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YANNICK PONS / W3 Inc.- Grandir seul pour mieux s'entourer

Écrit par Lepetitjournal Londres
Publié le 1 mars 2013, mis à jour le 8 février 2018

Classé 424e fortune de France en 2012 par le magazine Challenges avec 70 millions d'euros, Yannick Pons est un modèle de Self-Made Man. Discret, cet entrepreneur du web installé à Londres est à la tête du groupe W3 Inc. qui détient notamment Vivastreet et EasyRoommate. Portrait

Un chiffre d'affaires annuel qui dépasse les 40 millions de dollars, des bureaux à New York et Londres qui emploient 120 personnes, une croissance qui frôle les 30% par an…W3 Inc. est une réussite. Son produit phare, Vivastreet, numéro 2 en France des petites annonces, est présent dans 14 pays et reçoit 65 millions de visites par mois. Quant à Easyroomate, son site de colocation, il couvre 37 pays et connait une très forte croissance sur les marchés asiatiques et en Amérique latine. Bref, des chiffres à faire pâlir bon nombre d'entrepreneurs.

À l'origine de cet "empire", un Français de 55 ans : Yannick Pons. Entre Un avion pour New York, un week-end à Paris et un meeting à Buenos Aires, il nous accorde une pause dans ses bureaux de Piccadily Circus. Le temps de découvrir un parcours hors du commun et une vision du business originale. 

"Je ne savais pas très bien ce que je faisais" 

Si aujourd'hui la réussite de l'entrepreneur peut paraitre insolente, tout n'a pas toujours été aussi simple. 30 ans en arrière, à la sortie de l'école supérieure de commerce de Rouen, Yannick traverse une première fois l'océan Atlantique pour aider à monter la filiale de Pain Jacquet aux États-Unis. "Pour être honnête, je ne savais pas très bien ce que je faisais…" avoue-t-il sans gène. Les débuts sont d'ailleurs difficiles. "Un Américain dirigeait et n'aimait pas vraiment le petit Français…". Un mal pour un bien. Yannick est chez les distributeurs, il met en rayon les produits. Le terrain lui permet d'être en contact avec la réalité et de discuter avec les vendeurs. "Nous étions à l'époque dans une vingtaine de magasins et parmi nos produits nous avions un équivalent de la biscotte. L'Américain s'escrimait à essayer de le vendre dans le rayon "crackers" à côté des géants américains. C'était comme se battre avec Coca et Pepsi…" se souvient-il. La filiale américaine tarde à démarrer et le grand patron en France perd patience. Il appelle Yannick et lui demande de prendre le relais. Sa connaissance du terrain fait immédiatement la différence. Alors que les supermarchés américains commencent à importer du brie et d'autres produits français, ce dernier tente un coup. "Je suis allé voir les responsables du rayon fromage et les ai convaincus d'y installer mon cracker avec une marge de 30% au lieu des 10% habituels. J'étais le seul", s'amuse encore le Français. En quelques semaines, la biscotte pain Jacquet devient LE cracker du rayon fromage et les ventes explosent. Les acheteurs se précipitent et Yannick écoule des millions de crackers…De 10 personnes à son arrivée, la filiale en compte 300 cinq ans après. C'est le premier coup de génie de l'entrepreneur.

 

L'égo gonflé, il ne supporte plus très bien l'attitude d'un patron à l'ancienne, très patriarcal "qui s'attribue la réussite des autres". " Grâce à lui, j'ai eu la chance d'apprendre tout ce qu'il ne fallait pas faire. Les bonnes idées étaient toujours les siennes et il voulait décider de tout même en étant à 10 000 km des États-Unis. Résultat : les gens avançaient peu car ils savaient que tout le mérite allait lui revenir", se souvient Yannick. Ce dernier décide donc de voler de ses propres ailes. C'est le point de départ de son aventure entrepreneuriale. 

