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HISTOIRE - Notre Dame de Sion à Istanbul, 160 ans d'existence

Notre Dame de Sion à IstanbulNotre Dame de Sion à Istanbul
Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 24 novembre 2016, mis à jour le 5 mars 2018

Tout commence le 27 novembre 1856. Ce jour-là, la mère supérieure Louise Weywada et 10 autres sœurs de Sion, arrivées en Turquie le 7 octobre de la même année, s'installent dans un pensionnat pour filles appelé “Maison du Saint-Esprit” afin de le diriger. Situé à côté de la cathédrale du même nom dans le quartier de Pangaltı, l'établissement est tenu depuis 16 ans par la congrégation des Filles de la Charité.

Comment les sœurs de Sion sont-elles venues à Istanbul ? Le père Théodore Ratisbonne né en 1802 à Strasbourg, second fils d'une famille juive, se convertit au catholicisme. Avec l'autorisation de l'évêque, il est baptisé le 14 avril 1827 par Louise Humann, sa mère spirituelle, et rentre dans les ordres. En 1843, il fonde dans sa ville natale une institution religieuse dans laquelle est dispensée l'éducation de fillettes juives confiées par leurs familles respectives. La communauté, qui devient religieuse, s'appellera à partir de 1846 Œuvre de Notre-Dame de Sion, en référence à ce nom, souvent répété dans les psaumes et qui évoque le mont Sion à Jérusalem, un lieu qui bénéficie de la présence divine. En 1852, Alphonse Ratisbonne, également converti puis rentré dans les ordres, vient rejoindre son frère Théodore à Sion.

Le père Théodore s'intéresse à Constantinople et souhaite y ouvrir un collège. En effet, cette ville correspond tout à fait à l'esprit de la communauté d'aller aux quatre coins du monde et d'établir des liens avec les musulmans, les chrétiens non catholiques et bien entendu les juifs.

Revenons fin 1856 à Istanbul qui enchante les nouvelles venues. Une semaine après leur arrivée, Soeur Marie Aimée, faisant partie du voyage, écrit “Nous ne pouvons détacher nos yeux de ce panorama magique !” Comme dans les autres lieux où les Sœurs de Sion sont présentes, une école gratuite pour les familles moins aisées et d'autres confessions est ouverte le 2 janvier 1859 à côté du pensionnat. 90 enfants y seront accueillis et bientôt on prévoit de l'agrandir pour faire face à la demande. Sur la rive asiatique, en face de l'église catholique des Assomptionnistes à Kadıköy, les sœurs décident de fonder une autre école en 1862.

Après avoir pris le nom de Notre-Dame de Sion, l'école d'Istanbul, qui, à ses débuts, accueille seulement une soixantaine de filles de familles catholiques, admet peu à peu des filles de notables d'autres communautés.  Les noms des premières élèves musulmanes apparaissent dans les années 1880. Une maison d'été est construite en 1889 à Feriköy, près du pensionnat, dans le jardin acheté trois ans plus tôt. Des ateliers de couture et de broderie ouvrent le 1er octobre 1889 au sein de l'école  pour offrir à des jeunes filles pauvres du quartier la possibilité d’apprendre un métier. NDS, qui figure parmi les plus anciennes écoles françaises en Turquie, est l'une des rares à ne pas avoir interrompu ses activités, hormis durant la Première Guerre Mondiale qui occasionne la fermeture du pensionnat et de l'école, puis le départ de certaines soeurs.

Durant une partie de cette période, les bâtiments  sont occupés par une école d'ingénieurs, puis par un hôpital où des sœurs travaillent. Mère Constantina, alsacienne, qui a pu rester, est la responsable. Arrêtée en mai 1915 comme “allemande, espionne au service de la France”, elle évite un long séjour en prison grâce à l'intervention énergique de Monsieur Morgenthau, Ambassadeur des Etats-Unis. Elle revient en 1919 avec ses collègues pour rouvrir l'école, puis l'internat.

