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Rencontre avec Romain Puértolas au Lycée Notre-Dame de Sion

Romain PuértolasRomain Puértolas
Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 1 novembre 2016, mis à jour le 5 mars 2018

Le 26 octobre dernier, le lycée Notre-Dame de Sion d'Istanbul a accueilli Romain Puértolas, lauréat du Prix Littéraire NDS 2016 des lycéens pour son roman L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea (en turc Bir Ikea dolabında mahsur kalan hint fakiri'nin olağanüstü yolculuğu).

Notre-Dame de Sion (NDS), qui va célébrer ce mois-ci son 160ème anniversaire, a lancé en 2008 avec son Association des Anciens le Prix Littéraire Notre-Dame de Sion, attribué une année à l’œuvre d’un auteur turc écrite en langue turque puis, l’année suivante, à l’œuvre d’un auteur francophone, écrite en français et traduite en turc. Le jury est composé d’écrivains, de journalistes et d’universitaires, tous diplômés du lycée. 

A l’image du prix Goncourt des Lycéens et fort de son expérience, l'établissement décide, en 2013, d’organiser un Prix Littéraire NDS des Lycéens. Chaque année à la rentrée, un jury d'élèves est formé sur la base du volontariat. Tout au long de l'année, il lit et évalue les livres présentés et choisit en juin le bénéficiaire du prix.

Après avoir reçu son prix des mains de deux membres du jury, de même qu'Ebru Erbaş, ancienne diplômée de l'établissement, également primée pour la traduction de l'ouvrage en turc, Romain Puértolas prend le micro et donne immédiatement le ton. Enjoué, plaisantin et charmeur à la fois, l'écrivain doté de beaucoup d'humour et d'humanisme qu'il mélange avec bonheur, est immédiatement en communion avec le public, qui écoute avec intérêt ses paroles dans un silence quasi religieux, par moments troublé d'éclats de rires.

Un “écrivain de maintenant”

D'entrée de jeu, Il explique qu'il ne pensait pas se retrouver un jour à Istanbul et recevoir un prix pour son roman – son 8ème, les sept précédents rédigés en espagnol n'ayant intéressé aucune maison d'édition en Espagne où il vivait alors – écrit sur son téléphone portable. Il se dit être “un écrivain de maintenant” qui rédige dans le train, dans le métro, dans le RER, la plupart du temps sur son mobile mais aussi sur tous les papiers qui traînent autour de lui, qu'il s'agisse de post-it, d'emballages de chewing-gum, de cartes de restaurant...

L'auteur a commencé à écrire à l'âge de 7-8 ans et a créé à ses débuts des livres d'une page : “J'en ai de quelques pages mais j'étais fan des livres d'une page, car j'étais tellement perfectionniste que quand j'arrivais à la fin de la 1ère, je refaisais tout à plusieurs reprises et je réécrivais chaque fois avec des styles complètement différents.”

Très inspiré par la lecture, lorsqu'il lisait par exemple du Giono ou Agatha Christie, ses écrits ressemblaient à ceux des écrivains lus. “Tout comme lorsqu'on commence à peindre, on s'inspire de grands peintres pour faire des reproductions, c'est pareil pour les autres arts, dont l'écriture puis avec votre connaissance, votre expérience, vous vous forgez un style propre. C'est ce que j'ai fait en mélangeant plein de styles” dit-il.

Après avoir réussi le concours de police et être revenu vivre en France où il est né, Romain Puértolas a continué à écrire en français cette fois-ci et a proposé L'extraordinaire Voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea à des maisons d'éditions françaises ; que l'une accepte de publier.

Héritier de Jules Verne

fakir istanbul

Tour à tour DJ, compositeur-interprète, professeur de langues, traducteur-interprète, steward, magicien et policier à la police des frontières, c'est le thème des migrants abordé dans son roman primé et décrit comme un véritable phénomène d'édition, publié depuis dans 36 pays, qui va sa changer sa vie.

“L'écriture était ma passion, elle m'a tout le temps accompagné et du jour au lendemain, j'ai pu me consacrer uniquement à l'écriture, raconter des histoires aux gens ; c'est merveilleux de pouvoir transformer une passion en travail, de pouvoir amener les gens dans votre monde à vous”, ajoute-t-il avec son enthousiasme naturel. 

Il poursuit :“J'ai essayé de ne pas me formater. Je lis très peu d'ouvrages français ; je ne me retrouve pas dedans, c'est très sérieux.  Moi, j'aime bien les choses qui sont plus rigolotes. Il y a quand même un message, mais dit d'une manière un peu plus légère. Dans le paysage de la littérature française, on aime bien écrire des choses plus complexes, montrer que nous sommes les descendants de Balzac ; moi, je serais plutôt héritier de Jules Verne, c'est-à-dire d’un monde complètement fantaisiste qui s'inscrit quand même dans le monde réel, mais avec une touche d'exotisme, d'aventure, de voyage.”

