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C. Bourdais & E. Albarrán: galerie à Madrid, Nuit Blanche à Paris

christian bourdais eva albarranchristian bourdais eva albarran
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Écrit par Pablo Barrios
Publié le 14 octobre 2020, mis à jour le 14 octobre 2020

Christian Bourdais est un entrepreneur culturel atypique avec une vision stratégique innovatrice. En compagnie de son épouse, Eva Albarrán, et depuis leurs galeries parisiennes et madrilènes, ils rayonnent sur l’Espagne et l’Amérique du Sud, maintenant au centre de leurs préoccupations l’architecture et l’art contemporain. 

 

Depuis 2004, vous vous dédiez à la production artistique contemporaine avec votre partenaire Eva Albarrán. Vous avez créé deux galeries : l’une à Paris centrée sur la production d’œuvres d’art par des architectes, et l´autre à Madrid, centrée sur la production d’artistes contemporains. Et entre temps, vous avez créé le projet Solo Houses. Quelles sont votre vision et votre stratégie en tant que Creative Developper ? 

Nous avons une vision globale de l’ensemble et un univers qui va englober l’architecture et l’art. D’une façon très générale, nous sommes très sensibles à toutes les formes de création contemporaine. Eva Álbarran -ma femme- a monté son agence de production dans les années 2000. C’est devenu une entreprise leader en France pour la production de l’art contemporain et d’événements culturels, entre autres, comme la Nuit Blanche. Ce sont des choses qui sont financées par les institutions publiques, par le ministère de la Culture et par les mairies. Il y a une équipe de 15 personnes à Paris qui produit ces événements-là. Cette agence de production a la capacité d’accompagner l’artiste dans le processus de création et de production de ses œuvres. Aujourd’hui, il y a le Grand Paris qui est en construction et 69 nouvelles stations de trains sont en train d’apparaître. Nous nous occupons de la production et de l’intégration de ces 69 œuvres d’art dans l’espace public. C’est un marché sur 10 ans qui prend beaucoup d’énergie et de temps. Nous sommes ravis de pouvoir accompagner l’artiste dans son travail de production. C’est une manière intéressante, efficace et unique de travailler avec lui dans le processus de fabrication de son œuvre. Il est bien de rendre possible l’impossible. J’ai le souvenir d’une production épique. Aujourd’hui, les artistes ont besoin de ce genre de compétences parce que le format des œuvres a évolué à cause de leur complexité et de leur temporalité, qui sont différentes à celles de la peinture. 
    
Cette proximité entretenue avec les artistes depuis une vingtaine d’années nous a poussé en douceur à l’architecture. L’idée de Solo Houses est dans la même ligne de production de l’art contemporain. Nous produisons de l’architecture avec une nuance. D’une façon générale, l’architecture a toujours été limitée par une série de restrictions normatives et budgétaires qui sont imposées au promoteur, d’où le fait de vouloir réinventer la relation de l’architecte-client. Aujourd’hui, il est impossible de donner carte blanche à l’architecte. C’est-à-dire qu’il a perdu la main et la vision qu’il pouvait avoir à une autre époque. En parallèle, il y a toujours eu cette idée de soutenir l’architecte et de lui donner de la visibilité, d’où la Galerie de Paris. Par exemple, nous ouvrons au mois de novembre une exposition de Bocus qui est une agence belge. D’ailleurs, nous travaillons avec des partenaires institutionnels belges pour faire découvrir le travail des architectes belges à Paris. Effectivement, c’est un atout de pouvoir présenter un travail d’architecte sans forcément dépendre d’un axe commercial. Nous donnons de la visibilité aux architectes étant donné que leur présence n’est pas assez remarquée.

Quant à la Galerie d’art à Madrid, c’est autre chose. Depuis longtemps, nous connaissons des artistes contemporains importants et historiques. Nous travaillons avec eux sur la production des œuvres et la logique des ventes. De plus, nous nous rendons compte qu’un artiste contemporain vit de ses projets. Nous échangeons des idées avec l’artiste dans le processus de création de l’œuvre. Ceci est très enrichissant. En l’espace de trois ans, nous avons réussi à faire notre place dans l’univers des galeries. Évidemment, cela prend du temps mais les gens à Madrid sont sensibles à cette idée de pourvoir bénéficier de nouvelles expériences artistiques. Dans le Callejón se trouve ce projet que nous appelons « en el muro ». C’est une programmation d’artistes où ils vont réaliser ici des œuvres d’art sur un format de 8 mètres sur 6 mètres dans l’espace public. C’est un projet intéressant où donnons carte blanche qui marche dans la même logique. Tous les ans, nous organisons aussi une exposition d’œuvres monumentales à Solo Houses où nous invitons huit artistes à produire des œuvres en pleine nature. Il est intéressant de voir que toutes nos activités se font écho les unes des autres. Nous n’avons pas juste une galerie d’architecture. Nous sommes passionnés par la création contemporaine en toutes ses formes et nous voulons transmettre tout cela aux collectionneurs. 


Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à vous implanter à Madrid ? Avez-vous l’intention de développer une stratégie mondiale ? 

C’est le fait que Eva soit madrilène et que nous ayons de la famille ici qui nous a poussé à nous installer dans cette ville. Elle aime beaucoup les artistes qui sont d’origine française.  Cela peut paraître paradoxal mais tous les artistes avec qui nous travaillons, ont déjà une autre représentation dans de grandes galeries importantes telles que Marianne Gluckman, Emmanuel Perrotin, Kamel Menour, entre autres à Paris. La grande majorité des artistes sont français ou, en tout cas, ils ont un lien très fort avec Paris et n’avaient pas de représentation en Espagne. Les artistes peuvent avoir deux représentations dans le même pays mais pas dans la même ville. Nous leur donnons la possibilité d’être représentés dans la péninsule Ibérique. L’Espagne nous permet aussi de rayonner sur l’Amérique du Sud. Cela nous intéresse énormément En plus, nous avons développé ce projet d’architecture en Espagne. Nous sommes très proches de l’Espagne depuis très longtemps et il était très logique de venir à Madrid. 


L’architecture et l’art sont au sein de vos préoccupations intellectuelles et émotionnelles, croyez-vous que l’architecture a perdu sa capacité de produire des chefs d’œuvres ? Est-ce l’architecture la mère de tous les arts, à votre avis ? 

La grande différence entre l’architecture et l’art réside dans le processus de création. Dans l’art, il y a souvent un côté très impulsif et beaucoup plus violent. Dans l’architecture, il faut tenir compte de tout cet aspect normatif plus réfléchi. L’un des aspects de l’architecture qui me séduit réside dans le fait qu’elle nous concerne tous. Nous avons tous une maison et un endroit de travail. Il y a une mauvaise et une bonne architecture. L’architecture peut influencer l’état d’âme des gens. Nous travaillons mieux quand nous sommes dans un lieu qui nous inspire. Ce sont des petits gestes. Par exemple, quand la lumière arrive quand il faut, là où il faut. Nous travaillons avec tous ces architectes qui ont ce supplément d’âme. Vendre de l’art, c’est une chose. Vendre de l’architecture est diffèrent. Aujourd’hui, la qualité de la production architecturale est très basse. C’est un phénomène universel. Cela nous touche particulièrement. La mauvaise architecture qui envahit le territoire. La raison de cette mauvaise qualité au niveau global réside dans le fait qu’il y a un manque de culture, d’intérêt et de curiosité pour l’architecture. Nous sommes en train de monter une structure de conseil pour remonter le niveau de l’architecture. 

 

christian bourdais eva albarran


Votre intention est de rompre les barrières qui existent entre le monde de l’art et l’architecture, en quoi consiste le projet de Solo Houses à Matarraña dans la région de Teruel ? L’architecture peut-elle exister sans une mentalité artistique ? 

L’art et l’architecture ont des synergies, mais ce sont deux mondes qui complètement séparés Le projet de Solo Houses est très simple. Il consiste à donner carte blanche à une quinzaine d’agences d’architecture, avec l’idée de créer le premier parc d’architecture en Europe. Ce projet Solo Houses a été lancé avec un développement exponentiel et nous attendons l’autorisation pour la suite des maisons, que nous espérons obtenir bientôt. Le cahier des charges est le même pour tout le monde. Il y a une enveloppe financière qu’il faut respecter. Ce qui est intéressant dans ce projet, c’est de mettre l’architecture au centre, sans idée préconçue de ce que doit être une maison réside dans l’interprétation et la vision que l’architecte va donner du monde. Qu’est-ce-que c’est que la maison secondaire aujourd’hui ? Ressemble-t-elle à celles des années 80 ? La réponse est non et elle n’a rien à voir. Partout, il y a des gens qui vont encore dans leurs maisons secondaires en campagne. Ce modèle disparaîtra. Aujourd’hui, les gens sont plus dans le partage que dans l’idée de la propriété. Une maison secondaire veut dire beaucoup de soucis. Par exemple, un temps passé à s’occuper de la piscine, de la voiture et de toutes ces choses-là. Les nouvelles générations ne veulent plus toutes ces responsabilités. Elles veulent vivre un moment unique. Une fois que nous nous y trouvons, son architecture dégage des sensations très fortes. Les gens louent une maison pendant un week-end, une semaine ou un mois. Solo Houses est une expérience incroyable de vie différente de la leur. Nous leur offrons une expérience dans un contexte d’excellence qui n’existe nulle part ailleurs et c’est là que l’art et l’architecture se rejoignent dans la nature. En fin de compte, il s’agit d’une expérience architecturale, artistique et environnementale entouré de huit œuvres d’art monumentales entre les maisons. Nous pouvons appréhender les maisons d’une façon unique où l’expérience architecturale prime. 