En 1932, la communauté achète à un prix symbolique à la princesse égyptienne Kadriye, apparentée à la famille des souverains ottomans, le Hüber Köşkü, magnifique propriété située à  à Tarabya. La proposition est acceptée après une longue période de location des lieux permettant d'évaluer son intérêt.

Une loi du 3 décembre 1934 interdit le port du vêtement religieux, certaines sœurs préfèrent quitter le pays. L'établissement de Kadıköy ferme ses portes l'année d'après suite à des difficultés financières et ayant trop peu d'étudiants. La maison de Feriköy devient inhabitable ; une autre grande demeure, Ayşe Sultan Köşkü à Bebek, est louée à la place de 1926 à 1928. Ensuite, la belle demeure de Tarabya accueille sœurs et enfants et des familles amies n'ayant pas les moyens de quitter la ville en été. En raison de coûts d'entretien trop élevés, cette demeure est vendue le 1er juin 1973 à une société d'Ordu.

L'enseignement à NDS et ses élèves

Outre le français, la littérature, la géographie, l'histoire et le latin, les élèves reçoivent aussi  une éducation où se conjuguent la conception libérale de l'époque des Lumières associée à la rigueur des familles bourgeoises. En 1915, la nouvelle réglementation concernant les écoles privées impose que certains cours – le turc, la géographie et l'histoire du pays – soient donnés par des professeurs turcs. Mais en raison de la guerre, cette législation n'entre pas en vigueur. C'est seulement après l'instauration de la République que ces  règles seront appliquées.

Notre-Dame de Sion reçoit dans ses murs les enfants de grandes familles de l'époque ottomane, comme par exemple Alléon, Parma, Della Suda, ainsi que de riches aristocrates russes chassées lors de la Révolution de 1917. Après la création de la République turque en 1923, les établissements scolaires privés sont rattachés au Ministère de l'Education Nationale turc l'année suivante.

Des noms célèbres de la jeune République vont aussi fréquenter cette école dont, à partir de début janvier 1927, Rukiye, une des quatre filles adoptives d'Atatürk et qui sera ensuite rejointe par Nebile et Afet, deux de ses autres filles adoptives. Dans les registres d'élèves de l'établissement figurent à côté de la signature de l'illustre fondateur de la République les mentions suivantes : nom Gazi Mustafa Kemal Paşa, adresse : Ankara, Çankaya, Profession : Reis-i Cumhur Hazretleri (Président de La République).

De nombreuses illustres femmes contemporaines turques, protagonistes du processus d'occidentalisation du pays, sont diplômées de NDS. Parmi elles, on peut citer Neveser Kökdeş, première-femme compositeur de l'ère de la République, Adile Ayda, première femme sénateur et ambassadrice, les pianistes-jumelles Güher-Süher Pekinel, d'innombrables médecins, chercheurs, juristes, femmes d'affaires, journalistes, écrivains, ingénieurs, architectes,...

Des centaines de religieuses de Sion enseignent à Istanbul, notamment Mère Elvira, la légendaire supérieure d'avant et après la Première Guerre Mondiale et Sœur Emmanuelle qui y passe 27 années. Cette dernière prononce ses vœux de religieuse dans la congrégation en mai 1931,  enseigne la littérature de 1931 à 1954 à Istanbul, puis de 1959 à 1963 après un passage en Tunisie. En 1971, elle décide de s'installer dans les bidonvilles du Caire. Celle qu'on surnomme la ”petite sœur des chiffonniers du Caire” devient une des plus dignes représentantes des plus pauvres jusqu'à sa mort le 20 octobre 2008.

En 1937, suite aux nouvelles directives gouvernementales concernant les écoles étrangères en Turquie, arrive la première directrice adjointe turque de NDS à côté de la directrice française. En raison de la réduction des effectifs religieux, l'atelier de couture et de broderie situé dans la rue derrière l'école ferme ses portes en 1944.  Dans les années 50, le nombre d'élèves chrétiennes, juives et musulmanes est proportionnellement répartie, témoin du respect d'équilibre entre les différentes confessions prôné par les fondateurs de l'école.  Les valeurs humaines universelles telles que respect de l'autre, tolérance, ouverture d'esprit, font partie intégrante de l'enseignement dispensé à NDS et continuent d'être inculquées. En 1964, l'école primaire gratuite ferme suivie en 1971 par les classes primaires du collège. 1972 sonne le glas de l'internat, restent alors 650 élèves dans le collège-lycée.