“Nous sommes tous un immigré quelque part”

Et l’auteur d'ajouter :“Ce sont des thèmes qu'on retrouve beaucoup dans mes livres. Il y a toujours un avion, peut-être parce que j'ai toujours aimé les avions. D'ailleurs, j'ai travaillé dans le contrôle aérien en Espagne. J'ai aussi appris à piloter en Angleterre, c'est quelque chose qui me tenait vraiment à cœur, parce que quand il fait mauvais, quand il pleut, quand il y a des nuages, au-dessus, il fait toujours soleil. J'ai toujours aimé le soleil et quand vous êtes en avion et que vous le pilotez, vous êtes au-dessus des nuages, là où il fait toujours beau.”

L’écrivain explique vouloir transmettre “beaucoup de positivisme, beaucoup d'aventures, quelque chose que vous ne pouvez pas vivre dans votre quotidien. Pour moi, quand on va au cinéma ou quand on ouvre un livre, c'est pour s'évader. Quand j'écris un livre, c'est pour m'évader aussi, pour ne pas être où je suis à ce moment-là.” Par exemple, poursuit-il, “quand j'écrivais le fakir, j'étais dans le RER parisien à 7h30 pour aller au travail. J'ai été obligé d'écrire mon livre debout sur mon téléphone, écrasé par plein de gens qui vont au boulot, qui ne sont pas forcément très contents de s'y rendre, et justement quand j'écrivais là, j'étais ailleurs, dans mon aventure, ce fakir enfermé dans une armoire Ikea, qui va voyager en Angleterre et va rencontrer d'autres personnes du monde qui viennent en Europe, des immigrés.”

Pourquoi ce thème de l’immigration ? “Je voulais changer un peu cette façon de penser des gens qui ne veulent pas d'étrangers chez eux, alors que c'est justement une richesse de se mélanger. Et nous sommes tous un immigré quelque part. Il n'y a que les gens qui ne sortent pas de chez eux qui ne sont pas des migrants mais quand vous voyagez, vous avez cette ouverture, vous rencontrez des gens merveilleux, vous découvrez d'autres cultures, d'autres langues, c'est ce que véhicule aussi pour moi la littérature, un condensé de ces voyages-là.”

ikea romain puértolas


Expérience d’ancien policier

Romain Puértolas explique aussi avoir pris ce fakir parce qu'à l'époque, il publiait sur un compte Youtube très suivi des films expliquant les tours des magiciens dont il a compris les trucs très jeune.“Je suis quelqu'un de très logique et très observateur et je ne regarde jamais là où on veut que je regarde. Les gens se font bluffer par les magiciens. Je voulais leur démontrer que c'est très facile de trouver tous les trucs avec un peu de logique et j'essayais surtout de lutter contre les charlatans qui exploitent un peu notre crédulité en faisant payer des gens et en leur faisant croire des choses.”

“Dans ce programme, j'avais justement des parties sur les fakirs, qui sont des magiciens et c'est ce personnage-là que j'ai choisi pour mon livre car j'aime les personnages atypiques, ajoute-t-il. J'en prends toujours des très colorés qu'on ne rencontre pas au quotidien et qui vivent des situations un peu rocambolesques, un peu fantaisistes. Je joue énormément avec les stéréotypes parce que j'aime beaucoup ça, c'est amusant d'utiliser les clichés.”

Romain Puértolas, qui n'est guère avare d'explications, poursuit :“Mes personnages sont très stéréotypés, très clichés. C'est justement une manière de combattre le cliché, de montrer que les gens sont des personnes, des individus et non pas des nationalités, des ethnies. Ils représentent d'abord eux-mêmes et avec ce livre, c'est ce que j'ai essayé de faire en parlant de l'immigration illégale parce que je travaillais à l'époque dans la police, dans un service qui démantelait les réseaux de passeurs faisant traverser la frontière à des personnes qui croient en un grand futur, en un pays merveilleux qui va les aider.”

Il conclut : “J'avais toute la journée des clandestins en face de moi. Je ne voulais plus être le policier, je voulais juste être l’humain qui n'est pas né ici mais ailleurs, me mettre à leur place et voir que ce sont des gens comme les autres.”

Il y a trois mois est sortie en Turquie la version turque de son roman La petite fille qui a avalé un nuage plus grand que la Tour Eiffel, également traduit par Ebru Erbaş, et qui aborde le thème de la maladie, un ouvrage plus poétique que celui du fakir. Ce livre figure déjà en bonne place, que ce soit en librairie ou dans les distributeurs de livres installés à la gare routière d'Istanbul... Un autre livre est sorti depuis en France et la publication du prochain est prévue l'année prochaine.

Nathalie Ritzmann (http://lepetitjournal.com/istanbul) mercredi 2 novembre 2016

 

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Publié le 1 novembre 2016, mis à jour le 5 mars 2018

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