 

Pendant l’été de 2019, vous avez développé le Summer Group Show. Parlez-nous de son format, de ses artistes et des critères de parité que vous avez choisis ? 

Le Summer Group Show est le résultat de nos réflexions sur le modèle traditionnel de galerie d’art qui est en train de changer parce que le monde est très globalisé. En outre, les collectionneurs viennent de moins en moins dans les galeries étant donné qu’ils ont moins de temps. Les gens ont de l’argent pour acheter de l’art mais n’ont pas de temps. Il y a quarante ans existaient des vraies relations très locales entre les collectionneurs et les galeries. Aujourd’hui, les collectionneurs achètent plus dans les foires que dans les galeries. Les galeristes passent actuellement leur vie à voyager. Les Galeries sont importantes pour la programmation mais le chiffre d’affaires se réalise dans les foires. C’est la raison pour laquelle nous avons pensé au Summer Group Show. Dans le contexte actuel, une galerie ne peut pas survivre si elle ne collabore pas avec d’autres galeries sur un projet commun. Les grandes galeries couvrent quasiment 80% du marché mondial et les autres petites galeries se partagent le 20% restant Nous pensons qu’il est important de fédérer d’autres galeries sur ce projet-là. Concrètement l’année dernière, nous avons fait un projet avec Juana De Aizpuru et un autre avec Àngels une galerie de Barcelone avec leur artistes installés là-bas. Cette année, nous avons travaillé avec plusieurs galeries, comme la Gaugosian, ou la Chantal Croussel, ou d’autres qui sont basées à Londres et à Paris. C’est mettre en commun un pôle de collectionneurs dans un contexte d’expériences globales dédié à l’architecture. Cette année, nous avions une autre exposition prévue, repoussée à l’année prochaine, où nous présenterons l’œuvre de dix femmes artistes internationales qui travailleront pour le projet Solo Houses.

 

christian bourdais eva albarran


Votre Galerie d’Art implantée à Madrid se caractérise pour avoir développé un concept diffèrent du « White Cube », pouvez-vous décrire votre vision de votre Galerie d’Art ? Pensez-vous que le format traditionnel des Galeries d’art est fini ?

Chaque galerie a son public. Il y a des galeries qui fonctionnent très bien avec un format plus traditionnel. Nous sommes plus attirés par d’autres formats et d’autres expériences. Nous sommes des quarantenaires, nous entendons ce discours depuis de nombreuses années : «En quoi consiste le modèle d’une Galerie d’art aujourd’hui ? Est-ce que la galerie doit se réinventer ? » Oui, bien-entendu. L’art doit à tout prix sortir de la caisse blanche, d’où le projet : « En el muro » où nous avons tous les deux mois et demi une nouvelle proposition d’un artiste dans l’espace public. Je pense au pavillon que nous avons vendu au MAC-VAL du Musée de Vitry sur Seine avec Val D’Omar où nous avons fait travailler ensemble un architecte et un artiste sur une œuvre commune. Dans ce cas précis, c’était un film qui a été tourné au Chili avec des architectes chiliens. Nous avons créé un pavillon pour présenter le film. Ce genre d’expérience, qui sont différentes, est ce que nous voulons mettre en avant. Une galerie traditionnelle, elle, proposera plutôt un tableau sur un fond blanc. 