La chapelle construite par Mère Elvira est transformée en salle de sport, sa vocation initiale n'ayant plus de raison d'être au vu du nombre de religieuses et d'élèves catholiques encore sur place. Le sport prend en effet de l'ampleur et les sportives de NDS, notamment les volleyeuses, vont monter sur la plus haute marche du podium en championnat de Turquie. Lorsqu'en 1989, la directrice prend sa retraite, la Congrégation n'a personne à proposer pour la remplacer et décide de faire appel à un laïc. Richard Tampigny prend alors ses fonctions à la rentrée de la même année et dirige l'établissement jusqu'à sa retraite en 2004.

L'école devient mixte à partir de l'année scolaire 1996-97. Suite à la réforme de 1997 sur la durée de l'enseignement primaire obligatoire dans une école turque passant de 5 à 8 ans, les classes de collège vont progressivement être fermées. En 2001, l'école primaire “Neslin Değişen Sesi” (aux initiales de Sion), issue de la Fondation éducative du lycée née la même année, ouvre ses portes.

En 2004, la direction est confiée à Yann de Lansalut qui entreprend d'importants travaux : déménagement, transformation et agrandissement de la médiathèque, aménagement d'une galerie destinée aux expositions dans l'ancienne bibliothèque au rez-de-chaussée. La chapelle transformée en salle de sports devient une magnifique salle de spectacles le 26 novembre 2006 où sont organisés depuis concerts, représentations théâtrales et autres manifestations.

2008 voit la naissance d'Orchestra'Sion, orchestre du lycée composé de musiciens professionnels, l'un des seuls exemples dans le pays. Le Prix Littéraire Notre-Dame de Sion est créé la même année avec pour objectif de renforcer les liens littéraires entre la France et la Turquie en attribuant une année le Prix à un écrivain turc et l'année suivante à un auteur francophone traduit et publié en Turquie. A l'image du Prix Goncourt des lycéens en France est lancé en 2013 le Prix Littéraire NDS des lycéens, seul de ce genre dans le pays.  En novembre 2013 est organisé le Premier Concours International de Piano Orchestra'Sion dont la programmation est prévue  tous les deux ans à la même époque.

Un complexe sportif flambant neuf comportant une salle de sport, une de danse, une de fitness, un mur d'escalade et une piscine sortie de terre complètent l'ensemble en février 2014.

Aujourd'hui, NDS compte 85 enseignants, 677 élèves - 221 garcons et 456 filles - et 5455 diplômés depuis 1930 (les élèves promus avant ne figurent pas dans la base de données informatique) contre 48 enseignants, 512  élèves et 4000 anciens diplômés enregistrés il y a 10 ans.

Autour de Sœur Monique représentant la Congrégation, Yann de Lansalut, proviseur et Suzan Sevgi, directrice-adjointe turque, professeurs et lycéens continuent de faire rayonner ce prestigieux établissement qui fête ses 160 ans d'existence.

L'Association des Anciens de NDS (NDS'liler Derneği), créée en 1987 et présidée actuellement par Lale Murtezaoğlu, effectue un travail remarquable pour entretenir les relations des anciens et nouveaux diplômés à travers de nombreuses activités culturelles et amicales.

 

Nathalie Ritzmann (http://lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 25 novembre 2016 

 

 

Sources : livres ?140 Ans Notre Dame de Sion? de Türköz Erdo?u? & « Yüz Elli Y?l?n Tan??? Notre Dame de Sion » de Saadet Özen (YKY), archives NDS, archives personnelles Sr Monique, Lale Murtezao?lu.

 

 

 

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Publié le 24 novembre 2016, mis à jour le 5 mars 2018

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