cuba dans son combat pour l'indépendance est un classique en Amérique latine. Quand les Cubains envoyèrent une délégation pour lui demander une aide dans leur lutte pour  la liberté, Heureaux la reçut publiquement et annonça pompeusement que comme chef d'un état neutre, il ne pourrait  rien faire.

« Cuba, dit-il, est ma maîtresse, mais l'Espagne est mon épouse. »

Cependant après la réunion, il lui fit emmener l'un des délégués en privé :

« Je vous donnerai cinq cents fusils, cinquante mille cartouches, et deux mille dollars. Rappelez-vous, ceci est un cadeau d'Ulises Heureaux et quoi que vous fassiez, ne laissez jamais le président de Santo Domingo entendre parler de cela. »

Quand le consul espagnol lui apprit que le Général Rodriguez, un agent cubain, était sur le point de partir pour Cuba avec une cargaison d'armes et de munitions, il consentit tout de suite à aider à sa capture. Ayant secrètement averti le révolutionnaire cubain de partir par un autre port, il commanda à ses hommes de charger un autre navire avec des armes et des munitions; il fit marquer les caisses des initiales de Rodriguez et Co. L. (Cuba Libre); et demanda de mettre les voiles vers la destination originale de Rodriguez.

 

Général Emilio Nuñez Rodriguez compagnon de lutte du Général Máximo Gómez libérateurs de Cuba

 

Sur son canonnier à vapeur ayant à son bord le consul espagnol, il "captura" son propre bateau. Le diplomate espagnol envoya à Madrid un rapport chaleureux de l'affaire, et la reine régente d'Espagne lui accorda la Grande Croix d'Isabelle-la-Catholique en reconnaissance de l'acte, tandis que le maréchal Campos, commandant espagnol de Cuba, lui fit don d'un magnifique cheval arabe. Et pendant ce temps, les armes du général Rodriguez  décimaient les Espagnols.

Un contemporain du dictateur apprit à Marcus Garvey qui le relata, que Lilis eut toujours de la difficulté à joindre les deux bouts. Pour maintenir la loyauté et la fidélité  de ses centaines de chefs militaires, il était obligé de les payer royalement. Ses maîtresses étaient aussi une source importante de dépenses. Il en avait tellement que l'on disait généralement qu'il n'existait pas une seule ville dans toute la République qui ne se vantait pas de loger une de ses petites amies. Il leur achetait des robes de la dernière mode et des parfums venant de Paris. Quant à lui, tous ses vêtements étaient confectionnés à Bond Street à Londres. Les vins chers, les banquets somptueux, les chevaux de race, les cadeaux aux mendiants n'étaient qu'une partie des dépenses qui maintenaient vide le trésor national.

Incapable d'obtenir plus de prêts de l'étranger, il fit imprimer du papier-monnaie inconvertible. Pour aider à stabiliser l'économie, il fit percer toutes les pièces de monnaie étrangères rentrant dans le pays, réduisant de ce fait les chances de leur sortie de son territoire.

Garvey rapporte qu'une fois il eut de plus fortes pressions que d'habitude pour un remboursement,  alors il confisqua le coffre d'une banque européenne dans la ville de Santo Domingo. Le président de la banque, à qui il fit appel, avait refusé de prolonger sa ligne de crédit. Le conseil d'administration de la  banque envoya a Saint-Domingue, un émissaire pour enquête. Quand le délégué, qui plus tard deviendra un diplomate remarquable, arriva avec son épouse, Heureaux envoya un canonnier pour l'escorter dans le port.

 Avant que le comité de réception ne soit parti, il donna à  son Secrétaire d'état, qui était en charge ce jour-là, un magnifique bouquet avec un coûteux collier enroulé autour de la tige, avec les instructions suivantes :

« Quand vous présenterez ce bouquet, observez très étroitement les visages de Señor X et de son épouse. S'ils semblent heureux, livrez-le leur comme tel; s'ils ne le sont pas, dites-leur que le collier était simplement prévu comme support pour les fleurs et rapportez-le-moi. »

Le bouquet fut présenté intact, et il sût le calibre de l'homme avec qui il devait avoir affaire. Ce soir-là au cours d'un dîner somptueux, l'hôte aux manières impeccables n'eut aucune difficulté à  résoudre l'affaire de la banque pillée. Les délégués étrangers qui venaient pour le réprimander se ramollissaient habituellement sous le poids des cadeaux, des flatteries et du champagne.

