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FRANÇAIS OU ENGLISH - La dualité linguistique de Montréal

Écrit par Lepetitjournal Montreal
Publié le 13 août 2014, mis à jour le 8 février 2018

Le 31 juillet dernier, la loi 22 qui proclamait le français comme la langue officielle en administration publique, au travail, en affaires et en enseignement au Québec, fêtait ses 40 ans. Qu'en est-il de la dualité linguistique 4 décennies plus tard ? Malgré tous les projets de loi comme la Charte de la langue française (loi 101), elle continue de persister, surtout dans les villes les plus cosmopolites, comme Montréal. 

 

Manifestation pour le français seulement dans l'affichage et la langue de commerce. Crédit photo : Mathieu Breton

À l'époque de son adoption en 1974, le français prenait du recul au profit de la langue anglaise associée alors à la réussite professionnelle et sociale. De plus, le Québec avait reçu un important flot d'immigrants au cours des dernières décennies et ceux-ci dans la plupart des cas, choisissaient de s'intégrer à leur terre d'accueil dans la langue de Shakespeare au détriment de la langue de Molière. Ce phénomène menaçait le poids démographique francophone.

Robert Bourassa, alors premier ministre de la province, avait voulu assurer la prédominance de la langue parlée par la majorité francophone sur l'anglais. Cette juridiction promettait tout de même d'assurer les droits linguistiques de l'importante minorité anglophone.

 

La loi 22 et la loi 101 

En 1977, le gouvernement de René Lévesque jugeait que la loi 22 peinait à assurer pleinement les droits linguistiques de la majorité. C'est alors que la Charte de la langue française qui mettait encore plus de l'avant le français a été adoptée. Voici quelques dispositions initiales de la loi 101:

- La loi 22 précisait que les communications de l'Etat devaient se faire d'abord en français. La loi 101, tant qu'à elle, exige qu'elles se fassent entièrement en français. 

- La loi 22 stipulait que dans le cadre de leur exercice professionnel, les travailleurs avaient le droit de s'exprimer en français. Avec la loi 101, on y voit l'obligation d'un programme massif de francisation des entreprises de plus de 50 employés.

 Robert Bourassa et René Lévesque

- Les consommateurs sont tout d'abord informés et servis en français. Les produits se doivent de posséder des instructions en français.

- En vertu de la loi 22, seuls les enfants ayant une connaissance suffisante du français pouvaient fréquenter l'école anglaise peu importe leur origine ethnique ou linguistique. Dorénavant avec la loi 101, seuls ceux dont au moins un des parents ayant fait ses études primaires en anglais au Canada peuvent fréquenter le système scolaire anglais. Évidemment, les enfants d'immigrants et francophones ont l'obligation d'être éduqués en français. Les établissements post-secondaires (Cégep et université)  ne sont pas soumis à cette règlementation.

- L'affichage commercial se doit d'être produit uniquement en français. 

Les batailles juridiques

Au cours des années, la loi 101 a été amoindrie car elle minait le droit démocratique des individus à choisir entre le français et l'anglais, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Le recours au bilinguisme est une composante de la liberté d'expression promulguée par cette charte. 

Voici quelques exemples : 

- En 1979, la cour a ordonné le retour au bilinguisme pour les lois et les tribunaux.

- En 1993, la cour suprême a statué que l'anglais et les autres langues étaient tolérées mais les caractères en français se devaient d'être plus grands. Les noms propres ou marques de commerces ne sont pas touchés par cela mais il doit y avoir des caractères francophones dans l'affichage des produits. Sans être contrainte par cette loi, certaines franchises comme KFC (Kentucky Fried Chicken) changeront leur appellation pour se rapprocher des Québécois. Celle-ci deviendra PFK (Poulet Frit Kentucky).

- Depuis 2009, les francophones et immigrants peuvent accéder à l'école anglaise si cette dernière ne reçoit pas de subvention de l'Etat (école passerelle).

 

Les citoyens manifestent à Ottawa pour la protection de l'anglais au Québec.

Les tensions sociales

L'article sur l'admissibilité à l'enseignement en anglais a été très mal reçu auprès des immigrants. Pour beaucoup, l'anglais était vu comme une façon d'atteindre les hautes sphères de la société. 

St-Léonard est un arrondissement montréalais avec une importante population d'origine italienne. Avant que les lois 22 et 101 ne passent, cette population préférait généralement s'intégrer en anglais. Vers la fin des années 1960, des enfants se sont vus refuser l'accès à l'école anglaise. En conséquence, les contestataires ont envahi les rues et le tout a dégénéré en véritables émeutes faisant des dizaines de blessés et des dégâts matériels considérables. Plus de 500 policiers ont été appelés pour mettre fin aux tensions. Les affrontements entre civils et policiers ont été le théâtre d'une grande violence. 