"Je me suis pris pour un grand businessman"

"Après le coup réussi avec les crackers, je me suis pris pour un grand businessman…", se remémore avec ironie l'entrepreneur. Le Français décide de monter Eye Care, une boite de cosmétique pour les gens qui portent des lentilles de contact, sur le même modèle. Au lieu de vendre ses produits dans les supermarchés aux côtés des grandes marques, il les installera directement chez les opticiens. Mais la recette ne fonctionne plus. Il a suffit à la concurrence d'écrire sur leurs produits "bon pour les porteurs de lentilles" pour que Eye Care n'ait plus de raison d'être. "J'ai mis 5 ans pour perdre tout ce que j'avais gagné et me rendre compte que je n'étais pas si extraordinaire que ça…". Première tentative et première claque.

"Nous étions les premiers…"

Après cet échec, Yannick décide de rentrer en France et de monter une agence de location d'appartements. L'expérience hexagonale est de courte durée : "Je me suis retrouvé face à une administration à laquelle je n'avais pas du tout été habitué au USA. Ça m'a plombé la vie et je suis reparti faire la même chose là-bas". 1995 sera donc l'année de son retour aux États-Unis. Il monte 5 agences Easyrent. Les affaires marchent mais l'entrepreneur s'ennuie rapidement et s'intéresse de près au buzz incroyable qui se développe autour de l'internet. Nous sommes en 1997 et Yannick a l'idée de lancer Easyroommate. "Nous étions les premiers à le faire donc tous les gens qui pouvaient nous canaliser le trafic étaient avec nous", explique le businessman. À cette époque, Google n'existe pas. Il suffit donc de faire de la pub dans les journaux ou d'être visible sur les sites immobiliers des journaux qui commencent à se créer. L'affaire est belle. Yannick revend ses agences Easyrent à ses anciens employés pour se concentrer sur son nouveau bijou. Mais deux ans plus tard, la concurrence se réveille et lève de l'argent. Suffisamment pour sortir Easyroommate du marché…Un processus auquel Yannick n'a jamais voulu recourir : "C'est un choix lié à ma personnalité. Quand j'ai démarré en 1995, je suis parti de rien. Pour moi, les seuls projets valables sont les projets rentables. À chaque fois que j'ai rencontré des investisseurs, je n'ai pas très bien compris leur fonctionnement. La seule chose qui les intéressait était de développer le produit et ils se moquaient complètement de la rentabilité. Ce n'est pas intéressant pour l'entrepreneur. Comme tu es en situation de perte d'argent permanente, tu lèves des fonds tout le temps et tu te dilues…Tu te retrouves rapidement en position de faiblesse par rapport à tes investisseurs. C'est pour cela que j'ai toujours refusé". 

À la conquête du Vieux continent

Fidèle à son idée, Yannick ne peut pas rester aux États-Unis. Ceux qui ont levé des fonds lui ont pris ses apporteurs de trafic. Il faut donc trouver une porte de sortie. Elle s'appellera Europe. Depuis New York, Easyroommate commence à conquérir le vieux continent. "C'était assez novateur à l'époque de ne pas être physiquement installé dans le pays où est ton activité. Nous avions autour de la table un Anglais, un Français, un Italien, un Espagnol et chacun s'occupait à distance de son marché", se remémore Yannick. C'est ainsi qu' Easyroommate a pu être lancé dans 10 pays depuis un seul bureau situé à Union Square et rester rentable. 