En 2017, nous avons ouvert notre Galerie d’art à Madrid avec une programmation dans le Callejón de Jorge Juan. C’est un lieu qui nous correspond bien parce qu’il n’est pas trop grand et à taille humaine. Là, nous trouvons sur cette petite Terrasse qui est très agréable. Nous aimons ce côté proche avec les collectionneurs. Nous avons fait venir de grandes figures de l’art contemporain mondial comme Boltanski, Olivier Mosset ou Carlos Amorales, qui n’avaient jamais exposé à Madrid, en tous cas jamais dans une Galerie d’art.     

Pour la rentrée 2020, vous avez décidé d’exposer l’œuvre de Cristina Lucas intitulée Subjects in mirror are closer than they appear, pouvez-vous nous expliquer les raisons de ce choix et les préoccupations de cette artiste ?

Cristina est de cette génération d’artistes en Espagne qu’il faut absolument soutenir en raison de sa qualité de grande artiste espagnole et de femme. En ce moment, elle a un projet à la Manifesta de Marseille. Cristina est une artiste très engagée au niveau social et politique. Il y a à la galerie ce film que vous devez absolument voir. Il parle d’écologie d’une façon très fine et il sera visible jusqu’à la fin du mois de novembre. En outre, son travail est très lié à l’histoire. Invitée pour une résidence dans une île au Nord de la Norvège, elle a pu ainsi rentrer dans l’univers de cette île près du cercle polaire. Que s’est-t-il passé dans cette île-là ? Il y a des enjeux qui se jouent localement au niveau politique et écologique avec un grand nombre de pays qui sont très intéressés par les ressources de gaz naturel, de pétrole et de charbon se trouvant à cet endroit. Il existe la possibilité d’un tournant en train de s’opérer qui va s’orienter sur l’écologie ou vers l’exploitation exponentielle des ressources naturelles. Nous nous trouvons à ce moment précis. Elle délivre avec ses yeux d’artiste, au regard critique, un message qui nous touche tous aujourd’hui. Nous sommes tous en responsabilité vis-à-vis de la planète. Son message a été transmis avec une vraie finesse. Après, il y a toutes ces peintures qui ont découlé de cette vidéo. Cristina a une relation très forte avec l’écologie et les matières premières, comme la terre et le charbon. Ces tableaux sont des compositions. Notre corps est composé d’eau et de carbone à 80% et de 20% autres composants qu’elle a repris dans ses tableaux. Les compositions ne sont pas que des couleurs. Les tableaux sont composés de particules qui constituent notre corps humain. Cette relation est significative lorsque nous regardons les tableaux en étant conscient des particules qui nous composent. Effectivement, le titre parle de miroirs. Toute l’humanité est représentée dans ces tableaux. Nous sommes vivants et nous redevenons cette poussière. Cette subtilité est très poétique. Effectivement, elle s’est convertie un peu en une sorcière des temps modernes en mélangeant le souffre, le phosphore et le carbone. Des compositions puissantes qui sont d’une beauté impressionnante. L’art et la vidéo font écho. 


Depuis 2011, l’agence Eva Albarran & Co assure la production de la Nuit Blanche qui est un des événements incontournables de la scène artistique contemporaine à Paris qui s’est déroulé le 3 octobre cette année. Pouvez-vous décrire la nouvelle forme qu’elle a pris pour respecter les mesures sanitaires de distance sociale que la crise du Covid-19 a provoquées ? Quels ont été ces défis en matière de production ? 

Eva pourrait en parler mieux que moi. Cette année, il y a eu quatre commissaires. La Nuit Blanche a été plus simple et moins importante que celle que nous avons l’habitude d’avoir. Elle a valu le détour en tous les cas. La particularité de la Nuit Blanche réside dans le fait que c’est seulement une seule nuit mais il y a six mois de travail derrière. C’est un parcours intéressant entre le Musée d’art moderne de la Ville de Paris qui est le petit palais d’un côté, et d’un autre côté, pour la rive droite, du Musée Zadkine et du Musée Bourdelle. Ce sont des échos entre ces musées qui ont été programmés par ces quatre directeurs de ces quatre centres d’art de la ville de Paris. Ce sont des petits parcours beaucoup plus humbles et discrets. Nous ne sommes plus dans l’échelle gigantesque de la ville. Les normes du COVID ont été prises en compte. La gestion des flux des personnes a été aussi prise en compte pour la programmation. Ce qu’il faut souligner c’est le courage d’avoir maintenu la présence de l’événement dans ces temps pandémiques. Par exemple, la FIAC a été annulée ainsi que tant d’autres. Nous ne sommes pas dans le domaine commercial mais dans celui de la communication de l’art parisien et non-parisien.  

http://albarran-bourdais.com/