Lorsque la loi 101 est arrivée, il n'y a pas eu les mêmes débordements mais il serait faux de prétendre qu'elle a été accueillie à bras ouverts.

''Quand mes parents sont arrivés à Montréal dans les années 60, ils croyaient qu'ils étaient au Canada, un pays bilingue. Ils ne savaient pas que le Québec était uniquement francophone. S'ils avaient voulu vivre en français seulement, ils auraient immigré en France. Ils avaient le rêve américain en tête et celui-ci devait se faire en anglais. Ils ont très mal réagi quand on les a obligés d'envoyer leurs enfants à l'école française. En grandissant, c'était très important pour eux que j'aille dans des camps d'été anglophones et dans un Cégep anglophone.'' nous raconte Michael, fils d'immigrants italiens.

Michael, aujourd'hui trentenaire, est, comme bien d'autres, un enfant de la loi 101. Celui-ci a fréquenté l'école française mais ses parents l'ont toujours encouragé à bien s'exprimer en anglais. Pour cette raison, ce dernier parle couramment 3 langues soit l'italien, le français et l'anglais. Sa situation est similaire à celle de beaucoup d'enfants d'immigrants. Ces derniers voient souvent le bilinguisme comme étant un gage de succès pour leur progéniture. Selon Statistiques Canada, en 2006, 46,2% des étudiants allophones choisissaient de compléter leurs études collégiales en français et 52,6% fréquentaient une université francophone. Les autres étudiaient en anglais, après le secondaire.

Certains anglophones comme Stuart, croient que la Charte de la langue française est anti-démocratique et contraire au bilinguisme canadien  :

''Même si j'ai grandi au Québec, je vais toujours me sentir Canadien avant d'être Québécois. En mettant l'accent seulement sur le français, je me sens comme un citoyen de seconde zone dans ma propre province, mais pas dans mon pays. Je crois qu'il y a eu de bons côtés avec la loi 101 puisque les francophones ont pu acquérir un pouvoir qui leur était avant refusé. Les francophones étaient les plus pauvres des pauvres. Ils étaient la majorité, mais ils ne détenaient aucun pouvoir. Aujourd'hui, ils nous font subir ce qu'on leur a fait subir depuis la conquête. Je parle français mais je ne serai jamais sur le même pied d'égalité que les francophones pour la simple et unique raison que je suis anglophone.'' 

Les francophones sont plutôt partagés sur l'idée. Bien qu'une majorité reconnait que le bilinguisme a des effets bénéfiques, ils sont heureux de pouvoir vivre, être instruits et servis dans leur langue. Certains individus, pour leur part, déplorent le recul du français au Québec par l'affaiblissement de la loi 101. Pour eux, c'est une atteinte aux droits de la majorité de vivre dans une société francophone.  

C'est dans ce but que la société de  Saint-Jean Baptiste de Montréal, un groupe nationaliste qui œuvre à la protection de la langue française, de l'histoire nationale des Québécois et de l'indépendance du Québec a initié une déclaration contre ce qu'ils appellent la francophobie.

On peut lire dans la déclaration ''Unis contre la Francophobie'': ''Le fait de défendre la langue et la culture françaises a été taxé de fermeture d’esprit, de repli culturel et de passéisme. Pourtant, avoir une langue et une culture commune est un facteur d’inclusion de tous les citoyens à une société d’accueil. Il existe des lois linguistiques partout dans le monde, soit dans quelque 190 États et 110 pays, dont le Canada et les États-Unis. Pourquoi le Québec ferait-il exception à la règle?''

Qu'en est-il en 2014?

La dualité linguistique rend très peu de gens indifférents. Toutefois, en dépit de quelques mésententes sur la question, Montréal demeure une ville où règne la paix sociale et cela, avec le bilinguisme.

En 2006, sur l'Île de Montréal, 54,7% des francophones pouvaient s'exprimer couramment dans les 2 langues officielles du Canada contre 68,6% des anglophones, et 51,0% des immigrants. Les statistiques rapportent que le bilinguisme est moins élevé à l'extérieur de la métropole puisque les populations sont peu confrontées à la dualité linguistique et au multiculturalisme.

Vitrine qui respecte la loi sur l'affichage bilingue. Les caractères français surpassent ceux en anglais. Crédit photo: Emilie Collin

À Montréal, il est aussi rapporté qu'il y a beaucoup de couples formés entre partenaires francophone et anglophone. En effet, lors du recensement de 2005, 45% des anglophones avaient comme conjoint(e) ou époux(se) un ou une francophone. Les enfants nés de ces unions sont pratiquement tous bilingues. Malgré leur admissibilité à l'école anglaise, beaucoup d'entre eux prennent part au système francophone.

Émilie Collin, (Lepetitjournal.com/Montréal) Jeudi 14 août 2014

 

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Publié le 13 août 2014, mis à jour le 8 février 2018

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