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UN LIVRE, UNE HISTOIRE - Lettres persanes

Écrit par La Bouquinerie Le Liseron
Publié le 8 mai 2017, mis à jour le 1 mai 2017

Toutes les semaines, nous vous proposons, en partenariat avec La Bouquinerie Le Liseron, un ouvrage en rapport avec l'actualité, l'Océanie. Parce que les points de vue sont extrêmement diverses actuellement, actualités présidentielles obligent, la lecture des Lettres persanes de Montesquieu apparaît comme une lecture appropriée et un bon exercice intellectuel qui permettra peut-être de prendre du recul.

 

Déferlement d'actions, rebondissements en tout genre, suspens insoutenable, intrigue haletante. Voilà ce que tu ne trouveras pas dans les Lettres persanes, ami Liseron.

Cet ouvrage admirable s'il en est, déconcertera plus d'un plagiste best-sellerien.

Ici l'auteur met en scène une correspondance de voyageurs perses à travers l'Europe. Prétexte à toutes les satires de la société de son temps, Montesquieu, digne héritier de Lucien, passe au crible nos vices proprets, nos préjugés impartiaux, nos us et coutumes rempart contre la barbarie des sauvages de l'autre monde.

Il te faudra t'armer d'une attention aux subtilités les plus subtils, ami Liseron.

En effet, l'auteur Des lois, coupe les cheveux en quatre pour nous parler de la calvitie européenne sous ses onduleux postiches. C'est cela même qui rend sa lecture si délectable.

Admire par toi-même le génie de la langue du maître [lettre LIX] : « Il me semble, Usbek, que nous ne jugeons jamais des choses que par un retour secret que nous faisons sur nous-mêmes. Je ne suis pas surpris que les nègres peignent le diable d'une blancheur éblouissante et leurs dieux noirs comme du charbon ; que la Vénus de certains peuples ait des mamelles qui lui pendent jusques aux cuisses ; et qu'enfin tous les idolâtres aient représenté leurs dieux avec une figure humaine et leur aient fait part de toutes leurs inclinations. On a dit fort bien que, si les triangles faisaient un dieu, ils lui donneraient trois côtés.
Mon cher Usbek, quand je vois des hommes qui rampent sur un atome, c'est-à-dire la terre, qui n'est qu'un point de l'univers, se proposer directement pour modèles de la Providence, je ne sais comment accorder tant d'extravagance avec tant de petitesse. »

Comme le dit si bien mon ami matinal Laurent G, "Il avait juste à écrire, chacun voit midi à sa porte, tout est subjectif etc.. Oui Laurent "Il avait juste à écrire cela".

On lit et relit, frappé d'éblouissement, ces traits d'esprits exprimés avec tant de beauté :

« Le roi de France est le plus puissant prince de l'Europe. Il n'a point de mines d'or comme le roi d'Espagne son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu'il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n'ayant d'autres fonds que des titres d'honneur à vendre ; et, par un prodige de l'orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes équipées.
D'ailleurs ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l'esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut. S'il n'a qu'un million d'écus dans son trésor, et qu'il en ait besoin de deux, il n'a qu'à leur persuader qu'un écu en vaut deux, et ils le croient. S'il a une guerre difficile à soutenir, et qu'il n'ait point d'argent, il n'a qu'à leur mettre dans la tête qu'un morceau de papier est de l'argent, et ils en sont aussitôt convaincus. Il va même jusqu'à leur faire croire qu'il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant, tant est grande la force et la puissance qu'il a sur les esprits.
Ce que je te dis de ce prince ne doit pas t'étonner : il y a un autre magicien plus fort que lui, qui n'est pas moins maître de son esprit qu'il l'est lui-même de celui des autres. Ce magicien s'appelle le pape : tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu'un ; que le pain qu'on mange n'est pas du pain, ou que le vin qu'on boit n'est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce.[Lettre XXIV] »

Paul Valéry disait lui-même des Lettres : "Rien de plus élégant ne fut écrit. Le changement de goût, l'invention de moyens violents n'ont pas de prise sur ce livre parfait."

Ami Liseron, exténué par la littérature fast-food, je te convie au banquet de la gastronomie française, à l'exquise dentelle des mots, aux ravissements innombrables du palet des Lettres persanes.
 


 


 

La Bouquinerie Le Liseron
Publié le 8 mai 2017, mis à jour le 1 mai 2017

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