Mais l'appétit de Yannick pour l'entreprenariat ne faiblit pas. En 2003, Craiglist fait ses grands débuts aux États-Unis avec les petites annonces. Le produit fait fureur et le Français s'y intéresse de près. Puisque le marché américain est déjà pris, pourquoi ne pas faire la même chose sur d'autres marchés ? En 2005, Vivastreet est créé avec à nouveau très peu de moyens. Au début, toute la partie technique est externalisée et les stagiaires font office d'équipe marketing. Petit à petit, l'activité grandit. Un département finance et une équipe technique voient le jour dans les bureaux de New York. Mais la plus grande partie du business vient de l'activité du site en Europe et, avec le décalage horaire, c'est comme si tout le monde commençait à travailler à 3h de l'après-midi. La prochaine étape consiste donc à s'installer en Europe, physiquement cette fois. "J'avais trouvé des locaux à Paris car il me semblait naturel de retourner en France, raconte Yannick. Mais avant de les louer, je me suis quand même demandé si je pouvais recruter l'équipe internationale dont j'avais besoin pour couvrir nos différents marchés. Faire venir un Anglais à Paris ? Difficile. Des Italiens, Espagnols ou Polonais ? Quasiment impossible…Par contre, à Londres, aucun problème pour faire venir des Français et n'importe quelle autre nationalité". En 2007, le choix se porte donc finalement sur Londres. Comme Yannick ne veut toujours pas dépenser plus qu'il ne gagne et que l'immobilier coûte très cher dans la capitale britannique, il décide de louer une maison à Notting Hill qui lui servira à la fois de logement et de bureau. "Les stagiaires qui débarquaient à l'époque ont halluciné…Il fallait traverser la cuisine pour accéder à un bureau qui était normalement une chambre. On est resté un an", en rigole aujourd'hui l'entrepreneur. De 2 personnes à leur arrivée dans la capitale britannique, ils sont désormais 15 à tenter de se faire une place dans la maison jaune de Portobello Road. Il est temps de déménager. Après quelques mois dans des locaux à Hammersmith, W3 Inc. s'installe rapidement à Piccadily. 

Impliquer ses salariés

Aujourd'hui, 30 personnes sont toujours dans les bureaux de New-York et 90 travaillent à Londres. Vivastreet et Easyroomate n'ont cessé de grandir. Certains stagiaires de l'époque sont restés. Karim, par exemple, qui a démarré l'aventure dans la "maison-bureau", est devenu directeur général. Comme quelques autres qui sont dans l'aventure depuis le début, celui-ci a reçu des parts de la société. Aujourd'hui, 15% du capital de l'entreprise a été distribué à des employés. Une façon pour Yannick de "les impliquer dans l'entreprise". "Plutôt que de lever de l’argent et d’avoir des investisseurs peu intéressés par le projet, sans attache avec l’entreprise, je préfère avoir des salariés. Nous avons un taux de croissance du chiffre d’affaire compris entre 20 et 30% par an. C’est plus réduit que ce que l’on pourrait faire mais c’est super solide et sans aucune dette", se réjouit l'entrepreneur. 

"Leur développement personnel profite à l'entreprise" 

Aujourd'hui, son rôle au sein du groupe a beaucoup changé. S'il conserve une vision stratégique de l'entreprise, il cherche surtout à "responsabiliser" les gens qui l'entourent. "Je lance un projet mais ensuite mon job consiste à trouver les gens qui sont capables de me remplacer. Je me met donc en permanence dans une situation où je dois me réinventer", explique l'intéressé qui fait tout pour éviter les erreurs qu'il a vu faire par son premier patron. "Je garde le contrôle donc je peux prendre des décisions rapidement mais j’essaie de donner des responsabilités. C’est un élément de vie que j’essaie de faire passer. Si tu respectes les gens il faut leur donner du crédit dans les décisions, les responsabilités mais aussi financièrement. J’ai tout à gagner à ce que les gens soient heureux. Ils sont plus productifs et plus investis. Leur développement personnel profite à l’entreprise". Une doctrine qu'il applique jusqu'à aider ses salariés à se lancer dans l'aventure entrepreneuriale. "Dans le business internet, les gens ont souvent envie de monter leur propre start-up. J'ai donc mis en place un système que j'ai testé avec un employé. Je le connais, son projet me plait et j'ai donc décidé d'investir pour l'aider à se lancer. Il n'y a pas besoin de conflit. Ce qui m'intéresse, c'est qu'il se développe. Au sein de l'entreprise ou ailleurs…". 

Celui qui n'a jamais voulu entendre parler d'investisseurs deviendrait-il un "business angel" ? 

Simon Gleize (www.lepetitjournal.com/londres) vendredi 1er mars 2013

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Publié le 1 mars 2013, mis à jour le 8 février 2018