 Il était tellement imbattable aux urnes que d'autres candidats désespéraient de l'affronter. Un de ses adversaires résuma correctement la situation, quand il dit :

 « Mes amis, cette République est fondée sur le suffrage libre et sans restriction de ses citoyens. C'est une prérogative du dominicain de voter pour qui il veut. Vous êtes donc libre de le faire pour moi, mais je ne serais certainement pas votre ami si je ne vous avertissais pas que ceux qui ne votent pas pour le Président Heureaux feraient mieux de laisser le pays. »

Cependant, il était extrêmement populaire dans les masses. Il captivait les femmes grâce à  ses grandes manières et il renvoyait le compliment en montrant de la déférence aux dames âgées. Un jour sur le chemin menant à Santiago, il apprit que deux de ses généraux, Patino et Espaillat, projetaient de le renverser et de l'assassiner. Les devançant, il les fit arrêter et rapidement condamnés à mort par une court martiale. L'exécution devait avoir lieu dans la soirée. A son arrivée à Santiago, il trouva la ville dans le deuil pleurant déjà la mort imminente de deux de ses citoyens les plus populaires.

Une délégation de francs-maçons locaux, dirigée par le père d'un de ces hommes condamnés, vint lui parler en leur faveur. Gravement poli, il leur fit savoir qu'il  en était un lui-même, mais qu'il était certain qu'ils seraient d'accord avec lui que le bien-être de l'état passait avant celui de la franc-maçonnerie. Un groupe de négociants vînt intercéder auprès de lui, suivi par un autre, composé des plus belles filles de  la ville. Il les félicita pour leur beauté, prononça de charmantes platitudes au sujet du beau sexe, mais restait impassible. Enfin vînt une vieille femme chancelante, Donna Eloisa Espaillat, mère du Général condamné qui essaya de se jeter à ses pieds. Il la rattrapa, et avant qu'elle ne put pousser un mot, vaillamment il dit :

« Señora, je ne pourrais rien vous refuser. Ils sont libres. » Tout le monde était heureux, la ville était en liesse, et Lilis devint le héros du jour.

 Comme tous les dictateurs, il ne manquait jamais une chance de montrer sa sollicitude envers les malades. Une fois arrivant dans un village, il trouva tout le monde dans la détresse la plus profonde devant la maladie soudaine d'une fillette, fille d'un notable du village le Señor Carite. Le docteur venant de loin, n'était pas encore arrivé. Lilis se dépêcha à la maison, toucha le front de l'enfant, et nota qu'elle  avait une fièvre. Réclamant de l'huile de noix de coco, de l'huile de ricin, et du miel, il en fit un mélange avec de la moutarde anglaise. Alors, il monta ses manches et commença à masser le corps de l'enfant avec cette mixture, en utilisant une brosse à chaussures. L'enfant paraissait maintenant très détendu : elle était morte.

À la stupéfaction des spectateurs, avec son calme grave, il remarqua: « Eh quoi! Si la fillette n'était pas morte, vous auriez vu comment marche un remède du tonnerre. »

Extrêmement pointilleux au sujet de l'étiquette, il n'a jamais manqué de noter des infractions commises par d'autres il avait sa propre méthode pour les corriger.

Une fois, dans l'antichambre de son palais, il vit un de ses lieutenants assis sur une chaise, l'inclinant paresseusement vers l'arrière. Appelant l'homme, il l'envoya à l'ébénisterie pour s'enquérir du prix d'une chaise semblable. Quand celui-ci revint avec le prix, il lui dit : « puisqu'elles sont si chères, je sais qu'à l'avenir vous ne les inclinerez plus contre le mur. »

Ce qui déconcertait le plus ses ennemis étaient sa courtoisie imperturbable et même dans des circonstances graves. Le jour de la St-André, il est de coutume chez les dominicains de se livrer à des polissonneries tels que vider des seaux d'eau sur des passants à partir de leurs fenêtres. Ils lançaient de l'eau à l'aide de seringues, ou lançaient des ?ufs remplis de parfum, et même des pierres ou des couteaux.

