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PREFABS - Elisabeth Blanchet, et l'art au service de l'histoire

Écrit par Lepetitjournal Londres
Publié le 18 mars 2014, mis à jour le 19 mars 2014

 

Certains diront que l'art n'a pour seul objectif la distraction, et nombreux le contrediront. Parmi eux, Elisabeth Blanchet met son appareil photo au service de l'Histoire avec un grand H : elle prend pour décor les préfabriqués construits pour les héros de la Seconde Guerre mondiale, avant leur destruction prochaine. Rencontre.

(source photos: Elisabeth Blanchet, Palaces for the People)

Bienvenue à l'Excalibur Estate, terre des "Palaces for the People"

Samedi, 15h. Dans le sud de Londres, des dizaines d'individus passent le portail de cette "box", comme certains l'appellent. A gauche, dans ce qui semblait être une chambre à coucher, différents films présentent le projet. A droite, la foule se rassemble devant les photographies d'Elisabeth Blanchet et ses partenaires. Il est rare pour une exposition de se dérouler dans un endroit aussi atypique et fermé. Et pourtant, ce cadre dessert parfaitement le sujet : les héros de l'histoire, ce sont ces préfabriqués. 

"En 1942, Churchill a anticipé une crise de logement terrible pour l'après-guerre", nous raconte Elisabeth un peu plus tard, durant l'interview. En effet, avec les destructions de différents quartiers de Londres sous les bombardements allemands, il fallait penser à reloger la population, mais aussi les soldats rentrés de la guerre. "L'idée des préfabriqués représentait une solution qui se mettait en place très vite. Ils ont crée un comité avec des architectes et designers qui sont aller s'inspirer aux Etats-Unis. Ils sont rentrés avec un design idéal : deux chambres, un couloir, un salon, une salle de bain, une cuisine toute équipée, ce qui était complètement du luxe à l'époque. Sur ce site, ce sont les prisonniers allemands et italiens qui faisaient office d'ouvriers". 156.000 "box" verront ainsi le jour dans l'ensemble du Royaume-Uni. "Les gens qui habitaient ici étaient de la working-class. Un tel équipement, c'était un luxe pour eux. On les appelait d'ailleurs Palaces for the People. Ils s'y sont de suite attachés"

Ce qui n'était, au départ, censé durer que 10 ans, va traverser le XXème siècle. Aujourd'hui, quelques box existent toujours, et notamment à l'Excalibur Estate, où nous nous trouvons. Le musée d'Elisabeth, qui rassemble plus de douze années de travail, organise de nombreux événements depuis son ouverture le 8 mars, dont la visite de l'Estate aujourd'hui. Depuis les années 50, la majorité des préfabs ont été détruits, et le site d'Excalibur semble être le prochain sur la liste.

(Eddie devant son préfab, le sourire aux lèvres)

Un endroit unique 

La visite démarre. Des individus de tous les âges se pressent derrières nos guides, Elisabeth et James, directeur du Tenant Management Organisation qui gère l'Estate. Alors que le groupe se déplace, une femme explique à sa petite-fille que "sa mamie vivait ici, il y a des années". Car derrière ces "maisons" montables en trois jours, se cache une communauté qui n'a pas la moindre envie d'abandonner son habitat. "Ce quartier est sécurisé. Tout le monde se connait, s'apprécie, et s'entraide", explique James lors de la visite. Et certains y vivent depuis plusieurs décennies. Elisabeth nous raconte alors une anecdote très particulière d'Eddie, qui habite ici depuis la construction des préfabs, en 1946 : "Lors du premier hiver, il y avait de la neige partout m'a t-il dit. Alors, il a eu peur que, le toit étant plat, la maison ne puisse pas supporter le poids de la neige, et qu'elle s'effondre sur lui. Elle a résisté. Alors il s'est dit "Merci aux prisonniers allemands !". La foule ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire.

Après presque deux heures de découverte, le groupe se rassemble à nouveau au numéro 17, le préfabriqué où se trouve le musée. Elisabeth en profite pour nous parler du projet un peu plus en détail. "Je suis arrivée en Angleterre il y a 13 ans. Déjà, je m'intéressais aux communautés, à ce qui lie les gens entre eux, mais aussi à ceux qui vivent dans des habitats un peu différents. Quand une amie m'a parlé d'une sorte de "mobile-home" à côté de chez elle, je me suis renseignée" admet-elle. "J'avais déjà vu quelque chose de semblable en Normandie, où cette solution a été mise en place après la guerre. Mais ça n'a rien à avoir avec l'échelle anglaise : le Temporary Housing Program de Churchill est unique". Elle a alors découvert une vraie communauté, à laquelle elle s'est intégrée, lors de ces douze années. Après cela, on a commencé à la contacter dans le nord de l'Angleterre, à la découverte des autres préfabriqués, et de leurs habitants.

L'art au service de l'Histoire 

Cette exposition, elle la voit comme la célébration d'une époque, d'un idéal, mais aussi une résistance. "En apportant tout ce travail que les gens font sur les préfabriqués, c'est aussi une façon de se défendre. On reçoit même l'aide du ministère de la culture. L'art est un moyen plus libre d'exprimer les choses". Elle reconnait sans se cacher que derrière tout ça, il y a "une espèce de volonté de garder les préfabriqués. Avec l'art, on amène les gens à s'intéresser à ce qui se passe ici". Et quand on lui demande si elle pense qu'il s'agit d'une solution efficace, elle répond qu'elle ne "sait pas si on peut les sauver". "Mais on peut sans doute retarder le procédé", dit-elle, une pointe d'espoir dans la voix. "Les préfabriqués sont évocateurs d'une époque de la working-class. Il y a un vrai devoir de mémoire ici. Je pense que c'est aussi ce qui intéresse les gens autour de nous", conclut Elisabeth.

Que vous soyez adepte de l'histoire locale ou simple amateur d'art, il y a beaucoup à apprendre dans ce quartier à seulement quelques kilomètres des grandes tours de Londres. Jusqu'à fin mars, l'Excalibur Estate sera la scène d'une partie de l'Histoire pas si lointaine, et rien ne vous empêche d'y prendre part. Samedi, Elisabeth et son équipe y organisent même une Tea Party. Une excellente occasion de découvrir les témoignages étonnants de ces habitants aux maisons pas si normales.

Pour plus d'informations, rendez vous sur la page facebook de l'exposition.

Cindy Jaury (www.lepetitjournal.com/londres) mercredi 19 mars 2014

 

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Publié le 18 mars 2014, mis à jour le 19 mars 2014