Lilis était sur le chemin menant à son bureau, accompagné comme d'habitude d'un seul préposé, quand quelques jeunes filles, d'un balcon, vidèrent un seau d'eau sur lui. Il fut trempé de la tête aux pieds. Pour rendre l'affaire plus grave, il avait ordonné auparavant  l'arrêt pur et simple de ce genre de chose. Cependant, il souleva son chapeau Panama et dit  poliment, "merci, mesdames," et continua son chemin aussi digne que d'habitude.

Quand il raconta l'incident à son cabinet, les ministres lui suggérèrent d'employer la force pour imposer son ordre. Comprenant que son ordre contre la fête avait échoué, il comprit tout de suite  le sentiment du peuple, et leur répondit :

« Messieurs, il faut ou tolérer ou réprimer la foule. Dans le dernier cas, les mitrailleuses sont les seules armes efficaces. Si vous suggérez cette solution, je manipulerai moi-même les armes, mais vous rappelez-vous la dernière interdiction que vous aviez commandée. Les gens en portent toujours le deuil. Je suis plutôt  pour l'idée de m'associer à la célébration. »

Le cabinet accepta et commandant une grande quantité de parfum, il était bientôt dans les rues aspergeant à droite et à gauche. Le jour de la Saint-André de cette année-là, fût le plus fou et le plus agréable de l'histoire de la République.

Malgré les divers complots et les innombrables tentatives d'assassinat, il semblait vivre une vie agréable. Un conspirateur, Jiménez, qui recevait l'appui et la considération des Etats-Unis, débarqua sur les côtes du pays. Il eut un certain succès pendant un temps, mais fût finalement vaincu et chercha refuge sur le sol britannique. Horacio Vasquez ami étroit de Jiménez, soutenu par Ramon Caceres, futur président, s'est avéré être le Némésis de Heureux.

Le complot de Vasquez se propagea à l'intérieur du pays à un moment où Heureaux commençait un de ses nombreux voyages. Juste avant d'atteindre la ville de Moca, les nouvelles lui parvinrent que Caceres projetait de le renverser et de le tuer. Arrivé à Moca, il donna l'ordre au Gouverneur d'arrêter Caceres, mais celui-ci avertit secrètement le futur président de se sauver. Sachant qu'il était un homme mort à moins qu'il ne le tue le premier, il  décida d'agir.

Heureaux parcourait la ville sans escorte, étant sûr que les conspirateurs n'oseraient jamais l'attaquer en pleines rues. Avant de laisser Moca, il se rendit au magasin du trésorier provincial, descendit de cheval, s'arrêta pour donner l'aumône à un mendiant, il rentra à l'intérieur. Quand il sortit, Caceres et ses hommes étaient là : ils ouvrirent le feu.

La première balle le heurta à la poitrine. Dégainant son revolver, il tira mais la mort mit un voile dans ses yeux  tandis que la balle continua vers le mendiant perforant son c?ur.   Après avoir complètement criblé son corps de balles, les conspirateurs remontèrent en selle et galopèrent au loin.

 

Le président Ramon Caceres sera assassiné à son tour en 1811

 

Le président Ulysse Heureaux fût enterré dans la cathédrale de Santo Domingo près de la tombe de Christophe Colomb et le peuple le pleura. Au moins, avait-il maintenu une ère de paix.

Les seize années qui suivirent sa mort (1900-1916) furent très troublées. Il y eut treize présidents, dont plusieurs furent assassinés. La paix ne fut restituée qu'à l'instauration de l'occupation américaine.

Plus tard, la législature dominicaine renommera un Pacificateur de la patrie, ainsi perpétuant le titre qui avait déjà été conféré à Heureaux : "Pacificador de la Patria."

Machiavel a dit que l'art de gouverner était de savoir comment extraire le miel sans déranger les abeilles. Dessalines, pour sa part, a dit que c'était de pouvoir plumer un poulet sans le faire caqueter. Mais Ulysse Heureaux, lui, a volé aux dominicains jusqu' aux duvets de la poule. Et il s'est arrangé pour qu'ils l'en remercient.

Extrait « Je suis dans la mêlée »

JCFL (www.lepetijournal.com/republique-dominicaine)

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Publié le 11 janvier 2017, mis à jour le 12 janvier 2017

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